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En route vers l’autogestion 3e partie : la Commune de Paris

Publié le 15 mars 2013 par Lecridupeuple @cridupeuple

Suite de mes chroniques autogestionnaires initiées il y a plus d’un an.

* * *

Révolution - entre autres - socialiste qui ne se savait pas telle, la Commune de Paris a inauguré la pratique autogestionnaire. Mise en place comme une mesure d’urgence pour assurer la production dans les ateliers abandonnés par leurs propriétaires, elle n’en est pas moins revendiquée comme un moyen de rendre au travailleur la maîtrise de l’appareil de production. Elle s’inscrit aussi dans l’émergence d’une exigence démocratique absolue qui rompt, heureusement, avec les scories de la révolution bourgeoise de 1789.

La Commune des clubs
La Commune par Tardi

La Commune de Paris procède, au départ, d’une indignation. La capitale a été soumise au siège des Allemands durant quelque six mois, de septembre 1870 à février 1871. La fin des hostilités indigne le peuple parisien qui, soumis à des privations terribles, n’a jamais capitulé. Le 18 mars 1871, la tentative du gouvernement, réfugié à Versailles, de s’approprier les canons de la garde nationale sur la butte Montmartre, canons payés par les Parisiens eux mêmes, fait déborder le vase. L’insurrection est déclenché, ouvrant la porte à une révolution hors des normes.

Inspirée, jusqu’au nom, de la « commune » de 1793, qui a pris le pouvoir sur le gouvernement de la Nation en état de siège, la Commune de 1871 est la dernière du cycle des « révolutions de sans culottes ». Mais elle prend aussitôt, confrontée à une situation inédite, une tournure différente. La direction de la révolution est dévolue à des hommes élus par le peuple. Si l’on y retrouve en majorité des Jacobins et des Blanquistes, quelques 26 délégués au conseil général de la Commune se reconnaissent dans les thèses de l’Association Internationale des travailleurs dont les penseurs principaux ont nom Karl Marx et Michel Bakounine, mais aussi Proudhon. Ce sont des socialistes révolutionnaires qui vont, au travers de plusieurs commissions, donner un contenu transformateur à l’œuvre des Communeux.

Conférence de l'Associaiton Internationale des Travailleurs

Dans son ensemble, la Commune entend réaliser l’aspiration du mouvement ouvrier français du XIXe siècle : « l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes ». Fidèle à la Constitution de 1793, qui assignait à la société politique l’objectif d’établir « le bonheur commun », la Commune se veut « la Sociale ». Répondant aux aspirations populaires, elle abolit le travail de nuit, interdit les amendes et retenues sur les salaires, combat le chômage, interdit l’expulsion des locataires (par ailleurs exonérés des termes encore dus), exerce un droit de réquisition sur les logements vacants. La Commune établit la gratuité de la justice, la liberté de la défense, supprime le serment politique des fonctionnaires et magistrats, eux aussi élus et révocables.

Une avancée considérable
quoique contradictoire

Mais les « Internationaux », qui composent de manière exclusive la commission sur le Travail, l’Industrie et les échanges (le premier ministère du Travail, en fait) vont aller plus loin et jeter les prémisses de l’autogestion. Loin d’être théorisée, elle s’impose dans les faits. Le décret du 16 avril prévoit la remise en marche par les ouvriers associés des ateliers que leurs patrons ont désertés. L’indemnisation d’icelui est prévue. Son montant est fixé par une sorte de jury populaire.

La Commune des travailleurs

Les textes adoptés par la Commune de Paris sur proposition de la Commission Travail-Industrie-Echange prévoient que chaque atelier élise, pour quinze jours, au conseil de direction, un ouvrier chargé de transmettre les réclamations et d’informer ses camarades des décisions prises. Dans l’orbite des chambres syndicales ou de comités de l’Union des Femmes surgissent de nombreux ateliers coopératifs. C’est une avancée considérable quoique contradictoire. Comme le précise Claude Talès dans son livre critique La Commune de 1871, « bien qu’il respectât le droit de propriété, (le décret sur les ateliers abandonnés) visait à remettre aux travailleurs les organes de production ». Ce faisant, ce texte rompait avec la logique de la « grande révolution », laquelle, avec la loi Le Chapelier, interdisait l’association des travailleurs et les plaçait sous le joug du patronat naissant.

