Vers les élections municipales de 2014 : logique politique contre logique sociologique ?

Publié le 15 mars 2013 par Délis

Les prochaines élections municipales auront lieu dans un an, probablement les 9 et 16 mars 2014.  Ce scrutin intermédiaire, traditionnellement difficile pour le pouvoir en place, s’inscrit de surcroit dans un contexte économique et social plombé. A tel point que certains observateurs s’interrogent déjà sur la possibilité d’une « vague bleue » pour ce premier rendez-vous électoral du quinquennat de F. Hollande. Cependant, ces élections municipales ont ceci de particulier qu’elles sont essentiellement analysées par les commentateurs à travers le prisme des villes grandes ou moyennes, les seules où le scrutin est réellement politisé car les candidats s’y présentent presque systématiquement sous l’étiquette d’un parti. Une particularité qui pourrait bien permettre à la majorité de sauver la face, grâce au progressif basculement à gauche de ces grandes villes.

Des élections intermédiaires traditionnellement défavorables à la majorité en place

Pour la majorité au pouvoir, les élections intermédiaires sont toujours un mauvais moment à passer. Entre 2002 et 2012, l’UMP y a systématiquement subit des échecs majeurs : élections cantonales, régionales, sénatoriales et européennes de 2004, municipales de 2008, régionales de 2010 puis cantonales et sénatoriales de 2011. Et même le scrutin européen de 2009 a été une victoire en trompe l’œil, puisque l’UMP, même si elle était arrivée en tête avec 27,9% des voix, n’avait pu rassembler qu’un tiers des voix autour de la majorité présidentielle (32,7% en y ajoutant le score de la formation conduite par P. de Villiers).

Même sous L. Jospin, alors que le Gouvernement bénéficiait d’une popularité assez élevée, les résultats étaient au mieux en demi-teinte pour la gauche plurielle. La majorité avait alors essentiellement bénéficié des divisions de la droite lors des scrutin régionaux de 1998 et européens de 1999, puis de la focalisation sur les victoires socialistes à Paris et Lyon lors des municipales de 2001.

Des chercheurs ont montré que ce type d’élections où la distribution du pouvoir national n’est pas en jeu favorise certains comportements électoraux. L’enjeu limité de ces scrutins par rapport à des élections présidentielles ou législatives a deux conséquences : un faible investissement des partis et des médias qui conduit à une hausse de l’abstention et des bulletins blancs et nuls ; et un vote qui peut permettre aux électeurs proches de la majorité de manifester leur mécontentement à l’égard du gouvernement sans prendre le risque de le renverser. Les mécontents étant souvent plus mobilisés que les satisfaits, on assiste de plus à un abstentionnisme « différentiel », plus fort chez les partisans de la majorité que chez ses opposants. Conséquence logique, les partis au Gouvernement subissent des pertes électorales, et l’opposition ainsi que les petits partis engrangent des gains.

Une conjoncture politique défavorable à la majorité

La logique voudrait que les élections municipales de l’an prochain suivent ce modèle. La popularité du Chef de l’État s’est en effet rapidement dégradée pour s’établir selon les derniers baromètres publiés entre 43% pour BVA et 25% chez YouGov. La courbe du Premier ministre a suivi une pente parallèle, et ce ne sont plus désormais que 23% des Français qui portent un jugement favorable sur l’action du Gouvernement, 68% ayant un avis défavorable. Cette déception touche l’ensemble des Français, puisque 68% d’entre eux et 44% des électeurs de F. Hollande au second tour de l’élection présidentielle se disent déçus par les débuts du président de la République et que 51% jugent que N. Sarkozy aurait fait mieux.

Cette déception s’ancre avant tout dans l’absence de résultats de la politique menée depuis mai en matière économique et sociale (55% pensent que le Gouvernement « ne sait pas où il va » en la matière), tant est si bien que le soutien de l’opinion publique à propos de l’intervention au Mali ou que la fermeté affichée sur le mariage pour tous n’ont pu qu’avoir un effet limité et ponctuel dans les sondages.

L’évolution de la popularité des présidents de la République en cours de premier mandat

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la cote de popularité de F. Hollande, aux alentours de 35% en moyenne, soit la plus basse pour un président effectuant son premier mandat à cette période de sa fonction. Seul J. Chirac avait connu une chute plus brutale durant l’automne 1995, mais il avait légèrement rebondi à la suite des mouvements sociaux, repassant au-dessus de la barre des 40% en début d’année 1996. En revanche, la cote de N. Sarkozy était légèrement supérieure en mars 2008, et surtout elle était restée assez stable par la suite, ne tombant sous les 35% qu’au printemps 2010.

Des grandes villes qui virent à gauche, mais à des rythmes différents

Une lumière d’espoir existe cependant pour la majorité. Lors des élections municipales, ce sont surtout sur les grandes villes que les médias ont les yeux braqués. Or, ces villes votent de plus en plus à gauche. Lors des présidentielles de 1974, 13 des 30 plus grandes villes françaises avaient accordé à F. Mitterrand un résultat supérieur à son 49,2% national. Au total, ces villes avaient voté à 48,9% en faveur du candidat socialiste. En 2012, ce ne sont pas moins de 24 de ces grandes villes qui ont apporté plus de 51,6% des voix à F. Hollande avec un résultat moyen de 56,7%. Légèrement plus à droite que la moyenne il y a 35 ans, les grandes agglomérations sont donc désormais nettement plus à gauche. Une tendance qui s’est particulièrement accentuée à partir de 1995.

