Emanation de l’état français « décentralisé », les collectivités locales ont vu ces dernières années leurs prérogatives s’accroitre autant que leurs besoins de financement.
Bien que représentant une part modeste de leur budget de fonctionnement, les emprunts bancaires sont néanmoins devenus une ressource indispensable pour l’équilibre de leurs finances.Etroitement associées au redressement des comptes de l’état, impératif en ces temps de crise, les collectivités locales sont également le principal soutien de l’activité en France en assurant plus de 70% de l’investissement public.
Cependant, dans un contexte mêlant sinistrose économique et évolution réglementaire, le marché du financement des collectivités locales devient de moins en moins intéressant pour les banques qui s’en sont peu à peu retirées. Couplé à la disparition du principal acteur de ce marché, Dexia, l’offre de crédits disponible s’est ainsi dangereusement tarie.
Après avoir rappelé les principales caractéristiques des collectivités locales, nous expliquerons les raisons pour lesquelles les banques délaissent ce marché et détaillerons les solutions envisagées, aussi bien du côté des banques que de l’état, pour répondre à cette problématique.
Collectivités locales : définition et compétences
Les collectivités locales, ou collectivités territoriales, sont des structures administratives, distinctes de l’état, qui doivent prendre en charge les intérêts de la population d’un territoire précis. Ces dernières s’administrent librement et ne possèdent que des compétences administratives, excluant de facto les fonctions régaliennes dévouées à l’état. Les collectivités locales les plus connues sont : les communes, les départements et les régions.
Principales ressources et dépenses des collectivités locales
Les recettes et dépenses des collectivités locales se déclinent en deux catégories :
- Les recettes et dépenses de fonctionnement
- Les recettes et dépenses d’investissement
Figure 1 : Recettes et dépenses des collectivités locales en 2010[1]
Comme indiqué dans le graphique ci-dessus, les recettes de fonctionnement représentent la grande majorité des revenus via la collection d’impôts et taxes et les transferts de l’état. A mesure que les lois sur la décentralisation se sont accumulées, les collectivités locales ont vu leurs dépenses augmentées. Face à ce transfert progressif de compétences, l’état a du ajuster le montant des dotations qu’il leur accorde à titre de compensation.
Concernant les recettes d’investissement, les emprunts bancaires en représentent le premier poste avec 16 milliards d’euros en 2010. Pour ce faire, les collectivités locales disposent d’une véritable autonomie pour emprunter. L’emprunt sert souvent de complément de ressources devant être exclusivement affecté aux nouveaux investissements et ne pouvant donc pas financer les dépenses de fonctionnement. L’emprunt représentait 8% des recettes globales des collectivités locales en 2010.
Menaces planants sur l’offre de crédits des collectivités locales
Le tarissement de l’offre de crédits aux collectivités locales trouve logiquement son origine dans le contexte de crise économique prolongé que la France subit depuis 2008. La crise des subprimes, relayée par celle des dettes souveraines ont entrainé, entre autres, une défiance sur la solvabilité des acteurs bancaires et par ricochet une diminution de la liquidité disponible du fait de l’asséchement du marché interbancaire. Partant de ce constat, la Commission Bâle III a imposé aux banques l’instauration de ratios financiers contraignants devant permettre de restaurer la solvabilité des banques et in fine la confiance dans le système bancaire. Cependant, la liquidité reste toujours une denrée rare et chère et surtout les nouveaux ratios « Bâle III » n’incitent nullement les banques à augmenter leurs encours ou à se tourner vers le financement des collectivités locales.
Un marché structurellement peu attractif pour les banques
Le financement des collectivités locales est un marché spécifique dont les banques se sont peu à peu retirées. Là où auparavant il existait 20 à 25 acteurs, il n’en subsiste guère plus de 4 aujourd’hui. Caractérisé par des maturités longues, une très faible liquidité des créances et une clientèle ne proposant pas de dépôts, ces derniers étant logés dans les comptes publics du Trésor, ce marché n’intéresse pas ou plus les banques.
En effet, financer une collectivité locale revient pour les banques à aller récupérer sur les marchés des liquidités d’un montant élevé et à longue échéance, ce qui dans un climat économique sinistré est de plus en plus difficile et de plus en plus cher induisant un abaissement des marges.
