Ce vendredi, un nouveau Premier Ministre chinois a été élu par les députés à Pékin.
Des séries d’élections automatisées
C’était évidemment sans surprise, élu dans un scrutin avec un seul candidat, prévu depuis au moins novembre 2012. Il avait été auparavant Vice-Premier
Ministre à partir du 17 mars 2008 et était parvenu à monter jusqu’au cœur du pouvoir suprême dès novembre 2007, au sein du comité permanent du bureau politique du comité central du parti
communiste chinois.
Formellement, c’est le Président Xi Jinping, deux heures avant le vote, qui a proposé Li Keqiang candidat soumis au vote des parlementaires. Li
Keqiang est devenu le septième Premier Ministre chinois depuis 1949, succédant à Wen Jiabao (70 ans) en poste depuis le mars 2003. Il avait obtenu à l’Université de Pékin une licence de droit et
un doctorat en économie.
Le tandem Xi Jinping et Li Keqiang va donc gouverner la Chine pour les cinq prochaines années et probablement les dix à venir. Il s’était installé à
la tête du parti communiste chinois le 14 novembre 2012 au cours du XVIIIe congrès de leur parti.
Au cours de cette cinquième réunion plénière de la première session de la douzième Assemblée Populaire Nationale, ce vendredi, d’autres hauts
dignitaires du régime ont été également désignés. Cao Jianming (57 ans) a été confirmé comme procureur général du Parquet populaire suprême de Chine (déjà en poste depuis mars 2008). Zhou Qiang
(53 ans) a été élu président de la Cour populaire suprême.
Fan Changlong (65 ans) et Xu Qiliang (63 ans) ont été élus vice-présidents de la Commission militaire centrale de Chine, dont le président n’est autre
que Xi Jinping, commission essentielle dans le contrôle des forces armées. Les deux généraux étaient déjà vice-présidents de la Commission militaire centrale du parti (en fait, c’est la même
commission) depuis novembre 2012, et membre du bureau politique du parti. Les autres membres de la commission militaire élus ce vendredi matin sont : Chang Wanquan, Fang Fenghui, Zhang Yang,
Zhao Keshi, Zhang Youxia, Wu Shengli, Ma Xiaotian et Wei Fenghe.
La démocratie au sens chinois…
Précisons une nouvelle fois, et avec insistance, que les mot "populaire" et "élection" n’ont pas le même sens en Chine et dans les démocraties dignes
de ce nom. Si dans la réalité apparente, tout semble procéder de manière démocratique (une assemblée parlementaire qui élit tous les hauts responsables de l’État tous les cinq ans), ces
cérémonies plénières sont réglées comme sur du papier à musique, d’ailleurs, une musique accompagne les votes pour accroître l’aspect solennel de la situation.
(XVIIIe congrès du parti communiste chinois le 14 novembre 2012).
Les presque trois mille députés chinois, eux-mêmes élus dans un système à candidature unique, n’ont que le choix d’approuver ou de refuser les noms
qu’on leur a soumis, sans choisir personnellement les personnalités qu’ils verraient aux différents postes. Le "on" étant ici Xi Jinping lui-même comme le prévoit la Constitution.
En France aussi, c’est le Président de la République qui
nomme le Premier Ministre, investi par les députés, mais ces derniers sont élus de manière totalement libre et pluraliste, à tel point que la
France a connu neuf alternances parlementaires depuis 1949 tandis que la Chine populaire …aucune (en soixante-quatre ans) !
Dix ans de "société harmonieuse"
Ces festivités concluent le décennat précédent, à savoir, la gestion de la Chine par le Président sortant Hu Jintao et le Premier Ministre sortant Wen
Jiabao qui ont été au pouvoir entre 2003 et 2013 (les vraies dates à retenir sont cependant 2002 et 2012, dates de leurs responsabilités au sein du parti communiste chinois).
Il ne s’agit évidemment pas de faire un bilan très détaillé
de cette période très particulière de la Chine mais juste d’esquisser quelques tendances.
Sur le plan économique, la Chine s’est en effet hissée au deuxième rang mondial pour la création de richesses. Ce n’est plus un pays émergent, mais un
pays émargeant. Le commerce extérieur est très positif, puisqu’en quelques sortes, la Chine est devenue l’usine du monde. Pourtant, la tendance a été un peu freinée depuis la crise financière de
2008 et la baisse de la demande étrangère a réduit sa croissance.