Comparaison entre le vote aux élections présidentielles en France et dans les 30 plus grandes villes

Cette évolution s’appuie sur le développement de nouvelles couches sociales (revenus élevés, diplômés, mobiles, bien intégrées dans le processus de mondialisation) qui remplacent dans les zones urbaines à la fois les anciennes catégories moyennes et supérieures (les indépendants) et surtout les catégories populaires. Plus préoccupés que la moyenne par les enjeux culturels (environnement, droits des minorités, etc.) mais restant relativement favorables à l’intervention de l’État dans la vie économique et à la redistribution des richesses, elles ont provoqué ce basculement à gauche des grandes villes. La part croissante des Français d’origine étrangère – eux-aussi acquis à la gauche – dans les grandes villes tend à renforcer cette évolution. Les catégories populaires urbaines sont donc de plus en plus composées de Français d’origine immigrée (de gauche) qui remplacent les catégories populaires traditionnelles, de plus en plus tentées par le vote Front National.

L’évolution du vote aux élections présidentielles dans les idéopôles

Cette évolution est particulièrement forte dans deux types de villes. Tout d’abord, les idéopôles, décrites comme des « métropoles régionales attractives, intégrées aux réseaux de l’économie globalisée – tant d’un point de vue économique que culturel – et principalement axées sur les secteurs de l’économie de la connaissance ». La gauche a progressé dans l’ensemble de ces villes particulièrement dynamiques, Aix-en-Provence mis à part. Et certaines d’entre elles sont désormais des bastions très largement acquis à la majorité (Rennes, Grenoble, Toulouse, Montpellier, Lille, Nantes). On note cependant que le basculement à gauche, très marqué entre 1995 et 2007, semble avoir légèrement marqué le pas en 2012. Deuxième catégorie, les villes de l’ouest de la France. La gauche y bénéficie sur le long-terme de la déchristianisation d’une région auparavant très pratiquante. Elle tire aussi profit du dynamisme économique de ces zones qui favorise l’installation de cette creative class moteur du passage à gauche. Ainsi, des villes comme Rennes, Nantes ou Angers, décrites comme des bastions conservateurs au début du siècle et jusqu’aux années 1970, sont-elles désormais largement acquises à la gauche.

L’évolution du vote aux élections présidentielles dans les grandes villes de l’ouest de la France

L’évolution est globalement similaire, mais cependant nettement moins forte dans l’est de la France. Cette région plus liée à l’industrie lourde a été particulièrement frappée par la crise économique depuis les années 1970, ce qui a freiné le développement d’une classe moyenne et supérieure tertiaire. Ces villes, notamment celles du nord-est, restent donc plus populaires, et le Front National y fait de meilleurs scores. Ce qui explique pourquoi Dijon, Metz, Reims ou Besançon connaissent des évolutions certes favorables à la gauche, mais dans une moindre mesure que leurs voisins du Grand Ouest. Au sud-est et notamment sur la côte méditerranéenne, les grandes villes connaissent généralement une croissance démographique importante, mais moins grâce à l’arrivée d’actifs du secteur tertiaire que de retraites, un groupe social fortement marqué à droite. Ainsi, à Nice, la gauche a en fait très fortement régressé par rapport aux années 1970, à rebours du reste de la France. D’autre part, la répartition spatiale des groupes sociaux dans ces villes est souvent particulière, avec des catégories populaires qui restent très présentes dans les centres villes. Cette configuration moins favorable à la gauche explique sa montée lente et limitée dans des agglomérations comme Toulon, Marseille ou Perpignan.

L’évolution du vote aux élections présidentielles dans les grande villes de l’est de la France

Cette double dynamique, de court-terme et politique d’une part, de long-terme et sociologique d’autre part, pourrait aboutir à une sorte de statu quo pour la majorité, lui permettant de sauver la face lors de ces premières élections intermédiaires du quinquennat. C’est d’autant plus vrai qu’il s’agit du seul scrutin de ce type pour lequel les candidats sont connus d’une grande partie de corps électoral. De plus, les électeurs disent majoritairement voter en fonction des enjeux locaux plutôt que nationaux, même s’il leur est difficile d’objectiver les raisons de leur vote. L’ancrage local jouant fortement, il favorise donc une certaine stabilité dans les résultats électoraux. Ainsi, les intentions de vote dans les villes de plus de 3,500 habitants sont-elles assez stables par rapport aux résultats du premier tour de la présidentielle de 2012 : 42% voteraient pour des candidats de la gauche parlementaire (même résultat qu’en avril 2012), 38% pour des candidats de la droite modéré (29% en avril 2012), 12% pour l’extrême-droite (18% en avril 2012) et 4% pour le centre (9% en avril 2012). Le noyau électoral de la gauche reste donc très stable, et les recompositions ont surtout lieu au centre et à droite.

La gauche pourrait donc bénéficier d’une conjonction de facteurs (intérêt des médias pour les résultats dans les grandes villes, évolution sociologique, importance des enjeux locaux, ancrage des maires) lors de ces élections municipales de mars 2014.  Dès lors, le rendez-vous électoral plus crucial serait celui des élections européennes de mai 2014, lors desquelles aucun de ces éléments ne seront là pour aider le parti socialiste et ses alliés.