Estelle Lagarde nous introduit dans des lieux et nous permet de visiter des endroits oubliés et abandonnés. Pour cela, il faut passer la porte de l’Atelier Publimod, en traversant l’adorable petite cour. Là, dans ce laboratoire de développement de photos argentiques, où les gens s’affairent, sont aussi exposées les photos de la série « Lundi Matin » d’Estelle Lagarde. Cette scénographie est plutôt réussie car le spectateur investit les lieux des photos en même temps que l’Atelier en contournant les tables et les machines pour considérer les images.
La capture du flux et la production d’une atmosphère
Estelle Lagarde affectionne les lieux abandonnés et valorise leur dimension esthétique en imaginant la vie passée qui les a habité. Ce passé, elle réussit à le faire revivre l’espace d’un instant en utilisant la mise en scène. Dans ses séries précédentes, elle pénètre des bâtiments cossus délabrés pour y introduire une présence féminine mystérieuse avec « Dame des songes ». Elle y met en scène le songe, parce qu’il est le lieu privilégié d’expression de la pensée symbolique de la vie et de la mort. Dans ces images, les silhouettes hantent les lieux et leur donnent une âme.
Dans « Contes Sauvages » elle parvient à faire renaître au sein de ces salles oubliées des scènes galantes qui conviennent très bien à l’esprit des lieux. Ses personnages y masqués et habillés dans le style de la Commedia Dell’Arte. C’est en même temps l’image d’un faux-semblant, d’une parodie de l’existence.
Sa démarche photographique renverse d’ailleurs le rapport habituel que celle-ci entretient au temps. Si la photo est témoin de ce qui est à l’instant présent, Estelle Lagarde en introduisant la mise en scène et la technique des longs temps de pose, réussi à saisir l’indéterminé, le flux continu et invisible qui circule dans les lieux. Elle saisit l’indiscernable et le vaporeux, les formes dessinées dans l’air, en donnant tout son sens au mot atmosphère. Elle manie habilement le temps mais aussi la lumière. Elle parvient à envelopper ses sujets d’un halo irréel, qui les rend mystérieux et impalpables. Ses photographies sont réalisées à la chambre et sur tirages argentiques (et le lieu de l’exposition s’y prête à merveille).
Dans les séries « Hôpital » et « Maison d’arrêt » quelque chose d’inquiétant perce à travers son procédé qui fait sa particularité. Les mises en scènes sont étranges et effrayantes, elles concentrent la peur que l’on peut avoir de l’univers médical et hospitalier.
Estelle Lagarde a réalisé aussi une œuvre courageuse alors qu’elle était atteinte d’un cancer du sein. Une entreprise systématique et minutieuse, qui forme un véritable journal de bord constitué de textes et de photos d’elle-même durant la traversée de cette épreuve. Cette pièce s’intitule « La traversée imprévue, Adénocarcinome ». Témoignage poignant, on ne peut en faire l’économie en considérant son œuvre.« Lundi Matin »
« Lundi matin » est d’abord la découverte d’un lieu. Ce garage automobile désaffecté aux murs dont la peinture s’écaille et sont recouverts de graffitis est propice à Estelle Lagarde pour évoquer la crise économique à sa façon. Son regard embrasse l’espace esthétiquement pour imaginer le résultat de ses photographies, mais aussi dans sa structure comme un architecte puisqu’elle y projette une mise en scène, une réhabilitation circonscrite dans le temps.
Dans cette nouvelle construction visuelle, elle formule en creux des notions telles que : les réunions, le patronat, la hiérarchie, abrutissement qui résonnent avec la résignation, la solitude ou la solidarité.
Estelle Lagarde y rend compte d’une vie quotidienne, d’une semaine de boulot avec ses différents événements : le travail à la chaine, les réunions, les coups de fil, ou la dépression. Son procédé rend esthétique ces occupations anodines, répétitives et machinales.
Elle nous interpelle et nous projetons forcément aussi notre expérience dans le décor décrépi du garage qui nous fait face. Nous interrogeons aussi notre quotidien, et toute action renvoie une certaine ineptie, une certaine vanité.
Nous accompagnons ces spectres dont l’évanescence évoque à la fois une présence constante dans ces lieux, à la fois aussi une certaine interchangeabilité des êtres, mais aussi l’universalité de la situation. Dans notre considération de ses images, nous pouvons ceci dit, osciller entre la prise de conscience grave et sérieuse, et le sourire tant ses scènes peuvent aussi être prises avec distance et humour.A voir :
Lundi matin d’Estelle Lagarde
Jusqu’au 10 avril 2013
Atelier Publimod26 rue de Sévigné
75004 Paris