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Billet de l’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance…

Publié le 17 mars 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Tes bottes gisent derrière toi.  Emprisonnées dans la neige.  En chaussettes au milieu du sentier, tu essaies d’avancer puis, désemparé, tu Billet de l’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance…te tournes vers moi.  Tu es encore si petit.  Trop petit pour toute cette neige.

Je te rejoins.  Le temps de récupérer tes bottes, de les enfiler dans tes pieds, de resserrer leurs attaches, et te voilà reparti.  Encore une fois, tu insistes pour marcher devant.  Même au risque de t’enliser, tu refuses de suivre mes traces.  Tu avances sans te soucier de moi, tout à tes découvertes.

Dans la forêt alourdie du trop-plein des neiges tombées, le vent invite à la danse les cimes des épinettes.  Sitôt,  elles s’animent, se secouent, se déhanchent, éparpillant au-dessus de nos têtes une nuée de flocons.  Toi, émerveillé, tu regardes ces étoiles éphémères se poser doucement sur le ciel bleu de ton parka.

Ensuite, tu reprends la route.  Autour de toi il y a tant à découvrir.

Plus loin, nous croisons quelques pistes fraîches.  Ici, un lièvre et un renard ont traversé le sentier avant de s’enfoncer dans les bois.  Tu veux savoir ce que racontent leurs traces.  Où est passé le lièvre et pourquoi il s’est attardé sous les conifères, si le renard l’a suivi, s’il a fini par l’attraper.

Tu as toujours des tas de questions en réserve.

Un coup de vent agite à nouveau les cimes des épinettes.  Tu lèves la tête, fasciné par tous ces flocons qui, traversés par un rayon de soleil, flottent maintenant dans l’air en fine poussière aux éclats cristallins.

Bientôt tu connaîtras les neiges qui tombent en rafales, celles qui nous fouettent le visage et nous forcent à accélérer le pas.  Celles qui, lourdes et collantes, agglutinées en peaux de lièvre, estompent ou voilent le contour des choses.  Celles que le blizzard soulève en tourbillons au milieu des grands champs.  Celles qui, au cœur des tourmentes, ciel et terre confondus, nous inventent un blanc pays où la devise est « Je me perds »…  Toutes ces neiges que, sur le sol, le vent prend plaisir à façonner à sa guise en vagues, dunes et récifs, en collines, vallons et congères.

Tu connaîtras aussi les jours de grand froid, les mains glacées, les joues rougies, les pieds gelés.  Les nuits de février où, transi, on se retire, se replie, se retranche, se recroqueville.  Et peut-être encore des hivers qui s’attardent, s’acharnent, s’entêtent et s’éternisent.

Tu t’es arrêté.  Immobile, tu m’attends.

À l’écart du sentier, une perdrix dans la neige a déployé ses ailes avant de s’envoler.

Billet de l’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance…
Tu as grandi.  Si vite que je n’ai pas eu le temps de te raconter dans les mots des nomades le cycle des neiges.  Kun, kun-nipi, kunapui, kun-nipiu, kun-nipiuakamu. Des neiges fondantes aux neiges fondues, des neiges mêlées d’eau aux eaux mêlées de neige.  Toutes ces eaux qui bientôt couleront de la montagne et viendront gorger les ruisseaux et les rivières jusqu’au débordement.

Le temps a passé si vite.  Déjà ta première peine d’amour.

Et moi qui n’ai pas eu le temps de te dire que, passé la crue des eaux, on finit toujours par oublier le souffle rauque de l’hiver.

Notice biographique

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par
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les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies qui illustrent ses textes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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