La pluie s’effondre sur la ville éternelle. Les façades ocre, les ruelles pavées, les immeubles penchés nagent, impassibles, dans l’orage. Les corps fantômes se moquent de l’averse trop forte. Sous leur parapluie, corolles multicolores, les deux corps se rapprochent d’un état bienheureux : la pluie peut bien devenir pierre, ils s’en moquent. Sur les pavés noirs, luisants, comme recouverts d’huile, brillants petits miroirs qui reflètent le monde, chacun de leurs pas sonne comme une aventure. Sous leurs yeux éblouis, Rome déroule ses charmes. Des couleurs. Des ruines. Des arbres. Des statues oubliées s’amusent encore à narguer les vivants, dans d’étranges postures. Corps dénudés. Corps de marbre. Corps de dieux. Muscles énormes, inhumains. Tridents agressifs. Jambes mêlées de serpents ou de chimères souples. Fontaines monumentales où se baignent des naïades, belles et impudiques, offrant leur nudité en même temps qu’un sourire. Fontaine mythique, cinématographique, dans laquelle les touristes jettent des pièces en même temps que des vœux – la nuit venue, ces mêmes pièces font le bonheur de petits Napolitains chapardeurs cependant que les vœux rejoignent des contrées gouvernées par l’espoir.
Le chercheur d’or
Quel que soit le temps, il déambule dans le dédale chaotique de la ville, où l’œil passe d’un palazzo à l’architecture torsadée caractéristique du style Liberty à un quartier moche, rempli d’immeubles qui se voulaient modernes à une époque – et sont seulement ternes aujourd’hui. Son regard, parfois, ne voit pas la ville, absorbé par les mots et par la solitude de celui qui erre dans sa vie autant que dans les rues.
Il est toujours seul dans cette ville, par choix – pour écrire la solitude est une amie précieuse – et parce que la vie ne lui a rien proposé d’autre jusqu’à présent. Selon l’humeur, il regarde les gens qui, dans cette cité où la mode se veut reine, se distinguent par leur élégance ou leur excentricité, ainsi que par leur dédain. Hommes et femmes sont bien habillés, coiffés, soignés jusque dans le détail luxueux – une chaussure usée est rédhibitoire. Ils le toisent – ce pantalon marron avec un pull bleu marine, quel manque de goût ! – ou l’ignorent. Son seul souci à lui est de les observer, les boire, les manger, pour en choisir certains qui deviendront des héros ou des ombres dans son prochain roman. Car, à chaque pas, il ne pense qu’à cela : les mots, l’histoire, la peur du rien.
Son oeil aiguisé traduira tel nœud de cravate par un caractère psychorigide ; son imagination mêlera, comme dans une improbable orgie de personnalités, les différents aspects de plusieurs inconnus, les embrouillera pour donner naissance à un personnage complexe, ambigu, arlequinesque, que le lecteur pourra aimer et détester en même temps. La rue prend alors les allures d’un laboratoire d’alchimiste : il transformera le réel en rêve, le plomb en or, les gens en dieux, par le truchement double de son esprit et de ses doigts qui polissent le clavier de son ordinateur. Alors les passants peuvent bien le toiser, l’ignorer : il le leur rendra bien.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans. Elle vit actuellement à Milan, en Italie. Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous que vous auriez intérêt à visiter :http://clemencedumper.blogspot.com/ (Clémence Tombereau vient de publier aux Éditions du Chat Qui Louche Fragments, un recueil de billets que vous pouvez vous procurer en version numérique pour un prix plus que modique à l’adresse suivante : http://www.editionslechatquilouche.com/)
(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)
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