Sans doute mal marketé, le film décevra forcément ceux qui sont venus voir une comédie trash à la Projet X. Spring Breakers est une fable instable, un objet expérimental, une oeuvre moderne et fascinante. Les images et la narration jouent avec les codes pour mieux les pervertir et créer le portrait séduisant et inquiétant d’une époque où nécessairement, tout doit être possible.
Synopsis : Pour financer leur Spring Break, quatre filles sexys et fauchées décident de braquer un fast-food. La semaine de folie peut alors débuter et les conduire aussi loin que possible…
Spring Breakers est un film étonnant, un film à part qui saisit avec une folle énergie l’état d’esprit d’une époque et celui d’une jeunesse qui n’a plus rien à rêver.Les genres explosent dans ce condensé de cinéma. Les motifs les plus divers s’entrechoquent pour créer une œuvre unique et déroutante. Spring Breakers est d’abord un teen movie déchiré (on pense un peu à Thirteen de Catherine Hardwicke), un American Pie sans parents, sans frustration, sans naïveté. Plus d’enfance, plus d’innocence, simplement de l’envie et du plaisir…
Du film de moeurs, Spring Breakers glisse doucement vers le documentaire. Souvent Harmony Korine ne s’intéresse plus aux personnages, il filme un contexte, des jeunes vivant l’excès de fun comme un ersatz de bonheur. Des corps magnifiques sautant, dansant, se trémoussant, buvant, courant, riant, criant, chantant. L’image est belle, presque écœurante, ce pourrait être une émission sur MTV, une publicité pour une île paradisiaque ou pour des vacances de débauche où tous les plaisirs sont permis. Ce pourrait être un clip de rap, l’image un peu folle d’une existence consacrée au luxe et à l’extase.
La société de consommation est une société qui donne le rêve et l’illusion de la puissance. Les 4 adolescentes ont le sentiment d’invincibilité et d’omniscience qui caractérise notre temps. Internet, les réseaux sociaux, les jeux vidéos, les blockbusters, les hyperpuissances, tout est toujours plus, énorme, gigantesque, tout est toujours là, présent, vite dépassé, vite obsolète. Tout peut être su et contrôlé, instantané, réel, possible. Il n’y a plus de fantasme, il n’y a que du réalisable, du concret. Alors ces 4 filles recherchent une réalité qui se surpasse elle-même, qui les sublime, qui donne un sens à ce méli-mélo du vide.
Il y a une beauté pop électrisante dans ce déluge de modernité. Ce n’est pas simplement superficiel et de mauvais goût. Une esthétique rose et jaune se crée, les images trouvent leur cohérence et dégagent une forme de beau et de vrai. Certes, c’est aussi de la laideur et du mensonge, mais toute séduction a sa part d’ombre. La musique du film, très réussie, donne encore un peu plus de peps à cette aventure du tout-plaisir. Et quand Spring Breakers frôle le film érotique, l’attirance et la répulsion, le désir et la peur se mêlent en un jeu de vice et de perversité.
Alors le film peut devenir inquiétant, se muer en thriller ou en film d’action, quitte à passer tout près du cinéma d’épouvante. Quelque chose est fondamentalement déréglé, les anges se brûlent les ailes dans un too much déraisonné et envoûtant. On entend : « Money is American Dream » et on pense à Cogan, Killing Them Soflty, où Brad Pitt disait: « L’Amérique n’est pas un pays, c’est juste un business ».
Depuis la première scène de braquage jusqu’aux états d’âmes des jeunes filles, la réalisation de Harmony Korine impressionne. On se souvient aussi d’une scène magnifique qui pourrait résumer tout le film : après avoir « tripé » sur Britney Spears, après avoir chanté innocemment dans des bouteilles d’alcool, les adolescentes reconstituent le hold-up qu’elles ont commis avec une violence et une excitation qui nous laissent KO.
Mais ce qui marque le plus, c’est l’extrême habileté de la narration. Les constants aller-retours entre les scènes présentes et celles qui suivront donnent au récit une façon d’avancer par à-coups aussi stimulante que déconcertante. Le futur envahir sans cesse le moment présent jusqu’à brouiller les pistes : tout ce qui se passe à l’écran est à la fois flash-back et flash-forward, action déjà révolue et vision anticipée de ce qui se prépare. Jusqu’à donner l’impression diffuse et ahurissante que tout est là, ramassé en un seul instant, que tout est lié et indissociable, le portrait épileptique et pourtant figé d’un temps, d’un âge, de 4 adolescences dont la rébellion n’est qu’une forme exagérée de ce que promeut le système : le besoin de tout avoir, de tout voir, de tout accomplir, le besoin extrême de posséder le monde, de le croquer jusqu’à l’indigestion.
Le film finit alors par tourner au pur fantasme, requestionnant tout ce qui nous a été montré. Qu’est-ce qui est vrai? Qu’est-ce qui, dans le film, n’est que le songe de 4 filles bloquées dans leur petite ville alors que leurs amis vont au fameux Spring Break tant désiré? Entre naturalisme et hallucination, entre anges et démons, entre vide et trop-plein, entre vulgarité et fulgurances, entre splendeur et laideur, entre mysticisme et pragmatisme aigu, entre innocence et culpabilité, le film fusionne les contraires pour mieux exploser les repères. Cette vie d’entertainment à la sauce MTV est si grossière, si brute qu’elle acquière un charme et une grâce qui touchent au merveilleux. Tout ici est si absurde que peu à peu les images prennent sens.
Le film se fait récit initiatique : à travers le plaisir pur, les adolescentes semblent aussi chercher une spiritualité pour se sauver d’un quotidien insensé. La religion et le sexe ne suffisent plus, il y a cette bulle pleine de riens qui flotte dans nos têtes et dont il nous faut tout ce qu’elle contient. Le projet de Spring Breakers est de crever cette bulle, de célébrer et de détruire le néant.
Derrière le film-caméléon se cache un conte moral moderne d’une étonnante lucidité. Après avoir été au bout d’elles-mêmes, les jeunes filles ont le choix : se perdre ou s’en aller. Chacune à son tour va revenir à la réalité. Avec la volonté (peut-être sincère, qui sait?) d’enfin s’améliorer, de trouver du sens un peu plus loin du vide.
Note : 8/10
Spring Breakers
Un film de Harmony Korine avec James Franco, Vanessa Hudgens, Selena Gomez, Ashley Benson et Rachel Korine
Drame, Thriller – USA – 1h32 – Sorti le 6 mars 2013