Issa Sory a soutenu le 21 février 2013 sa thèse de doctorat sur le thème: "Ouaga la belle ! Gestion des déchets solides à Ouagadougou : enjeux politiques, jeux d’acteurs et inégalités environnementales" à la Sorbonne de Paris. Avec la mention très honorable, il devient ainsi le premier docteur du troisième cycle du département de géographie de l'Université de Ouagadougou.
Comme, l'exige l'Ecole Doctorale de Géographie de Paris, c’est en trois ans qu’Issa Sory vient de boucler une autre étape de sa vie qui est la soutenance de sa thèse de géographie portant sur la gestion des déchets solides à Ouagadougou. Il a indiqué que cette thèse est le prolongement d’une réflexion qu’il a débutée dès son master réalisé sur la gestion des déchets en lien avec la santé en milieu urbain. Revenant sur le contexte historique de la filière des déchets dans la ville de Ouagadougou, il a fait savoir que depuis l’indépendance du pays en 1960, la filière des déchets a connu une alternance entre une gestion privée et publique. C’est à partir de 2005 que les autorités ont décidé d’appliquer un Schéma Directeur de Gestion des Déchets (SDGD). Cette restructuration de la filière est construite autour du concept de « quartier propre » qui implique que le territoire urbain soit subdivisé en territoires de pré-collecte et attribué aux groupements d’intérêt économique et les petites et moyennes entreprises à travers un appel d’offres.
La municipalité s’occupe de la définition du cadre juridique de l’activité et de la construction des infrastructures de collecte, tandis que les acteurs privée offrent le service. Pour les acteurs privés, la réforme, avec ses exigences sur le plan administrative pour répondre aux critères de l’appel d’offres, apparait comme une forme d’exclusion de la filière. L’enjeu de cette tension politique est que les conseillers municipaux sont élus par les citadins parmi lesquels se trouvent les acteurs privés qui sont du reste des leaders d’opinion.
C’est au regard de ces enjeux que le désormais Dr Sory a décidé de se focaliser sur l’aspect politique de la filière à travers une approche systémique. Pour son travail, il a choisi des secteurs aux centres (secteurs 2, 3, 7 et 8) et à la périphérie (secteurs 16 et 21) pour pouvoir faire une comparaison entre centre et périphérie de Ouagadougou. Les résultats auxquels il est parvenu sont que la persistance des acteurs informels dans la filière des déchets remet en cause le SDGD et que l’assainissement urbain en général et la gestion des déchets en particulier constitue un support de légitimation du pouvoir politique à Ouagadougou. Pour lui, la réforme de la filière permet d’observer une inégalité d’accès au service de collecte des déchets et d’exposition aux nuisances liées aux décharges sauvages selon le tissu urbain. Il justifie cela par le fait que les centres de collecte sont inégalement repartis sur le territoire urbain. La quasi-totalité de ces centres est localisée dans la « ville légale », précisément dans la zone lotie. « L’organisation technique de la filière des déchets marginalise les quartiers irréguliers. Les résidents des cités sont quant à eux hostiles à l’implantation de ces centres du fait des nuisances qu’ils occasionnent. Les zones loties, quartiers d’implantation des centres de collecte, constituent, en réalité, les territoires urbains d’exercice des pouvoirs locaux », a-t-il relevé. En observant les modes d’élimination des déchets selon le tissu urbain, Issa Sory a remarqué que la logique de rentabilité qui anime les pré-collecteurs participe à l’amplification de la marginalisation des quartiers irréguliers.
« Le SDGD est inadapté au contexte de Ouagadougou »
La réforme de la filière des déchets à Ouagadougou montre une uniformisation des modes d’élimination des déchets dans la « ville légale » où au moins 75% des Ouagalais enquêtés sont abonnés pour l’élimination des déchets ; tandis qu’aucun pré-collecteurs n’intervient dans les quartiers irréguliers. Le brûlage constitue le mode d’élimination des déchets des Ouagalais des quartiers irréguliers. En conclusion, Issa Sory a déclaré que la réforme de la filière des déchets à « Ouaga la belle ! » a aboutit à une gestion sélective de la ville avec des cités assainies, des zones irrégulières exclues de la nouvelle filière et des quartiers lotis transformés en dépotoirs de la « ville légale ». Ainsi, le SDGD est inadapté au contexte de Ouagadougou.
Pour lui, « le modèle libéral de construction de Ouagadougou, qui se décline en politique et économie urbaine, constitue la cause principale du dysfonctionnement de la ville. Les solutions pour une meilleure organisation des services urbains doivent ainsi être envisagées au-delà de ces services et les réflexions sur la ville, pour être cohérentes, doivent intégrer des paramètres au-delà des limites administratives de la ville. Il s’agit de « repenser » “radicalement” les politiques urbaines nationales. Ce postulat impose de “revisiter” l’orientation macro-économique du pays en vue de doter les grandes, moyennes et petites villes de poumons industriels en fonction de leurs spécificités et potentialités et de moderniser l’agriculture pour créer les conditions favorables à la sédentarisation des populations des campagnes. Ce qui implique aussi la promotion de la participation citoyenne à l’identification, la conception et la réalisation de projets urbains, à l’élaboration des instruments de la planification urbaine et aux opérations d’aménagement urbain. Cette orientation politique considère la réactivité des citadins et l’existence d’organisations de la société civile sur la scène urbaine comme un atout et non un obstacle à la gouvernance urbaine. C’est entre autres au prix de ces réformes/transformations qu’il sera possible de construire, à moyen et long terme, des villes véritablement fonctionnelles avec des services urbains de qualité … »
En termes de perspectives, Il a souhaité poursuivre cette étude sous l’angle de l’écologie politique pour mieux éclairer sa dimension sur les inégalités environnementales ; mais aussi l’élargir à d’autres services à Ouagadougou, dans d’autres villes du pays et dans celles des pays de la sous-région.
Raphaël KAFANDO