Mediapart affiche sa bonne santé en pleine crise de la presse après deux années où le journal a atteint la rentabilité grâce à l'argent public.
Par Baptiste Créteur.
Convaincus d'être investis d'une mission d'intérêt général, les journalistes français estiment que leur importance est supérieure à celle que leur donnent leurs lecteurs et qu'il est donc légitime que l'ensemble des contribuables contribuent à les financer, sans jamais ressentir le besoin de démontrer la légitimité de ces subventions ni l'efficacité du modèle d'une presse subventionnée par rapport à une presse financée uniquement par les lecteurs et la publicité.
L'expérience française semble pourtant démontrer que la presse n'est pas tout à fait indépendante et qu'elle a une étrange tendance à se focaliser sur des faits secondaires, à occulter certaines évidences et à éviter d'insister trop lourdement sur des sujets pourtant très préoccupants comme la dépense publique et le poids de la dette dans un pays à l'économie toujours plus chancelante. Elle a également tendance à exprimer une certaine sympathie pour le pouvoir, avec qui elle partage notamment certaines idées sur la liberté, la démocratie et la liberté d'expression.
On ne peut pas reprocher à Mediapart d'éviter les sujets qui fâchent. Nombreuses sont les "affaires" que le journal a mis sur le devant de la scène, et il semble véritablement capable d'un travail journalistique de qualité. Malheureusement, cette qualité est variable et semble être avant tout déterminée par le sujet traité.
Ainsi, La France Orange Mécanique, ouvrage polémique de Laurent Obertone dans lequel l'auteur réalise un réel travail d'investigation et expose une situation consciencieusement ignorée par la plupart des médias français, a eu droit à une critique qui ne relève pas vraiment du journalisme d'investigation. C'est d'autant plus frustrant que Mediapart aurait pu infirmer ou confirmer les dires de l'auteur, apporter de nouveaux éléments, de nouvelles idées.
En réalité, Mediapart met son talent au service d'une idéologie qui ne peut aller que dans un seul sens et revendique la liberté de la presse et la liberté d'expression contre une certaine forme de pensée unique pour mieux imposer sa propre pensée unique.
Pour Edwy Plenel, le modèle de Mediapart est « le seul modèle pour une information de qualité. Je ne crois pas que le modèle gratuit tout publicité puisse créer de la valeur. Il est condamné, très souvent, à glisser vers le people, la superficialité et l’immédiateté. On relève le défi [de la crise de la presse] en suivant la voie de Mediapart », affirme-t-il à publicsenat.fr. C'est vrai, nos lecteurs le constatent chaque jour dans Contrepoints (qui fonctionne avec un budget environ 3000 fois moindre...).
En bref, si on ne fait pas comme Mediapart, on fait mal les choses. Le modèle payant n'apporte aucune garantie de ne pas glisser vers le people, la superficialité et l'immédiateté ; le modèle gratuit n'empêche pas ni travail de qualité ni création de valeur et sont présents, sur des sites gratuits, des informations disponibles nulle part ailleurs, des articles de fond et des points de vue rarement développés dans une presse française pourtant pléthorique.
En revanche, les abonnements, qui représentent 95% du chiffre d’affaires, progressent à peine : 59.294 abonnés individuels, un peu plus de 64.000 en comptant les collectivités abonnées. « Notre croissance atteint un plateau », admet Edwy Plenel. Le site a pourtant connu un pic de 70.000 abonnés courant 2012. Selon son fondateur, cette baisse s’explique par de nombreux incidents de cartes bancaires : avec une durée de vie limitée, le renouvellement de celles-ci entraîne un blocage des paiements. « Sans ces incidents, nous serions plus proches des 80.000 abonnés », affirme Edwy Plenel.
Bien sûr, le site aurait bien plus d'abonnés si ces maudites cartes bancaires n'expiraient pas. Mettons nous à la place du lecteur assidu et fidèle vanté par Edwy Plenel, qui a souscrit un abonnement à Mediapart et consulte régulièrement le site. Sa carte bancaire arrivant à expiration, il ne peut plus accéder aux contenus qui, jour après jour, éveillaient sa conscience citoyenne et lui apportaient les informations d'intérêt public dont il avait besoin. Mais, en lecteur fidèle et assidu, il oublie de renouveler son abonnement et alimente l'océan des anciens abonnés – qui sont, selon Edwy Plenel, environ 16 000. Espérons que la croissance du nombre d'anciens abonnés atteigne, elle aussi, un plateau, sous peine de voir le journal, aujourd'hui rentable grâce à l'argent public, incapable d'afficher sa "bonne santé" dans une période de crise.
Plenel abonde : « Les élites de notre profession, qui sont pour beaucoup déconnectées des enjeux, s’enferment dans une bulle. Ils ne nous lisent pas. Nous nous heurtons à un monde du commentaire, de la glose, de l’opinion ».
Les élites médiatiques sont déconnectées des enjeux et prisonnières d'une increvable bulle : elles ne lisent pas Mediapart. Espérons qu'elles s'y mettent rapidement ; d'une part, le journal serait peut-être rentable sans argent public et gagnerait en indépendance ; d'autre part, les Français jouiraient enfin d'une presse libre et indépendante, consciente des enjeux d'aujourd'hui et de demain.
On comprend donc que c'est parce qu'elles ne lisent pas Mediapart que les élites françaises sont aussi politisées et insufflent une direction étatiste et collectiviste à leurs journaux. Il est vrai que Mediapart s'inquiète régulièrement du poids de la dette et insiste autant que nécessaire, c'est-à-dire quasiment à chaque article, sur la nécessité de réduire la dépense publique ; ce n'est certainement pas un journal capable d'un réel travail d'investigation qui lève, de temps à autre, quelques lièvres pour afficher une indépendance toute relative.