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Au bout du conte

Par Tedsifflera3fois

Quand le prince de Cendrillon devient le petit chaperon rouge… Jaoui et Bacri examinent toute l’influence des fables sur nos comportements et nos vies bien réelles. Dur de démêler le vrai du faux, les convictions fondées qui nous permettent d’avancer des croyances qui nous figent. Au bout du conte se déploie dans cette incertitude en une merveille d’humour et d’intelligence.

Synopsis : Il était une fois…. une jeune fille qui croyait au grand amour ; une femme qui rêvait d’être comédienne ; un jeune homme qui croyait en son talent ; son père qui ne croyait en rien.

Au bout du conte - critique
Le dernier film d’Agnès Jaoui s’intéresse aux croyances, à toutes ces petites légendes qui nous influencent forcément un minimum, que l’on soit un mystique assumé ou un rationaliste affirmé. Comment en serait-il autrement? Certes il y a la religion, mais pas seulement. Tous nous sommes éduqués dans un nuage de fables et de récits merveilleux. Du Père Noël à Cendrillon, nous apprenons à croire ou à remettre en question, souvent même à croire puis à remettre en question les mêmes choses.

Les histoires nous entourent, qu’elles soient mythologiques, littéraires ou bien le simple fruit du récit d’un proche. Entre les souvenirs, les ouï-dires, les rêves et les fantasmes, il s’agit toujours de croire, d’interpréter, d’essayer de démêler le vrai du faux.

Au bout du conte repose sur 4 personnages, du plus cartésien à la plus fantasque, chacun se débattant avec son propre monde et les quelques proches qui le peuplent.

Il y a d’abord Pierre (Jean-Pierre Bacri n’innove pas vraiment mais il est comme toujours excellent, peut-être plus drôle encore que d’habitude), le pur rationnel dont la vie prend une tournure inattendue quand il se met à se soucier malgré lui de la prédiction d’une voyante. Il a beau n’y attacher aucune crédibilité, il n’arrive pas à ne pas y penser. Victime d’un conte qu’il sait faux, il sombre petit à petit et se remet en cause. Autour de lui, deux femmes qui l’ont aimé mais qui n’arrivent pas à percer la carapace.

Ensuite il y a Sandro, le fils de Pierre, qui ne croit pas… en lui. Pas vraiment misanthrope comme son père, il souffre pourtant d’une difficulté à communiquer similaire. Il se débat tout du long pour dire des choses importantes aux gens qui l’entourent (notamment les musiciens de son orchestre, sans doute les personnages les plus sincères du film), le plus souvent sans y arriver.

Marianne a voulu l’indépendance. Tout comme Pierre, elle se rend compte au cours du film qu’il n’est pas si agréable d’être seul. Elle est entourée d’un ex-mari encore amoureux et d’une petite fille victime d’une subite foi religieuse, comme l’expression d’un malaise et d’une insécurité. Marianne est aussi un personnage faible qui croit à toutes sortes de choses, sa croyance la plus encrée étant celle de sa propre incapacité à se débrouiller. Elle aussi victime d’idées fausses, elle voit son personnage perdre peu à peu en importance.

Enfin, il y a sa nièce, Laura, interprétée par une Agathe Bonitzer lunaire et magnétique. Il y a chez l’actrice une douce bizarrerie qui donne à ses personnages une singularité touchante. Laura croit à tout, ce qui revient un peu à ne croire en rien. A force de vouloir vivre dans un conte de fée, elle en brise toutes les règles et réduit le merveilleux à son bonheur égoïste. Elle est la fausse héroïne du film, l’anti-modèle, le fantasme superficiel. Son monde se compose de chimères : sa mère n’a pas d’âge, son père n’existe que par ce qu’en disent les journaux, l’homme qui la fascine est un archétype du vide et de ses beaux atours.

D’un côté du spectre (le côté Bacri), des solitaires qui peinent à créer des liens véritables avec les autres, à l’autre bout (le côté Bonitzer), des gens séduisants, très entourés, qui ne se soucient que d’eux-même et de leur image. Ce qui les intéresse, ce n’est pas ce qu’ils croient, mais ce que croient les autres. Leur système de pensée s’accorde ensuite à leurs désirs dans le seul but de renforcer leur confort égoïste.

Alors oui, la croyance irrationnelle est une absurdité et pourtant, difficile de ne pas être victime de mirages tant le monde est peuplé de mythes faciles et séduisants et tant il est aisé de prêter foi à ce qui semble combler notre ignorance. Mais la vérité réside du côté de la sincérité et des convictions réfléchies. La foi est souvent un masque pour justifier des désirs mal assumés.

Et si l’amour est aussi un fantasme, être sincère permet de lui donner corps. Au bout du conte s’en prend notamment à la fidélité sexuelle, considérée comme un mensonge rassurant. Le film renvoie dos à dos la solitude-indépendance et l’amour des contes de fée. Le couple oui, l’amour libre aussi, voici le programme défendu par Agnès Jaoui. Quant aux croyances, elles sont superficielles. Ceux qui croient essaient de se protéger en créant des cathédrales de mensonges. Pierre lui-même, le non-croyant par excellence, ne croit-il pas, à ce moment-là de sa vie, pour se protéger des autres qui l’envahissent? N’arrête-t-il pas de croire justement quand il arrive à s’ouvrir?

Au bout du conte est un film follement intelligent, une comédie remarquablement construite et pertinente, drôle et rafraichissante. Ses deux principales armes : des dialogues extrêmement bien écrits et des acteurs tous excellents. On n’a pas autant ri intelligemment au cinéma depuis longtemps.

Jaoui et Bacri sont au meilleur d’eux-mêmes. Certes leur cinéma ne se révolutionne pas mais il se précise. Et au bout du conte, ils se font les observateurs tendres et attentifs d’une humanité d’autant plus fragile qu’elle se cramponne à des mythes.

Note : 8/10

Au bout du conte
Un film d’Agnès Jaoui avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Agathe Bonitzer, Valérie Crouzet, Arthur Dupont, Dominique Valadié, Benjamin Biolay et Laurent Poitrenaux
Comédie – France – 1h52 – Sorti le 6 mars 2013


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