Le premier, l’atelier de réparation d’armes du Louvre se dote d’un règlement autogestionnaire. Les extraits de ce règlement sont éclairants :

« Art. 1er : L’atelier est placé sous la direction d’un délégué près la Commune.

Le délégué à la direction sera nommé par les ouvriers réunis, et révocable chaque fois qu’il sera convaincu d’avoir failli à son devoir. Son mandat consiste à recevoir les rapports du chef d’atelier, des chefs de banc et des ouvriers pour en déférer au directeur du matériel d’artillerie. (…)

Art. 2 : Le chef d’atelier et les chefs de banc seront également nommés par les ouvriers réunis ; ils seront (…), de même que le délégué, révocables (…).

Art. 6 : Un conseil sera réuni obligatoirement chaque jour, pour délibérer sur les opérations du lendemain ainsi que sur les rapports et les propositions faites, soit par le délégué à la direction, soit par le chef d’atelier, les chefs de banc ou les ouvriers délégués (…).

Art. 20 : Le prix de la journée des ouvriers sera fixé par le conseil, sur la proposition du chef de banc ; toutefois, quant à présent et vu l’état de la guerre, il ne pourra dépasser soixante centimes l’heure (…). »

(Journal Official de la Commune, 21 mai 1871, cité par Jacques Rougerie in Paris libre 1871)

27023-19

« Les citoyens sont appelés directement
à régler leurs intérêts »

Dans sa déclaration de principe, la Commission Travail-Industrie-Echange a ainsi fixé ses objectifs : « Conformément aux vrais principes démocratiques, qui exigent que les citoyens soient appelés directement à régler leurs intérêts, la commission a le devoir absolu de faciliter aux intéressés tous les moyens de grouper les éléments à l’aide desquels se pourront préparer les projets de décrets dont elle proposera l’adoption à la Commune, de façon qu’ils soient toujours la réelle expression des intérêts professionnels, préalablement débattus par ceux dont ces décrets seront l’objet ». Pour les « Internationaux », la démocratie demeure un absolu qui oblige l’implication des travailleurs dans les décisions qui les concernent. La démarche autogestionnaire n’est que la suite logique de ce choix fondamental, qui identifie les militants de la Ière Internationale et les différencie radicalement de leurs camarades jacobins et blanquistes. Certes, ils s’éloignent ainsi de l’hôtel de ville (où siège la Commune) mais ils permettent à la Commune « de se rapprocher des combattants » (le peuple), selon le propos de Claude Talès.

Destinée à assurer la continuité de la production quand le propriétaire des ateliers est parti (en période de guerre, c’est assez essentiel), ce décret autogestionnaire va marquer d’un contenu véritablement socialiste (au travers de la socialisation des moyens de production) une révolution qui ne l’est pas, à proprement parler, à la base. A preuve, aucun texte ne prévoit d’en finir avec la propriété individuelle de l’appareil de production. Ajouté au décret abolissant le travail de nuit, décret co-élaboré avec les ouvriers boulangers notamment, il transforme la dernière révolution de sans culotte en première révolution ouvrière, lui donnant, pour des siècles, un caractère singulier auquel toutes les gauches, de Blum à Lénine, voudront se rattacher.

La Commune des clubs

Nous sommes encore bien loin du socialisme de « l’être » mais, rappelons-nous, ces décrets sont pris au XIXe siècle et en pleine guerre. Dans ces conditions précises, ils constituent, même imparfaitement, la mise en œuvre concrète d’une utopie émancipatrice autant que la construction par les actes d’une nouvelle approche politique. C’est, comme le dit René Loureau, dans la revue Autogestion et socialisme n° 15 (mars 1971), un « laboratoire historique » au sens, indique-t-il, « d’expérience concrète, cumulative » enrichissant la théorie et la pratique. C’est un des éléments clés qui expliquent la popularité de la Commune au sein des couches populaires de la société dans les dizaines d’années qui vont suivre. Mais aussi son aura au sein de la plupart des mouvements révolutionnaires jusqu’à aujourd’hui encore.

Nathanaël Uhl

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Crédits photos : A l’exception du dessin de Tardi, toutes les illustrations sont issues du Journal illustré de la Commune de Paris réalisé par Raspouteam.

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Bonus vidéo : Noir Désir « Le Temps des cerises »


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