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[note de lecture] "Nouveau fatrassier" de Jean-Pascal Dubost, par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

DubostLe Nouveau fatrassier est-il aussi nouveau que son titre l’indique ? Oui. Nous l’allons montrer tout à l’heure. 
Rééditer un livre épuisé, ce qui est la fonction de la collection Reprises chez Tarabuste, pose frontalement à l’auteur la question de son passé d’écriture. Est-ce que les poèmes tiennent, après les années ? Si oui, les republier a du sens ; si non, alors il vaut mieux les oublier, ou choisir entre ce que l’on conserve et ce que l’on fait disparaître, profitant de l’occasion. Pour Fatrassier, cette question est tranchée : tous les poèmes de l’édition de 2007 se retrouvent dans celle de 2012. On peut donc en conclure que tout est demeuré poétiquement bel et bon. 
Mais cette occasion de retour sur texte ancien permet tout de même de toiletter, corriger, reprendre des détails, en profitant de cette relecture avec distance, recul. Le texte tient, certes, mais on peut le retravailler. C’était la position prise et assumée par Jean-Pascal Dubost dans Fatrassier en 2007, à propos des deux suites de poèmes, Corbeaux de la plaine et Sangliers retincelés, déjà publiés dans un recueil plus ancien, Des lieux sûrs (Tarabuste, 1998). « Il m’a fallu récrire tous les poèmes, leur insuffler du présent tout en conservant l’esprit d’origine. Les livres ne sont tombeaux ouverts qu’à la mort de leur auteur, des poèmes publiés peuvent être décousus et recousus autrement et continuellement qu’il est en vie » (p.119). On a donc déjà clairement à l’époque, en 2007, le choix de ne pas sacraliser, momifier un texte publié. Tant qu’il est vivant, l’auteur reste en prise avec le texte, il peut donc le modifier comme il le souhaite. Mais entre la version de Lieux sûrs et celle de Fatrassier, il s’agit davantage de corrections abondantes mais marginales. Que l’on en juge avec le poème liminaire de Corbeaux 
« Sinon écrire 
Il y a les corbeaux surpris un matin sur le siège du tracteur, ces odeurs de flaque d’huile sous la remise, il y a la voisine aperçue par hasard nue chez elle et ces longs rais de lumière poussiéreuse occupant nos siestes d’enfant, il y a, corbleu mais que faire avec ces listes d’interminables souvenirs qui, bien trop bons, me mènent la vie dure. » (Des lieux sûrs, p.31) 
« Sinon écrire 
Corbeaux surpris tel matin sur le siège du tracteur et telles odeurs de flaque d’huile sous la remise et la voisine par hasard vue nue chez elle, corbleu mais, que faire que faire avec ces interminables souvenirs qui s’anamnèsent sans prévenir et qui, bien trop bons, mènent la vie dure – » (Fatrassier, p.11) 
Avec Nouveau fatrassier, tout en restant dans la même logique de mainmise conservée de l’auteur sur son œuvre, la donne change, et le statut du poème aussi : il devient « brouillon continué ». Dans son Avant-dire, Jean-Pascal Dubost établit clairement une poétique du work in progress : « L’idée qu’un livre soit fini et définitif est insupportable (…). Il n’est que la mort pour achever un livre (…) Nulle chose est faite et parfaite. Je fais du brouillon continué une idée douce de l’humilité : je travaille à réduire ma vanité. »(p.8-9) Maintenant, il ne s’agit plus de toiletter le poème ou de le reprendre à la marge, il s’agit vraiment de le remettre en travail, en partant de la version précédente mais pour arriver à une version totalement différente parce que la main d’œuvre a changé après une dizaine d’années. Ceci est assumé au point que le poète prévoit qu’ « il arrivera bien des fois au lecteur de ne pas reconnaître la version précédente ; voilà comme est un brouillon continué. »(p.169) Cela donne pour le poème liminaire des Corbeaux dans Nouveau fatrassier 
« De beaux corps noirs auroralement pris surpris sur le siège du massey fergusson sans cabine ni chauffage ni nostalgique autoradio et autres mille vues bruyantes comme cestuy-là d’une voisine dont cul fut vu nu, par exemple et corbleu mais, comment poétriquer avec souvenirs personnels qui s’anamnèsent et qui rapportent de la vie rude-dure, hep les vivants –» (p.19) 
On notera que l’auteur revendique complètement le décalage puisqu’il le donne à lire directement. On aurait pu s’attendre à ce qu’il ne publie que la version ultime du texte. Or, pour Corbeaux et Sangliers, on a sur la page de gauche la version antérieure et sur la page de droite l’état en 2012. 