Une croissance économique exceptionnelle
Les statistiques sont assez éloquentes. Entre 2002 et 2012, le PIB est passé de 10 500 à 51 900 milliards de yuans. Le PIB par habitant a plus que quintuplé en montant jusqu’à
6 100 dollars/hab. L’excédent commercial annuel a été presque multiplié par huit, de 30 à 231 milliards de dollars. La banque centrale de Chine a engrangé de nombreux milliards de dollars,
avec une réserve de change de 3 311 milliards de dollars. En dix ans, le yuan s’est apprécié de 31% par rapport au dollar, même si beaucoup considèrent que le yuan est encore bien trop
sous-évalué (c’est la principale revendication des interlocuteurs commerciaux de la Chine).
La Chine a atteint son point de maturité en terme d’innovation et commence à investir massivement dans les énergies renouvelables et dans la
construction de voitures électriques. Après des décennies de réticence, elle commence même à accepter le principe des brevets, voyant qu’elle aurait désormais à y gagner pour protéger ses propres
innovations (d’où l’importance stratégique du brevet unique européen).
Pourtant, tout n’est pas si rose d’un point de vue économique. L’enrichissement du pays ne profite pas à toute la population. Pays devenu
majoritairement urbain (52% des habitants vivent désormais en ville au lieu de 39% il y a dix ans), les habitants des villes ne gagnent en moyenne que 3 900 dollars/an et ceux des campagnes
que 1 250 dollars/an, même si cela représente pour les deux catégories un quadruplement en dix ans. De plus, l’État est lui aussi en déficit, près de 150 milliards d’euros pour cette année.
Il reste encore beaucoup d’infrastructures à construire pour désenclaver les populations rurales.
Aucune ouverture politique
Parallèlement à cette croissance économique extraordinaire, le bilan des dix dernières années ne brille pas pour l’ouverture politique et le respect
des droits de l’Homme, en particulier les libertés publiques. Pourtant considéré comme "réformateur", le Président Hu Jintao a surtout brillé par son caractère mou qui semble avoir été assez
critiqué par ses collègues eux-mêmes, notamment sur le plan international. Les déclarations du Wen Jiabao durant tout le temps où il était au pouvoir étaient pourtant très encourageantes pour les
défenseurs de la démocratie.
Malheureusement, les beaux discours n’ont jamais été suivis des faits et depuis le massacre de Tian Anmen, le 4 juin 1989, les dirigeants communistes
chinois, sous l’impulsion de Jiang Zemin, ont une crainte terrible du dérapage conflictuel. C’est pourquoi aucune contestation publique n’est acceptée, que les mouvements autonomistes ont été
sévèrement réprimés, en particulier au Tibet, au Xinjiang et en Mongolie intérieure. Les discours les plus
modérés prononcés à l’étranger parlent d’envisager une étape politique seulement après l’étape économique, en disant que la société chinoise doit d’abord s’enrichir avant de goûter aux délices de
la liberté d’expression. En cela, les dirigeants ne veulent absolument pas suivre l’exemple de la Russie qui s’est écartée de la dictature communiste avant de développer son économie.
Un parti gangrené par la corruption
Plus grave pour le parti communiste chinois, parce que le mal attaque au cœur du pouvoir, c’est la corruption et les scandales politico-financiers qui
pleuvent chaque jour et donne une image déplorable des responsables politiques locaux. L’un des grands favoris parmi les hauts dignitaires, Bo Xilai, a même été complètement disgracié depuis mars
2012 en raison d’affaires financières et criminelles particulièrement louches (son successeur local, à Chongqing, Zhang Dejiang, a été élu jeudi 14 mars Président de l’Assemblée Populaire
Nationale).
Ce n’est pas pour rien que Xi Jinping veut avant tout lutter contre la corruption à l’intérieur du parti et demander à réduire le train de vie des
caciques : il a besoin de renforcer dans le pays l’image du parti pour être sûr de son pouvoir. La popularité aide toujours plus facilement à asseoir complètement un pouvoir pour l’instant
fragile car seulement par délégation au sein des factions du parti.
La normalitude, normale attitude, l’humilité comme nouvelle base de la popularité
Réduire le train de vie. Cela sonne comme un étrange écho avec le nouveau pape François, qui a voulu
garder son appartement de cardinal et prendre le même bus que ses pairs pour s’y rendre depuis son élection. Nul doute que l’heure n’est plus au bling bling mais bien à une certaine retenue dans
le luxe. La crise financière est passée par là et les nombreux laissés pour compte sur la planète doivent au moins être respectés.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (15 mars 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine.
Xi Jinping, chef du parti.
La Chine me
fascine.
La Chine et le Tibet.
Les J.O. de Pékin.
Qui dirige la Chine populaire ?