La cloche résonne dans les couloirs d’un lycée du Bronx. C’est la fin de l’année. Des élèves déchaînés- meute de jeunes loups incontrôlables- récupèrent leurs portables à l’épicerie du coin avant d’envahir un bus. Tout commence là. Tout se finira là. Dans un véhicule-décor que Gondry (Eternal sunshine of the spotless mind, La science des rêves) ne quittera pas pendant les 1h40 que dure son film. Il s’agit ici de l’une des idées les plus intéressantes de son long métrage : capter un lieu, sans cesse en mouvement ; saisir des êtres, toujours en construction ; immortaliser ce qui, par essence, n’est qu’évanescence. L’adolescence, les rires, les moqueries, les vannes, les bêtises, les folies. Si le film s’intitule « The We & the I », ce n’est pas pour rien. Gondry désire, via cette bande d’ados a priori juste bêtes et méchants, parler de la façon dont se façonne, se transforme, agit et réagit le « je » au contact du « nous » communautaire, dévoilant un cruel microcosme de jeunes, régi par des lois (souvent, celle du plus fort), conditionné par l’époque (Youtube, SMS, zapping, alcool, apparence), une bulle qui nage en plein paradoxe : à la fois prison, et vecteur d’émancipation. Le trajet en bus, aux allures de faux work-in-progress (tout le script était écrit) et faux docu, est l’occasion pour le cinéaste de saisir simultanément une rupture- le « je » perdu dans la jungle du « nous »- et un glissement- du cruel « nous » donc à ce « je » plus humain. Finalement, l’Homme ne se montre jamais aussi vindicatif que lorsqu’il évolue au sein d’un groupe. Pris à part, le loup redevient un agneau. Ce constat, simple sur le fond, jaillit du film sous une forme atypique, le film puisant dans toute une sous-culture, l’urbano-pop bricolo chère à Gondry, matière à se réinventer sans cesse. C’est pourquoi le dispositif n’ennuie jamais : il n’est que faussement figé. Tout bouge en permanence, tout s’accélère ; par petites touches, Gondry impose son patchwork un peu fou, quelque part entre improvisation feinte et véritable travail de fiction.
Formellement, The We & The I bouillonne d’intelligence. Divisé en trois parties («The Bullies», «The Chaos», et justement «The I»), le film converge petit à petit vers une finalité épurée. Vers plus de silence. Davantage d’espace. De quoi laisser le vrai « soi » remplir le champ. On est passés, sans s’en rendre compte, d’un cinéma hip hop à l’apparente vacuité à un cinéma expérimental qui ne cache plus ses neurones. C’est tout l’art de Gondry : bricoler avec rien, des trucs incroyablement subtils ; se jouer des contrastes- le huis clos qui bouge- sans se prendre trop au sérieux. Pour autant, cette longue liste de bons points ne fait pas de The We & The I le meilleur film de Gondry, ni un film mémorable tout court. Toutes les ficelles du procédé y apparaissent comme grossières. Tout y trop propret (le cadre, l’image, les ressorts narratifs), tout se conforme trop à l’axe suivi et voulu par le réalisateur. On sent, partout, que le film répond à une liberté prédéfinie, à un mouvement déjà calculé, à une folie parfaitement sous contrôle. D’où cette impression désagréable de trucage général. Une sensation que l’on retrouve dans le traitement de personnages volontairement archétypaux. Si elle sert un premier temps parfaitement le propos, la bande de Gondry finit très rapidement par pâtir de raccourcis simplistes, empêchant ses différents composants et protagonistes à dépasser leurs personnages de papier, à exister en tant que « je » justement. Du bourreau beau gosse au grand cœur, au geek à lunettes, en passant par le musicien crado et la rejetée de service : aucun personnage n’arrive à se débarrasser de l’étiquette qu’on lui a collé au front, aucun acteur (amateurs, et pourtant très bons) n’arrive à transcender son personnage de scénario pour y insuffler de la chair, du cœur et de la vie. Ce qui explique qu'au terminus, on se sente comme au cœur d’une géante imitation, et joyeuse contrefaçon, du réel.