Tes bottes gisent derrière toi. Emprisonnées dans la neige. En chaussettes au milieu du sentier, tu essaies d’avancer puis, désemparé, tu te tournes vers moi. Tu es encore si petit. Trop petit pour toute cette neige.
Je te rejoins. Le temps de récupérer tes bottes, de les enfiler dans tes pieds, de resserrer leurs attaches, et te voilà reparti. Encore une fois, tu insistes pour marcher devant. Même au risque de t’enliser, tu refuses de suivre mes traces. Tu avances sans te soucier de moi, tout à tes découvertes.
Dans la forêt alourdie du trop-plein des neiges tombées, le vent invite à la danse les cimes des épinettes. Sitôt, elles s’animent, se secouent, se déhanchent, éparpillant au-dessus de nos têtes une nuée de flocons. Toi, émerveillé, tu regardes ces étoiles éphémères se poser doucement sur le ciel bleu de ton parka.
Ensuite, tu reprends la route. Autour de toi il y a tant à découvrir.
Plus loin, nous croisons quelques pistes fraîches. Ici, un lièvre et un renard ont traversé le sentier avant de s’enfoncer dans les bois. Tu veux savoir ce que racontent leurs traces. Où est passé le lièvre et pourquoi il s’est attardé sous les conifères, si le renard l’a suivi, s’il a fini par l’attraper.
Tu as toujours des tas de questions en réserve.
Un coup de vent agite à nouveau les cimes des épinettes. Tu lèves la tête, fasciné par tous ces flocons qui, traversés par un rayon de soleil, flottent maintenant dans l’air en fine poussière aux éclats cristallins.
Bientôt tu connaîtras les neiges qui tombent en rafales, celles qui nous fouettent le visage et nous forcent à accélérer le pas. Celles qui, lourdes et collantes, agglutinées en peaux de lièvre, estompent ou voilent le contour des choses. Celles que le blizzard soulève en tourbillons au milieu des grands champs. Celles qui, au cœur des tourmentes, ciel et terre confondus, nous inventent un blanc pays où la devise est « Je me perds »… Toutes ces neiges que, sur le sol, le vent prend plaisir à façonner à sa guise en vagues, dunes et récifs, en collines, vallons et congères.
Tu connaîtras aussi les jours de grand froid, les mains glacées, les joues rougies, les pieds gelés. Les nuits de février où, transi, on se retire, se replie, se retranche, se recroqueville. Et peut-être encore des hivers qui s’attardent, s’acharnent, s’entêtent et s’éternisent.
Tu t’es arrêté. Immobile, tu m’attends.
À l’écart du sentier, une perdrix dans la neige a déployé ses ailes avant de s’envoler.
Tu as grandi. Si vite que je n’ai pas eu le temps de te raconter dans les mots des nomades le cycle des neiges. Kun, kun-nipi, kunapui, kun-nipiu, kun-nipiuakamu. Des neiges fondantes aux neiges fondues, des neiges mêlées d’eau aux eaux mêlées de neige. Toutes ces eaux qui bientôt couleront de la montagne et viendront gorger les ruisseaux et les rivières jusqu’au débordement.Le temps a passé si vite. Déjà ta première peine d’amour.
Et moi qui n’ai pas eu le temps de te dire que, passé la crue des eaux, on finit toujours par oublier le souffle rauque de l’hiver.