Cinéma Québécois et Jutras 2013: Opinions et choix

Publié le 17 mars 2013 par Espritvagabond
Contrairement aux Oscars, avec les Jutras, je ne joue pas le jeu des prédictions. D'une part, l'histoire des Jutras est un peu jeune pour avoir une base de données historique valable pour en tirer quelques conclusions ou tendance de "l'académie" québécoise, mais aussi, comme le système de votation a changé au fil des ans, rien ne sert de regarder en arrière pour tenter de comprendre ce qui peut se passer dans le présent. Cette année offre un bel exemple d'inconstance - mais un heureux exemple - puisque contrairement à presque toutes les années précédentes, l'ensemble des nominations n'a pas fait l'objet de virulentes critiques. Est-ce que le processus de nomination a été révisé (une fois de plus)? Bon, en un mot comme en cent, je me concentre donc sur le gala lui-même, mais vous livre mes choix dans les catégories majeures.
L'année 2012 du cinéma québécois.
Contrairement aux déclarations stupides et mercantiles de quelques ignares en veston-cravate, l'année 2012 a été une très belle année pour le cinéma québécois et pour le cinéphile québécois. Loin de son misérabilisme historique (bien qu'un passage culturel obligé), décomplexé, le cinéma d'ici embrasse le monde, n'a pas peur de traiter de sujets universels ni de mettre en scène des personages et situations issues de partout dans le monde. Du Congo au Japon en passant par la Cisjordanie et le Québec, les intrigues de 2012 font voyager, explorer et découvrir les relations de québécois avec et dans le monde, qu'il s'agisse des personnages eux-mêmes ou de la culture ancestrale des créateurs et acteurs. Compte tenu de notre situation démographique, avec une population relativement petite et un marché qui l'est tout autant, le cinéma québécois est tout simplement un des meilleurs au monde. Ce n'est pas un hasard si nous avons placé un film dans la très sélecte catégorie de meilleur film en langue étrangère aux Oscars pour chacun des trois dernières années, une position à laquelle seuls cinq pays dans le monde peuvent prétendre pour une année donnée.
Pour ce qui est des recettes en salles (qui ne comptent pas les retombées et recettes internationales, ni les recettes en vidéo et sur demande), bien des facteurs expliquent les chiffres bas de 2012. Sans vouloir publier ici une analyse complète sur la question, notons l'évidence: les habituels films commerciaux n'ont pas rapportés autant que ceux d'années passées (puisqu'on en produit à chaque année, contrairement à ce que les ignares précités ont laissés entendre); ce sont donc ces genres de films qui seraient à blamer, et non les films d'auteur, évidemment, puisque ce ne sont jamais ces derniers qui font des recettes records en salle, localement de toute manière. Notons également un facteur plus important qu'il n'y paraît: le printemps (et l'été) érable. La mobilisation de dizaine de milliers de citoyens les a occupé à autre chose qu'aux films en salles. Sans émettre de jugement de valeurs, mes rencontres, lectures et discussions sur le sujet me laissent persuadés que les gens qui étaient dans les rues sont justement plus des amateurs de films québécois et internationaux que de films d'action américains préfabriqués. Enfin, nous avons aussi eu une campagne électorale pour occuper les gens à autre chose, et un très bel été en terme de température. Mon expérience de gérant de cinéma me laisse également croire que ces facteurs ont joués un rôle important dans la fréquentation des salles de cinéma, et donc, dans le succès des films d'ici.
Pour revenir aux Jutras de cette année, devant une telle brochette de films de qualité, voici donc mes choix (parfois difficiles) dans les catégories principales. Même si je ne fais pas de prédictions, je peux toutefois souligner que les probabilités pour la meilleure réalisation, le meilleur scénario et le meilleur film sont clairement en faveur de Rebelle, vu sa reconnaissance internationale et sa présence aux Oscars.
Devant la caméra
Meilleure actrice. Rachel Mwanza, Rebelle.
Étrangement, même si je ne sais pas si ça aurait été mon premier choix, j'ai été étonné de ne pas retrouver Evelyn Brochu dans la liste des finalistes dans cette catégorie. Le fait que je n'ai pas vu la performance de Micheline Bernard et Dominique Quesnel limite donc mon choix. J'ai bien aimé découvrir Marilyn Castonguay, convaincante dans l'Affaire Dumont, et Suzanne Clément offre une performance remarquable dans Laurence Anyways, mais je donnerais tout de même le Jutra à Rachel Mwanza, qui porte Rebelle sur ses épaules et qui le fait avec beaucoup d'intensité. Son interprétation est émouvante et attachante, rafraichissante même.
Meilleur acteur. Gabriel Arcand, Karakara.