La disparition annoncée de Dexia et donc de sa filiale Dexia Crédit Local (DCL), premier pourvoyeur de fonds des collectivités locales avec 40% de part de marché en France, a provoqué un asséchement brutal de l’offre de crédits et va provoquer une profonde reconfiguration du marché qui attise les craintes des élus. Aucun acteur bancaire privé n’ayant la volonté et/ou la capacité de remplacer DCL. A l’heure actuelle, les deux autres grands acteurs de ce marché, BPCE et Crédit Agricole, ont tout juste annoncé un maintien de leurs encours pour 2013.
Un environnement réglementaire contraignant
L’instauration progressive des nouveaux ratios Bâle III, après une période d’observation, a ajouté des contraintes de gestion supplémentaires aux banques. Ils ont pour objectif :
- de limiter leur levier via le ratio de « levier »[2];
- de mieux piloter leur liquidité via les deux ratios de « liquidité », le ratio de liquidité court terme (LCR)[3] et le ratio de liquidité long terme (NSFR)[4]; et
- de s’assurer de leur solvabilité via les modifications apportées au ratio de « solvabilité », déjà existant sous Bâle II, visant à renforcer le niveau et la qualité de leurs fonds propres[5].
Si le ratio de solvabilité s’avère favorable aux collectivités locales, puisque ces dernières bénéficient d’une faible pondération dans le calcul des risques du ratio, les ratios de levier et de liquidité représentent un vrai frein au développement, voire au maintien des encours de crédits qui leurs sont accordées.
En effet, le ratio de levier est destiné à limiter le total des engagements financiers globaux d’une banque, indépendamment de leur nature, au regard de ses fonds propres. Etant insensible aux risques des activités, le ratio n’incite pas les banques à se lancer dans des activités importantes en valeur mais peu risquées et donc moins rentables comme le prêt aux collectivités locales.
Les ratios de liquidité court et long terme, visent à apprécier la capacité de l’établissement à faire face à un choc de liquidité à court terme (30 jours) et à garantir que l’établissement dispose de suffisamment de ressources stables (c’est-à-dire avec une maturité élevée) pour refinancer ses actifs à moyen/long terme. La mise en application de ces ratios de liquidité devrait conduire les banques à réduire leurs encours peu liquides dans le cadre du LCR et à réduire leurs encours avec une maturité élevée, car ils doivent être financés par des ressources longues, qui sont par définition plus chères.
Une reconfiguration de l’offre passant par un soutien accru de l’état et un recours plus fréquent aux marchés financiers via les banques
Le marché du financement bancaire des collectivités locales est donc profondément et structurellement modifié d’une part, par la succession de crises économiques, qui ont provoqué une diminution des liquidités disponibles et la faillite de son principal acteur, Dexia, et d’autre part par l’instauration de normes réglementaires contraignantes qui n’incitent pas les banques à prêter aux collectivités locales.
Dans ce contexte, les collectivités locales trouvent d’abord des réponses du côté de l’état. Ainsi, le gouvernement à récemment acté la création de deux nouvelles entités permettant de répondre aux besoins de financement des collectivités locales :
- une nouvelle banque des collectivités locales par La Banque Postale et la CDC qui in fine vise à remplacer Dexia et qui devrait offrir près de 5 milliards d’euros de prêts par an ;
- l’Agence des Financement des Investissements Locaux qui vise à compléter le financement bancaire traditionnel du secteur public local par un accès facilité au marché obligataire. Sa date de mise en service reste cependant encore floue.
Face à ces initiatives publiques, les marges de manĹ“uvres des banques sont limitées. Ne pouvant ou ne voulant pas augmenter leurs encours de crédits, elles doivent proposer des solutions alternatives à des clients souvent « historiques ». La voie privilégiée étant le renforcement voire la démocratisation de l’accès des collectivités locales aux marchés financiers. En effet, étant donné les coĂťts engendrés par une telle opération et le montant minimum de titres à émettre afin d’amortir le coĂťt de l’émission et attirer les investisseurs, seules les « grandes » collectivités ont réellement accès aux marchés pour y lever des fonds. Cet accès doit donc pouvoir être étendu par les banques à un plus grand nombre de collectivités, même celles de tailles moyennes, via des regroupements mutualisant leurs besoins.
Ainsi, en octobre dernier ce sont près de 44 collectivités locales qui se sont associées pour lever 610 millions d’euros à échéance 10 ans sur les marchés[6].