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Quelle démocratie étudiante ?

Publié le 17 mars 2013 par Jlaberge
QUELLE DÉMOCRATIE ÉTUDIANTE ?(Texte de mon intervention jeudi prochain dans le cadre du Café-Philo  sur le thème «Quelle démocratie étudiante?». Jeudi le 21 mars, café l'Exode, de 11h 45 à 13h 30.)

Le «printemps érable» de l'an dernier a révélé des failles béantes et flagrantes dans les procédures démocratiques des associations étudiantes : votes à main levée; assemblée «paquetée»; faible taux de participation d’à peine 10% des effectifs; refus du vote électronique etc. En novembre 2012, l’AGECVM récidivait. Les quelques 7000 étudiants du cégep du Vieux Montréal furent en grève durant trois jours, les 20, 21 et 22 novembre derniers. La décision de lever les cours fut entérinée par un vote en assemblée générale, lors de laquelle un peu plus de 1000 membres de l'association étudiante se sont prononcés: 708 pour, 333 contre et 19 abstentions. Les élèves revendiquent le retrait des charges criminelles et pénales liées au conflit étudiant dans le cadre de cette grève. Quelques 700 étudiants en assemblée ont donc imposé une suspension de cours pendant trois jours aux 7000 étudiants du cégep! Voilà la fameuse «démocratie» au Vieux Montréal!
La Conférence des recteurs et principaux d'universités (CREPUQ) demanda au ministre de l'Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, d'encadrer la démocratie étudiante. Candidat à la direction du Parti libéral du Québec, Raymond Bachand réclame lui aussi des changements. Il préconise d'instituer le vote secret électronique. Le député estime que cette façon de faire éviterait l'intimidation et contribuerait à hausser la participation.
On ne peut souhaiter que ces interpellations soient entendues par les autorités politiques et qu’un ménage dans les écuries d’Augias des associations étudiantes soit enfin effectué rapidement. Faut-il attendre une commission d’enquête publique qui se pencherait sur les associations étudiantes au Québec?
L’un des vices que l’on reproche à la démocratie est donc manifeste à l’AGECVM : la tyrannie de la minorité. Ce vice est celui de toute démocratie, pas seulement de celle au Vieux Montréal. Rappelons, à cet égard, qu’au dernière élection provinciale, près de 67% des gens ont voté contre le Parti Québécois. Évidemment, pour ce qui concerne le faible taux de participation au CVM, il faut porter le blâme en premier lieu à la vaste majorité des étudiants-es qui ne participent pas aux assemblées. Mais demandons-nous : pourquoi ce faible taux de participation des étudiants? Cette triste réalité devrait interpeler l’exécutif de l’AGECVM. Mais non, aucune remise en question des pratiques démocratiques n’est à l’horizon. Demandez cependant aux étudiants-es du Vieux Montréal et ils répondront en chœur que ces assemblées sont «pipées» d’avance; qu’ils sont dirigés par un clique de militants bien déterminés à parvenir à leurs fins ainsi qu’à leurs propres décisions. La vaste majorité des étudiants-es se voient alors imposer d’office une direction dont les visées dépassent de loin la simple défense des intérêts des étudiants. En un mot, la vaste majorité des étudiants-es en ont ras-le-bol de leur association. Il faut être de mauvaise foi pour ne pas le réaliser.
À titre d’exemple : l’AGECVM se conçoit comme un «syndicat étudiant».[1]Ce qui va bien au-delà des prérogatives de la loi 32, loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants-es. La charte fondatrice du syndicalisme étudiant serait celle adoptée en 1946, la Charte de Grenoble, par l’Union nationale des étudiants de France, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Or, l’AGECVM est au Québec en 2013. Passons. Le but visé, évidemment, par la dite Charte de Grenoble est de faire de l’étudiant-e un «travailleur intellectuel» de telle manière qu’il-elle ait droit à une allocation lui permettant d’étudier «dans l’indépendance matérielle, tant personnelle que sociale». On voit là les prémices de la gratuité scolaire que les Fédérations étudiantes défendaient à défaut du gel des droits de scolarité.
On ne s’étonnera guère que le législateur québécois n’est pas tenu compte de la soi-disante Charte de Grenoble en élaborant la loi 32 puisque le concept d’étudiant-e définit comme «travailleur intellectuel» est grotesque. En effet, il faut convenir que l’étudiant est tout sauf un «travailleur» producteur de biens et services recevant pour se faire une rémunération. Si l’on devait tenir l’étudiant-e comme travailleur, il faudrait alors prélever sur son «salaire» des impôts et des taxes, comme pour tous les travailleurs. Le concept «travailleur intellectuel» est tout simplement aberrant. Par ailleurs, en faisant de l’étudiant-e un «travailleur», ce titre légitimerait le fameux «droit de grève» étudiant qui n’existe pas actuellement au niveau légal dans le Code du travail puisque les étudiants ne sont pas considérés comme des «travailleurs» recevant d’un employeur une rémunération. On le voit l’admission de l’étudiant-«travailleur» a de lourdes conséquences, et ce n’est pas pour rien que l’AGECVM veut faire des étudiants-es des «travailleurs-es».
Puisque les étudiants-es ne dépendent plus de leurs parents, une fois à l’université, ils devraient dépendre, selon l’AGECVM, en tant que travailleurs-es, de l’État devant désormais assurer leur «indépendance tant personnelle que sociale». Or, on ne devient pas automne en vivant aux frais soit de ses parents soit des contribuables. On le devient en travaillant, en gagnant sa vie. Une vérité de La Palice. Maria Montessori (1870-1952), la grande pédagogue italienne, soutenait qu’un jeune qui n’a jamais travaillé, qui n’aurait jamais gagné sa vie, serait difficilement digne d’accéder à un poste quelconque une fois ses études terminées.[2] Il ne faut pas surtout pas dissocier, rappelle la pédagogue, les exigences de la vie réelle avec celles de la vie étudiante.
En tant qu’étudiant, le jeune homme et la jeune femme puisent chez ses prédécesseurs les idées, les théories, les techniques, etc., qui vont leur permettre plus tard d’exercer un métier, et de devenir, à leur tour, véritablement des travailleurs, des «producteurs» d’idées, de théories, de techniques, etc. Entre-temps, l’étudiant-e est à l’université pour assimiler les innovations de ses ancêtres. Pour y avoir droit, il doit payer les frais de sa formation. C’est la moindre des choses. Sinon, l’étudiant-e se comporte en une sorte de pillard s’accaparant illégitimement pour son propre bénéfice des savoirs produits par les hommes et les femmes des générations précédentes qui, très souvent, ont lutté péniblement, à la sueur de leur front, pour faire progresser l’état des connaissances.
Il y aurait bien d’autres points à soulever dans la constitution de l’AGECVM mais ce qui précède suffit à montrer que l’AGECVM s’égare et égare ses membres sur les buts et visés raisonnables et réalistes auxquels on doit s’attendre d’une association étudiante.

