Avec la création, par le gouvernement, d'un comité pour la fiscalité écologique, la fiscalité environnementale est maintenant au coeur de la réflexion collective sur la transition énergétique. Tous les acteurs et experts concernés s'y intéressent enfin. Pourtant, cette fiscalité a été longtemps déconsidéré en France. Youri Pacha, journaliste indépendant, a voulu en savoir davantage sur cette question.
Il interroge pour cela Rodrigue Coutouly, un blogueur très actif, connu pour ses multiples interventions sur l'écologie politique, qui s'intéresse à la fiscalité environnementale depuis prés d'une décennie. Youri Pacha est donc descendu à Marseille pour réaliser l'interview, d'un acteur estimé de la blogosphère.
Le gouvernement a entamé, depuis la conférence environnementale de septembre, un long travail de concertation. Que pensez-vous du déroulement du débat sur la transition énergétique? Ce débat est une véritable chance pour la France. Enfin, par des débats publics, des manifestations décentralisées et l'utilisation d'internet, on se donne les moyens, dans notre pays, de réfléchir collectivement sur une question de société majeure qui aura des impacts à long terme sur le bien-être des citoyens.
On peut cependant avoir deux regrets: le refus de participer de certaines associations antinucléaires et l'organisation un peu technocratique du débat.
Le débat prend pourtant de multiples formes variées, il devrait permettre à tous de s'exprimer. Pourquoi ces critiques? Je ne suis pas convaincu de la pertinence des différents thèmes des groupes de travail. Séparer la question de l'efficacité énergétique du thème du financement de la transition me semble par exemple une erreur. Le coût de l'isolation des bâtiments anciens est considérable, il faut envisager ces questions de manière globale.
D'autre part, il y a une séparation très nette entre les groupes de travail et la concertation citoyenne (débats physiques et internet). En 2007, lors du Grenelle de l'Environnement, j'avais pu envoyer directement ma contribution au groupe de travail qui a proposé le bonus-malus automobile. Aujourd'hui, on ne voit pas bien comment la réflexion citoyenne va pouvoir alimenter la réflexion des experts.
Pourquoi ce regret sur l'absence des associations antinucléaires? Le désengagement, avant même le démarrage du débat, d'associations importantes comme Greenpeace est déplorable. Sur le principe d'abord, c'est une manie très française, de considérer toute tentative de compromis comme une compromission. De plus, cela déséquilibre le rapport de forces entre pro et anti, au bénéfice des premiers. Or, le nucléaire est une question cachée très ...
Ces associations ont fortement critiqué le pilotage du débat par des pro-nucléaires, ont-elles tort sur ce point? Il est vrai que de nombreux membres du comité sont probablement pro-nucléaires, Anne Lauvergeon, le président du comité d'expert Alain Grandjean par exemple. Mais ce n'est pas le cas de Bruno Rebelle. Pour moi, le problème n'est pas là, le problème, c'est la place du nucléaire dans ce débat.
Mais, justement, aucun thème de travail du débat ne concerne le nucléaire. Je ne vois pas en quoi, il s'agit d'un problème! La transition énergétique française va dépendre fortement du devenir du nucléaire. La majorité des centrales nucléaires ont été construite dans les années 80 (au début du premier septennat de Mitterrand). A l'époque, on considérait qu'elles avaient une durée de vie de trente ans. Les pouvoirs publics sont donc devant des choix essentiels pour notre avenir, des décisions qu'ils vont devoir prendre dans la décennie à venir: soit remplacer les centrales anciennes par des nouvelles, soit réaliser une transition non nucléaire, comme font les Allemands et d'autres pays.
Cette décision cruciale n'est pas abordée: si vous lisez les objectifs et les thèmes du débat, le (gros) mot de nucléaire n'est pas cité une seule fois.
Quels conseils pouvez-vous donner aux organisateurs du débat? Je ne sais pas si je suis en droit de le faire. Mais je pense qu'il faudrait d'abord donner davantage de place à la sphère du Net, en autorisant des débats internet thématiques et non un seul débat global. Il faudrait avoir accès aux comptes-rendus des séances de travail, avec la possibilité de réagir à ces travaux. Ensuite, il faudrait avoir le courage de créer un nouveau groupe de travail autour de cette question du nucléaire, car l'implicite n'est pas bon signe pour une question aussi vitale pour l'avenir énergétique du pays.
Le gouvernement a mis en place un comité pour une fiscalité écologique. Pour vous qui avez créé le site fiscalité environnementale, il y a cinq ans, c'est probablement une bonne nouvelle. Quelle place faut-il d'ailleurs accorder à la fiscalité dans ce débat sur la transition? Je me félicite de la prise de conscience, par l'opinion publique, de l'importance de la fiscalité écologique. C'est un outil de gouvernance essentiel. On sort d'une période pénible où, chaque fois que l'on parlait de fiscalité, on était taxé, le jeu de mots est facile, d'être un traître qui voulait accroître les impôts. L'Etat et les contribuables ont des rapports très infantiles sur cette question. Il faut, des deux côtés, faire davantage preuve de responsabilité.
Pour la transition, la question du financement est cruciale et ... irrésolue à ce jour. Or, ma conviction, depuis des années, est que seule la fiscalité va permettre de résoudre ce problème. C'est la fiscalité qui doit servir à financer la transition.
Il y a beaucoup de cécité et de représentations fausses sur la fiscalité dite "verte". Je me bats depuis des années pour promouvoir une fiscalité qui ne soit pas punitive et infantilisante. Je combats aussi les projets qui veulent mélanger les "taxes" sur le travail avec la question des émissions de carbone, ces deux sujets n'ont rien à voir entre eux et cela entraînerait des confusions regrettables, au détriment de la clarté et des valeurs de l'écologie politique. Mon site, fiscalité environnementale, est le coeur de cette bataille difficile.
Je ne comprends pas bien comment la fiscalité va pouvoir financer la transition? Il faut, par exemple, que les taxations des émissions de carbone, soient redistribués aux contribuables qui réaliseraient des investissements permettant de limiter ces émissions. Ce type de démarche commence à se développer dans d'autres pays et Christian de Perthuis, qui anime le comité pour la fiscalité, ne semble pas y être opposé.
Quels conseils pouvez-vous donner à tous ceux qui veulent agir dans le cadre de l'écologie politique? Il faut investir l'opinion publique qui s'exprime aujourd'hui d'une manière moins descendante qu'autrefois. Les forums, les blogs et les sites de presse sont des lieux de combat où les inquiétudes sur l'avenir de la Planète doivent devenir majoritaires. Tout le monde vient lire ces sites, les experts repliés sur leurs savoirs exclusifs sont des survivances du monde ancien. La pensée collective, la Noosphère que Edgar Morin a mis en évidence, est une réalité partagée. Les experts officiels doivent débattre avec les citoyens concernés et impliqués : la démocratie participative doit devenir une réalité.
Propos recueillis par Youri Pacha.