Ce choix, assez audacieux il faut le dire, pose plusieurs questions de fond. Et d’abord celle de l’évolution de l’écriture sur une dizaine d’années. Cette transformation est très nette mais sans rupture brutale : elle a consisté à accentuer les traits qui marquaient dès le départ l’identité poétique de Jean-Pascal Dubost : richesse, variété du vocabulaire jusqu’à la boulimie lexicale, goût pour la citation et les auteurs oubliés notamment du Moyen-âge et de la Renaissance, complication savante de la syntaxe, travail très marqué sur le son, préférence pour le poème bref, d’un souffle, goût pour les figures de style… 
Ceci posé pour la continuité, il convient d’ajouter trois éléments neufs, ou qui m’apparaissent comme tels, entre Fatrassier et Nouveau fatrassier. D’abord, l’énumération : elle devient une figure très importante de ce style et témoigne d’un déplacement significatif de l’enjeu : avant, le poème disait quelque chose, prioritairement. Maintenant, il dit encore quelque chose mais l’essentiel est de jouir de la langue. Second élément neuf : le visuel. Dans Fatrassier, aucun jeu typographique ; dans Nouveau fatrassier, introduction répétée de polices différentes, jeu sur les corps, le gras… Certaines pages peuvent dériver vers des compositions spatialistes (p.39, 204). Cet aspect est quelque peu étonnant pour qui connaît le côté janséniste et rigoureux de Jean-Pascal Dubost, mais il y a certainement une recherche de ce côté : « Un maximum de bruits dans la langue : italiques, guillemets, diacritiques, polices de caractères – » (p.178) 
Troisième point, qui est sans doute le plus sensible : l’évacuation du « je ». Dans Fatrassier, à l’occasion de corbeaux ou de sangliers, le poète faisait passer une autobiographie éclatée d’enfance. Dans Nouveau fatrassier, il veut se « désautobiographier ». (p.10) Et ce travail pour éliminer le « je » est intéressant à suivre dans sa diversité : emploi de l’impersonnel, bien sûr, mais aussi passage à « l’humain » (p.89), « vous »(p.61), « tout observateur » (p.25), « tout gone » (p.23), « le poète » (p.79)… L’écart entre les deux choix d’écriture est particulièrement clair sur un poème comme « (S’en faut de peu) (p.62-63) par exemple. Ce suicide poétique du « je » est sans doute à mettre en rapport avec un rejet très marqué du lyrisme : « N’idylliser ni lyriquer sous aucun prétexte et peine de ridicule du bocal bucolique dont on fait poésie de pays pesante pleine de je et d’ô dont il faut fuir les éclaboussures contagieuses… » (p.191) Pour essayer de donner une interprétation à ce qui semble bien un déplacement important à l’intérieur d’une écriture, il est possible que le « je » et l’autobiographie n’aient plus rien à faire en poésie dès lors qu’ils sont moteurs en « prose », selon la distinction poésie/prose qu’implique la page « Du même auteur » : je pense au beau livre Le défait (éd. Champ Vallon, 2010). 
Il reste au moins une question, mais on aura déjà compris que j’aime ce livre parce qu’il m’interroge, celle du progrès. Avec le temps, un auteur progresse-t-il ? Est-ce que les versions du Nouveau fatrassier sont « meilleures » que celles de Fatrassier ? Force est de dire que non. Ce sont deux poèmes achevés, différents, de la même main. L’un plus simple, plus primitif au double sens du mot, l’autre plus élaboré, savant raffiné tout autant que glouton. Dubost propose deux jouissances différentes du texte, et leur présence en regard d’une page l’autre permet de les confronter sans choisir. 
Au fond, et dernière question, je me demande si l’attaque en règle contre le lyrisme et le « mol poids qu’est je » (p.194) est vraiment justifiée. Si l’on considère le lyrisme, a minima, comme un pur élan propulsif, une sorte de plein régime de langue, il me semble que le dernier poème (inédit) du livre, Danse macabre, opère simplement le passage d’un lyrisme sentimental et post-romantique, honni, à une forme de lyrisme de langue exprimant «  la volonté d’une autre langue qui accroît la résistance contre la langue qui accroît la puissance de sa langue qui accroît la beauté de la langue –» (p.178). 
[Anatoine Emaz] 
Jean-Pascal Dubost – Nouveau fatrassier 
Ed. Tarabuste – Col. Reprises –  
210 pages – 11€ 


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