Quelle est cette force inconnue qui constitue l’essence et la volonté des détracteurs de la musique électronique ? C’est en engageant la conversation avec ma belle-mère sur un morceau du dernier EP de l’australien Cottam, Ubuntu EP – à écouter le plus rapidement possible – que me vint cette interrogation. Surprise totale quand elle m’annonce que tout ce qui est purement électronique reste de la fausse musique. Difficile de garder son calme quand celle-ci constitue votre passion, rythme vos journées depuis plusieurs années maintenant, et fait vibrer vos matinées les plus fraîches en jetant tout symptôme du sommeil aux oubliettes. Mais au-delà de son jugement, la lumière se fit sur tous les antis et haineux du mouvement musical et social qu’est la techno. Leur critique est bordée d’aprioris, jalonnée de rumeurs et ponctuée de faux-semblants qui feraient frémir un amateur de Kraftwerk resté à l’Est du mur à la sortie d’Autobahn. Le temps passe, les générations avec, et l’électronique musical est maintenant une voie à part entière que bon nombre de musiciens et amateurs se doivent de voir, et d’emprunter son sillon. Et ça, Jim Morrison vous l’avait dit bien avant moi.
Quand Jim Morrison prédit l’avenir de la… par Gentside
Mais il est un mal ardent dont les personnes qui haïssent la techno sont indifférentes, dont les personnes niant son apport dans le paysage culturel sont insensibles. Un mal grandissant, propre à la sphère même des acteurs et amateurs de la techno, aux djs, journalistes spécialistes, simples ravers ou jeunes loups qui prennent leur pied pour la première fois devant un live de Chloé. Celui-ci n’est autre que la haine, la dévalorisation et l’indifférence envers le platiniste.
Quel magnifique mot que platiniste, d’abord. Arboré d’un suffixe des plus représentatifs de la classe travailleuse et décoré du non moins brillant platine. Le platine, matière plus chère que l’or, et la platine, machine infernale par ses rotations infinies et pourtant si belles, support indispensable au début du siècle dernier pour que la musique stimule l’oreille.
La consonance du mot ensuite. Ici, elle nous pousse à affirmer, bien qu’influencés par un brin de chauvinisme défenseur de la langue française, qu’il est aisé de préférer platiniste à disc jockey. « Bonjour, je m’appelle Ivan, et je suis platiniste » vaut mieux qu’un « Salut, moi c’est Brandon, dj ».
L’histoire maintenant. Et il convient de mettre les choses au clair. L’argumentation d’un scientifique se pose par un calcul, et il possible aujourd’hui de faire un once d’histoire de la musique électronique, bien que contemporaine. Historiquement parlant, le platiniste est le plus fervent représentant de la représentation live, même si aujourd’hui, un live d’un artiste est un travail de composition directe avec l’utilisation de machines d’où sort directement la musique. On parle alors, concernant la prestation d’un artiste concentré uniquement sur la sélection des morceaux et leur juxtaposition, d’une prestation en dj set. Mais où ce mouvement trouve t-il ses origines ? Comment l’idée de jouer en même temps deux morceaux totalement différents afin d’en faire sortir un « troisième », a pu sortir de la tête de quelqu’un ? Comment la technique est devenue importante, quand bien meme la considération pour cet art à part entière était plus basse que zéro, n’ayant aucun véritable instrument de musique sous la main. Comment la sélection des morceaux, sous l’égide d’une excellente oreille musicale, d’un bon goût pour le rythme et d’une grande culture musicale, a pris de plus en plus d’importance. Guillaume Kosmicki, dans son génial ouvrage Musiques Electroniques, Des Avant-gardes aux Dance floors paru pour la première fois en 2009 aux éditions Le Mot et le Reste (une véritable bible), nous éclaire sur le sujet.
La période charnière de notre interrogation reste les années 1950-1960. L’enregistrement voit le jour en véritable révolution pour la musique, et les musiques électroniques. L’être humain n’avait jamais écouté autant de musique au cours de son existence avant son sa découverte. Les conséquences en ont été multiples aussi bien quant à la fonction sociale de cet art qu’à son évolution esthétique. Aujourd’hui, la musique est partout, dans la vie de tous les jours, chez soi, au travail, dans les déplacements, dans les loisirs. On assiste alors à la démocratisation sans précédent de la consommation musicale.
Les années cinquante sont marquées par une nouvelle orientation de l’enregistrement en studio dans laquelle le son fixé n’à plus grand-chose à voir avec la performance scénique. Cela débute notamment avec les expérimentations du guitariste Les Paul et l’invention de l’enregistrement multipistes, qui se poursuivra de manière éclatante avec le rock’n’roll. A la même époque, le jazz et la musique classique ne sont pas en reste, cherchant un idéal d’interprétation. Cette voie amorcée dans le perfectionnement des sons fixés se concrétise dans les années soixante lorsque, quasiment en même temps, le pianiste Glenn Gould et les Beatles abandonnent définitivement leur carrière scénique au profit d’une carrière basée exclusivement sur l’enregistrement, car la scène ne leur permet pas d’atteindre l’idéal artistique qu’ils obtiennent sur leurs disques. Le virage s’effectue alors en 1964 pour Gould et en 1967 pour les Beatles, au moment de la sortie de Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band.
A l’opposé, car favorisant justement une pratique entièrement live, se placent parmi ces expériences de précurseurs le phénomène des DJ jamaïquains qui, dans les ghettos de Kingston, dès le milieu des années cinquante, vont transformer le support du disque en un véritable instrument de musique sur lequel ils vont agir directement en improvisant du chant (toasting), des cris, en faisant intervenir le public, en coupant et en mixant les différents morceaux (du jazz, du rhythm’n’blues et du rock à l’origine, puis plus tard du ska, du reggae et du dub, plus électroniques). Le but premier est de remplacer les orchestres, trop coûteux pour ces quartiers pauvres. Le résultat est la naissance de nouveaux gestes musicaux ainsi qu’une nouvelle esthétique autour de la manipulation du disque comme support, outil, voire comme véritable instrument. Elle aura bien évidemment de nombreux et très forts retentissements jusqu’à nos jours (disco, rap, house, techno, etc).
Il est donc ici question de remettre les choses dans le bon ordre, en ayant recours à une certaine plaidoirie pour le « mouvement » du platinisme, défendant le mouvement pour son histoire mais aussi son avenir. C’est un appel à tous pour la défense d’un genre, d’un art, d’une culture musicale. Mais c’est aussi une vive critique à l’égard de ses détracteurs, simples ignorant ou mauvais djs qui osent vilipender critiques et attaques à l’encontre de quelque chose qu’ils ne connaissent pas, et qu’ils ruinent de toute part en déféquant de mauvais « mix », se croyant beaux et bons pour la gloire en mettant un gros coup de filtre ou de fazer. Vous tous, sombres ignorants qui disent avoir la passion de la musique électronique, intéressez vous à son histoire. Le platinisme en fait partie, et il est loin d’être enterré. Encore moins quand on pense aux sets de Brenn et César et Gilb’R au 12Club de vendredi.