Amnésique à la suite d’une grave maladie, Franz-Georg petit garçon allemand de 5 ans, mutique et choqué, reprend goût à la vie sous la surveillance dévouée de sa mère Thea Dukenthal. Elle lui rapprend à parler, lui restitue son passé en le lui racontant. Le père distant, énigmatique, médecin adulés par ses pairs, officier du régime nazi, passe telle une ombre gigantesque insaisissable et lointaine.
Emporté par le souffle de l’Histoire et le naufrage de l’Allemagne nazie, l’enfant grandit privé de mémoire, d’identité, privé d’explication par le suicide de sa mère à l’annonce de la mort du père en fuite au Mexique. Il est recueilli par le frère de sa mère, l’oncle qui a résisté au régime nazi et a dû fuir l’Allemagne en 1939 pour l’Angleterre. Franz a pour tout repère un ours en peluche qui porte autour du cou un mouchoir brodé au nom de Magnus. Avec la découverte de la véritable nature des parents, c’est l’horreur des crimes nazis qui est évoquée. Un roman comme un récit labyrinthique, qui évoque les étapes d’une existence de l’enfance à l’âge mûr, cheminement vers la vérité. Sylvie Germain suit le développement de Franz qui aidé par les femmes retrouve son identité grâce à leur amour.
En rassemblant les débris épars de son existence, Franz devenu Adam réalise que tout ce que sa mère lui a raconté pour combler sa mémoire lacunaire n’est que mensonge. Un changement de nom récurrent, à chaque phase, à chaque remontée de souvenirs qui modifient sa perspective : enfant, il est Franz-Georg en hommage à ses oncles soldats de la Wehrmacht disparus au front, jeune adolescent Franz, Adam en Angleterre quand il se choisit une nouvelle identité, Magnusau Mexique et aux Etats-Unis quand il découvre la vérité sur son histoire. Dialogue pluriel entre « les vivants, les morts, lui-même et cette part inconnue », mémoire incertaine qui affleure et lui revient peu à peu.
Sylvie Germain trace une esquisse de portrait dans un récit ne respectant pas la chronologie naturelle mais celle de la redécouverte des souvenirs, ponctué de blancs, d’échos inexpliqués, métaphore de l’amnésie qui frappe Franz/Magnus. Texte en pointillé ainsi que la mémoire du personnage central qui s’interroge sur les méandres de l’âme humaine. Comment se construire lorsque la rumeur du passé comme un murmure inaudible hante les jours présents sans se dévoiler ? L’auteur nous livre un roman en demi-teinte ponctué de thèmes universels tels que l’importance de la filiation, l’amour message d’espoir, la résilience, le pardon, plein de bons sentiments qui illustrent une certaine forme de foi. La dernière partie du livre est très curieusement consacrée à la rencontre avec un moine ami des abeilles, ermite illuminé, dans le sud de la France. Les révélations mystiques qui s’ensuivent et le discours sous-jacent du type "tournez-vous vers la Lumière divine" m'ont paru tout à fait hors de propos. Le prosélytisme religieux m'horripile.
Le texte construit de façon originale sous forme de bribes révèle une grande maîtrise technique. Les fragments de récit sont entrecoupés de paragraphes explicatifs nécessaires à la compréhension. Une architecture complexe intéressante mais dont le résultat artificiel et décousu laisse peu de place à l’émotion, à l’empathie pour les protagonistes. Je ne me suis pas attachée aux personnages qui manquent de densité, de volume. Leur sort indiffère y compris celui de Franz/Magnus frappé par des drames personnels tout au long de sa vie. En résumé, il lui arrive bien des malheurs et on s’en moque éperdument.
Le style classique, très classique, voire tout à fait siècle dernier, manque singulièrement de modernité et paraît presque factice à force de savoir-faire. Plus qu’un récit évoquant l’après-guerre du point de vue des enfants de familles nazies, Magnus est un roman sur la quête identitaire. Un objet littéraire d’une haute technicité, une démonstration de force maîtrisée qui ne parvient pas à émouvoir et se termine en queue de poisson.
Magnus de Sylvie Germain - Edition de poche Folio - Prix Goncourt des lycéens 2005