Dans sa dernière bande dessinée, Vingt-trois prostituées, Chester Brown raconte son expérience du sexe tarifé après sa séparation avec sa copine. Ce récit autobiographique évoque son cheminement personnel, décrit ses différentes rencontres avec des escorts pendant plusieurs années, mais offre aussi une réflexion sur l'amour tel qu'on le considère généralement et la place de la prostitution dans notre société.
Pour traiter de cette question sujette à controverse, Chester Brown adopte une approche étonnamment sobre, réaliste. Le dessin est ici extrêmement dépouillé, minimaliste. L'album présente, parfois, un côté cru mais évite toute complaisance, prenant le contre-pied de l'érotisation de la prostitution. Ici, pas de glamour. Vingt-trois prostituées se situe aux antipodes des reportages télévisuels sur le sujet, aussi racoleurs que moralisateurs, se vautrant dans la vulgarité tout en condamnant le sexe tarifé et, indirectement, toute forme de sexualité.
L'ouvrage peut avoir valeur de document, dans sa volonté de comprendre la prostitution, mais reste une histoire très singulière, et même intime. L'auteur se dépeint comme un homme réservé qui a souffert sentimentalement et qui ne souhaite plus avoir, pour cette raison, de relations traditionnelles avec les femmes. Il confie ses doutes, ses peurs lorsqu'il cherche à contacter une escort, et évoque aussi la façon dont est perçu son nouveau choix de vie par son entourage, plutôt mal à l'aise. Cette bande dessinée donne dans sa description des rapports entre clients et escorts une vision, me semble t-il, assez juste, très loin des clichés. Chester Brown montre qu'il peut exister une vraie relation humaine, un lien affectif, presque amical.
Si l'auteur se prononce clairement pour la dépénalisation de la prostitution – une partie "annexes" propose à la fin du livre un argumentaire très détaillé pour étayer sa position –, il ne tombe pas dans la vision naïve, voire nostalgique qui tendrait à l'idéaliser. Il offre, selon moi, un regard vraiment lucide sur cette pratique. Par ailleurs, au-delà de la question de la prostitution, Chester Brown pose celle de la nature du sentiment amoureux et remet en cause l'idéal romantique qui lui apparaît faux. L'auteur évoque, d'ailleurs, sa décision de vivre une relation monogame avec une escort après s'être découvert des sentiments pour elle.
Vingt-trois prostituées – titre français auquel on pourra préférer l'original Paying for It – se révèle un récit touchant, mais aussi un ouvrage profond, passionnant, qui appelle à la réflexion. De par son intelligence et son originalité, il m'a vraiment donné envie de découvrir les autres albums de Chester Brown, ainsi que ceux de ses amis Joe Matt et Seth. Une lecture très recommandée, du moins pour les personnes dont l'esprit n'est pas trop étriqué.
Le site des éditions Cornelius :
http://www.cornelius.fr/