Dans Changer d’avis, Zadie Smith évoque avec humour et sincérité sa façon d’écrire.
Elle ne donne pas de conseils cette fois, mais explique sa façon de procéder qu’elle appelle le micromanagement.
Elle explique que le plus dur, ce sont les vingt premières pages. Il faut en effet trouver la voix, le ton, la narration. (En cela, elle rejoint deux autres écrivains que j’aime Joyce Carol Oates, et Philippe Djian.) Ces vingt premières pages peuvent être réécrites un nombre incalculable de fois. Puis, quand elle a trouvé le bon ton, la bonne perspective, la bonne voix/voie, elle s’engage et s’immerge. Elle raconte que vers le milieu du roman (pas au sens de centre mais de coeur), elle est si pénétrée de ce qu’elle écrit que plus rien n’existe vraiment du monde réel. L’écrivain est alors infréquentable : “et même si votre femme vous apprend qu’elle couche avec votre frère, son visage n’est qu’un énorme point virgule, ses bras des parenthèses et la question de que vous vous posez est de savoir si le verbe fouiller vaut mieux que feuilleter.” L’ensemble du roman se fait presque tout seul, comme par magie, grâce à une correspondance enchantée entre le verbe, le monde extérieur perçu à travers un prisme monothématique. Tout fait sens, tout s’agence, pour arriver au moment de grâce ou le livre est fini et “les quatre heures et demie qui suivent la rédaction de la phrase finale” : “La dernière fois que j’ai été dans cette situation, j’ai débouché un bon Sancerre que j’avais mis de côté, et je l’ai bu debout en gardant la bouteille à la main avant de m’allonger derrière ma maison sur les pavés, et de rester là longtemps à pleurer. C’était une journée ensoleillée de fin d’automne, et le jardin était jonché de pommes trop mûres qui sentaient mauvais.”
Voilà comment écrit Zadie Smith.
(Elle précise aussi que contrairement à beaucoup d’écrivains, elle lit pendant qu’elle écrit un livre, une peu comme si les livres des autres étaient des arômes à doser : si elle se perd dans le style, elle relit un peu de Dostoievki -qui s’intéresse davantage au fond qu’à la forme-, si elle devient trop sentimentale, elle picore de la littérature sèche, etc… Peu d’auteurs oseraient avouer une telle pratique je pense. Bref, je l’aime.)