"Au fond, je me
méfie désormais de quiconque se prend pour un poète. Surtout de quelqu'un qui
se prendrait pour tel tout en étant poète.
Car alors il saurait que tout dépend
uniquement des mots, et non de lui. Qu'a-t-il donc ajouté aux mots qui n'ait
été autrefois, avant son intervention, plus extraordinaire et plus étrange ?
Ses quelques jongleries, que pèsent-elles en regard de la splendeur des mots
tels qu'ils sont, tels qu'il les trouva, tels qu'ils demeurent ? Il doit
les remercier de le laisser les prendre dans sa main. Il doit avoir honte de ne
jamais les apprécier à leur valeur. Qu'ils pensent à ceux qui les ont mieux
appréciés. Qu'ils pensent à ceux qui ne se voient jamais permis de les prendre
dans la main."
Elias Canetti, Notes de Hampstead, Albin Michel, Le livre de poche
biblio, 1997, page 189.
[choix de Françoise Clédat]