J’aimerais toutefois terminer cette intervention par ce dernier point de la plus haute importance en démocratie. Je me réfère au philosophe britannique du 19esiècle, John Stuart Mill, dans son livre qu’on ne lit plus – c’est dommage parce que ce livre est un traité de philosophie démocratique -, On LibertyDe la liberté, publié, soit-dit en passant, en 1859, la même année que la publication de l’Origène des espèces de Charles Darwin. En tout cas, je propose à la direction de l’AGECVM la lecture cet essai fondamental sur la démocratie.
Qu’y lit-on de si important? Dans le deuxième chapitre, intitulé De la liberté de pensée et de discussion, Mill énonce deux principes fondamentaux dans la discussion démocratique.
1)   On ne doit jamais museler une opinion contraire à celle de la majorité;2)   Il n’est légitime de critiquer l’opinion de son adversaire uniquement lorsqu’on comprend à fond cette opinion opposée à la nôtre; autrement dit, lorsqu’on ne connaît que sa propre opinion, on ne la connaît pas, de sorte qu’on n’a pas le droit de critiquer celle de l’autre.
Ainsi, la démocratie, le débat démocratique est extrêmement exigeant. Certaines vont jusqu’à dire que les deux principes de Mill rendent impossible la discussion en démocratie. Je ne suis pas de cet avis. Je crois que ces deux devoirs fondamentaux de la démocratie sont incontournables.
   Or, je crois que, comme je le mentionnais précédemment, pour éviter la tyrannie de la minorité à l’AGECVM, il est de la plus haute importance de mettre en application impérativement les deux principes de Mill.


[1]Voir l’Agenda CVM 12/13, publié par l’AGECVM, p. 56. Cet agenda publié grâce aux cotisations des étudiants-es du Vieux Montréal fait la promotion et la défense des idées ainsi que des valeurs de l’association étudiante. L’AGECVM ne peut pas mieux exercer sa propagande auprès des étudiants-es en leur lavant de la sorte leur cerveau. [2]Maria Montessori, De l’enfant à l’adolescent, Desclée de Brouwer, 2004, p. 169.

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