Bon, disons-le tout de suite, tous les autres sont excellents, alors peu importe le lauréat, je suis déjà content d'avoir pu voir leur performance dans leurs films. J'ai un faible pour Arcand, que j'ai toujours trouvé bon, et qui semble passer à travers un rôle intimiste et subtil avec une étonnante facilité. On ne sent jamais l'acteur, on ne remarque pas sa présence, et dans le cas qui nous occupe, le fait qu'il joue un voyageur en terre étrangère - au Japon en plus, lieu d'une culture qui m'intéresse depuis longtemps, et à Okinawa, où j'ai un ami - jouait en faveur d'Arcand. Sinon, Ali Ammar était impressionnant pour un acteur sans expérience (fait que j'ignorais quand j'ai vu Roméo Onze).
Meilleure actrice de soutien. Sabrina Ouazani, Inch'Allah.
Je n'ai vu que trois performances dans cette catégorie, alors une fois de plus, mon choix est plus limité. J'ai beaucoup aimé Laurence Anyways et l'ensemble des actrices de soutien y étaient excellentes, mais le rôle défendu par Ouazani dans Inch'Allah était plus dur, plus complexe et plus exigeant, surtout qu'elle y jouait un personnage ambigu auquel on s'attache sans toutefois embrasser l'ensemble de l'évolution.
Meilleur acteur de soutien. Serge Kanyinda, Rebelle.
Kanyinda nous livre dans Rebelle un personnage étonnant et que l'on apprend à comprendre au fil du film, en s'y attachant malgré nous et malgré ses contradictions. Malgré un excellent scénario à la base, le personnage, comme celui de rachel Mwanza, doit beaucoup, au final, à la performance criante de vérité de son interprète.
Derrière la caméra
Meilleur scénario. Kim Nguyen, Rebelle.
Quand j'écrivais plus haut que l'année 2012 était une belle année pour le cinéma québécois, la chose est évidente quand on regarde les cinq films en nomination dans cette catégorie. Si on pense aussi que ni L'affaire Dumont ni Inch'Allah ne sont présents dans cette catégorie, la liste de scénarios de qualité devient impressionnante pour une seule année. Je choisi Rebelle pour l'aspect universel de son histoire, la finesse des dialogues et du traitement du sujet et la nécessité de rappeler au monde que cette situation perdure et nous concerne tous. Les autres films m'ont semblé moins ambitieux en terme de traitement et de dialogues, sans qu'ils ne soient faibles pour autant, c'était le traitement que leur histoire demandait, tout simplement.
Meilleur réalisateur. Kim Nguyen, Rebelle.
Une fois encore, la brochette de nomination est impressionnante, et une fois encore, on pourrait y ajouter deux noms: Anais Barbeau-Lavalette et Claude Gagnon. Si je préfère la réalisation de Nguyen, c'est essentiellement parce que ce film m'apparaissait plus ardu à réaliser et mener à terme, les acteurs (inexpérimentés) probablement plus difficile à diriger, bref, le talent exigé pour réaliser ce film me le fait choisir, compte tenu que Nguyen l'a fait avec brio. Comme toujours, Podz signe un film très bien maîtrisé et Xavier Dolan un film éminemment personnel et plein de trouvailles cinématographiques, mais le défi de Nguyen était tout autre, il me semble.
Meilleur film. Inch'Allah.
J'avoue avoir longuement hésité entre Rebelle et Inch'Allah. Si mon choix se porte sur le drame de Anais Barbeau-Lavalette, c'est surtout parce que c'est le film qui m'a le plus brassé. Les aléas de la relation père-fils et de la dépression dans Camion m'ont ému et renvoyé à mes propres fantômes et à ma propre relation avec mon père. Roméo Onze m'a donné l'opportunité d'explorer une autre réalité dans le Montréal que j'habite en plus de me rappeler certains sentiments d'adolescence. Laurence Anyways m'a questionné sur mes valeurs et rappelé les difficultés d'une relation amoureuse au delà des idéaux. Aucun de ces trois films (ni Karakara ou l'Affaire Dumont, qui ne sont pas en nomination dans cette catégorie mais qui sont néanmoins excellents) n'ont réellement défié mes valeurs ou ma vision des choses. Or, des deux films que j'ai préféré cette année, Rebelle m'a plus conforté sur mes valeurs, ma vision du monde et de moi-même. Inch'Allah, malgré une trajectoire en partie prévisible - et en partie étrangement réconfortante pour ces valeurs et cette vision du monde auxquels je réfère ici - se retourne et met au défi le spectateur, le citoyen du monde engagé, bref, renverse plus que les autres films en nomination, malgré quelques détails moins subtils que ceux-ci. Strict choix personnel, donc, mais assumé.
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Et vous, votre choix du meilleur film cette année?