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[note de lecture] "Comment ça s'appelle" d'Alexis Pelletier, par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé


Pelletier 3Les notes en fin de livre sont parfois précieuses, même si elles ne sont jamais d’une absolue nécessité. Ainsi, pour ce livre d’Alexis Pelletier, il n’est pas indifférent d’apprendre page 111 que les poèmes ont été écrits entre 2002 et 2004, alors que ceux publiés dans Comment quelque chose (L’Escampette, fin 2012) datent globalement de la période 2006-2010. Pour le lecteur de ces deux livres, il faut donc penser que le dernier paru est l’avant-dernier écrit. Cette gymnastique mentale ne pose pas vraiment de difficulté : la continuité de la veine lyrique est évidente, le « chant » est revendiqué. Pelletier poursuit une « méditation poétique » qui met sous tension poésie et pensée, réflexion et rêverie. On est bien là sur la face claire de cette œuvre, tout instable et interrogative qu’elle soit, par opposition à la face sombre et sarcastique représentée par le personnage de Mlash dans d’autres volumes. 
Revendication du « chant », donc, mais il peut prendre des allures très diverses. Par exemple, dans le premier poème, on retrouve le vers libre ample, le travail sur le continu, le lié, que l’on avait déjà dans Comment quelque chose : une rythmique souple qui ne s’interdit pas le découplage vers/syntaxe pour obtenir des effets de nervosité ou de rudesse à certains moments : « Une grande vacuité c’est-à-dire / je sens bien que j’ai quelque chose / à te dire / pas une grande idée certes / mais l’arrêt ça vient de / qui suis-je pour dire je  » (p.41). 
Par opposition, le second poème impose une allure très différente : il est composé de vingt-deux petits blocs de vers courts. Ces séquences sont numérotées, donc nettement distinctes, mais leur début indique souvent un lien avec ce qui précède, comme une progression de pensée : « 18. / Ainsi l’impression de vacuité (…)// 19. / Et toute histoire est truquée (…)// 20. / Qu’est alors ce maintien de langue (…) » (p.18). 
Ou bien encore, autre allure, et je crois que le poète emploie cette forme pour la première fois (p.33-35 ; p. 65-67), une sorte de découpage du vers en escaliers :

 
« Qu’est-ce qu’un arbre 
                                  Une question d’ombre 
                                                                     Un bruissement 
Ce n’est pas cela 
                                  Un nom dans la langue 
                                                                   Peuplier par exemple » (p.65)

 
Variations formelles de l’écriture, donc, mais tout autant on voit apparaître des motifs récurrents qui unifient fortement l’ensemble. Ainsi pour le mot omis, non dit, dans le premier poème : « je n’ai pas nommé le mot qui m’accompagne // Ça embêtera qui / que je le garde pour moi » (p.7). Le lecteur considère donc ce mot comme perdu ou introuvable, peut-être en lien avec le Comment ça s’appelle du titre… Mais Pelletier relance le jeu un peu plus loin dans le livre : « Au commencement du livre / c’est le mot témoin que je n’ai pas / nommé peut-être ou bien / la face à moins que la / danse je ne sais plus » (p.27) Et le poète rebondit encore, plus tard : « Et c’était mélodie que je cachais au départ » (p.54). On a ici comme un jeu du chat et de la souris puisque seul le poète a la clé, et qu’il peut changer la serrure comme il le souhaite.  
Moins souriant, mais tout aussi récurrent, le motif de la mort de la mère : pp.19-72-85-95… Ou bien le retour du « tu », « mon amour » (pp.71-78-98…), très fortement présent dans Quel effacement. 
Formellement, on a donc une poésie de la tension entre unité et variété. On retrouve cette tension sur le plan de la pensée : celle-ci est bien moins affirmative qu’interrogative ou contradictoire. La méditation ne donne pas un résultat mais son propre mouvement de quête, de questionnement. A commencer par notre rapport au monde, toujours ambivalent : « entendre le monde entendre toujours mieux//Il s’agit toujours de se retourner et faire face// Un refus/un étonnement simultanés » (p.24), « mieux écouter peut-être le monde/et ses contradictions sa violence/inséparables de la douceur// Un rapport de tendresse avec lui/où percent à la fois caresse et tension »(p.25). 
La question du langage et des contradictions qu’il porte est au cœur du livre : « la seule stupeur est celle des mots / qui contiennent en puissance tout ce qui nous / fait tenir debout et même ce qui nous tue »(p.19), « l’impuissance des mots/leur vieillesse et simultanément/l’invention qu’ils gardent en eux »(p.68), « C’est instable certes mais plein / des ressources inaccessibles / par la langue peut-être / mais inenvisageables sans elle »(p.93). 
On le voit, si cette poésie est réflexive, elle ne propose pas de réponse mais creuse plutôt la question des limites de son pouvoir face à l’époque et face à vivre. Ceci posé, il ne faudrait pas considérer cette poésie pensive comme intellectuelle. Le plus proche, le plus quotidien est souvent à l’origine du poème : un crépuscule de juillet (p.25), la pluie sur un toit de tuiles (p.20), les passants dans la rue (p.38), le fait « qu’un de mes frères a gravé pour moi / l’intégrale des Lieder de Schubert / avec Fischer-Dieskau et Gerald Moore » (p.7)…  De la même façon, le poème peut naître d’une rêverie sur un mot : « oiseau » (p.76), « arbre » (p.65), « tilleul » (p.91)… 
Le dernier vers du livre reprend le titre, comme quoi la question reste ouverte : « Comment ça s’appelle » (p.108). On pourrait dire simplement poésie, c’est-à-dire tension entre horreur et beauté, invivable et apaisement, « quelque chose d’ardent et de triste » disait déjà Baudelaire, infiniment contradictoire. Ainsi va vivre, écrire tout autant. 
[Antoine Emaz] 
 
Alexis Pelletier – Comment ça s’appelle 
Tarabuste éditeur – 112 pages – 11 € 


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