La série Veronica Mars s'est arrêtée assez abruptement en 2007,au terme d'une troisième saison en grande partie gâchée par le nouveau Network CW, qui avait imposé trop de changements dans la structure dramaturgique de la série. C'était une série singulière, à la qualité d'écriture exceptionelle. Veronica Mars elle-même était un personnage fort, marquant, à la fois abîmé et hyper-combattif, qui avait révélé l'actrice Kristen Bell -- et reste son meilleur rôle. Alors le rêve subsistait de pouvoir renouer avec cet univers et ces personnages.
Rob Thomas, le créateur et scénariste principal de la série, a souhaité lui offrir une conclusion au cinéma dès la fin précipitée de la série. Restait cependant le plus difficile: convaincre le propriétaire de la marque, de l'univers et des personnages qui, selon le droit d'auteur américain, est le studio Warner Brothers. La Warner n'a jamais voulu accepter d'aligner le maigre budget nécessaire -- pendant ses trois années à l'antenne, Veronica Mars était la série scriptée la moins chère sur les écrans de télévision américains. Les studios américains se sont totalement détournés des films à petit budgets, pas assez massivement rentables.
Le projet semblait donc mort et enterré. Jusqu'au mercredi 13 mars.
Dans le courant de la matinée, Rob Thomas et Kristen Bell ont annoncé le lancement du dernier et seul recours possible pour monter le film: le financement participatif. Jusque là, personne n'avait lancé une opération kickstarter avec un objectif de don aussi élevé -- deux millions de dollars. Rob Thomas, dans son texte d'introduction, note qu'il savait qu'il fallait s'attendre soit à un succès spectaculaire, soit à un échec spectaculaire. L'opération a été montée avec la bénédiction de la Warner : le studio ne mettra pas d'argent dans la production du film, mais a accepté de le distribuer si Thomas et Bell prouvaient qu'ils pouvaient mobiliser suffisemment de monde pour atteindre cet objectif. L'opération a été préparée dans le secret plusieurs mois durant (Kristen Bell n'est pas encore visiblement enceinte dans le clip tourné pour promouvoir l'opération, alors qu'elle accouchera bientôt ; par ailleurs, le scénario a forcément déjà été écrit, même si des ajustements seront possibles d'ici au début du tournage en juin, notamment pour prendre en compte le budget final disponible).
Alors oui, un studio se retrouve attaché à un film financé par crowdfunding. Ce film aurait-il pu voir le jour autrement? Jamais de la vie. La Warner n'aurait pas débloqué le budget, dans aucune
circonstance. Un film impossible à monter va donc être tourné. C'est bien à ça que sert le crowdfunding.
La machine à fantasme déclenchée ensuite -- qui prédit des studios se mettant à faire appel aux fans pour financer des films -- n'est que cela: une machine à fantasme. Dans l'opération Veronica
Mars, la Warner n'est pas moteur. Le studio accepte, passivement, de laisser l'équipe artistique et les fans monter un projet autour d'une marque qu'il détient. Penser que demain, un studio
pourrait de lui-même prendre l'initiative d'une telle démarche revient ni plus ni moins à prendre les gens pour des imbéciles, et imaginer qu'ils seraient prêts à se faire avoir en toute
connaissance de cause...
D'une part, il ne fait aucun doute que l'opération sera plus difficile à reproduire maintenant qu'elle n'aura plus l'impact de la nouveauté, d'autre part il est bien évident que seul des projets artistiques portés par des créatifs, et pas par des studios, ont la moindre chance de réussir ce type de paris.
VERONICA MARS
Par Sullivan Le Postec
Neptune, petite ville de Californie, est peuplée par des milliardaires – et leurs employés. La lutte des classes y a encore tout son sens et fait rage au Lycée, où elle sert de carburant aux usuelles cruautés claniques adolescentes. Les Mars ne sont pas fortunés, mais la position de shérif du père, Keith, confère à la famille une certaine respectabilité. Tout change quand la meilleure amie de Veronica Mars, Lilly Kane, est assassinée. Le Shériff Mars soupçonne le père de la victime, l'un des principaux notables de la ville. Cela lui coûtera son poste. Par fierté, il refuse de quitter Neptune et devient détective. Sa femme sombre dans l'alcoolisme, puis part sans laisser d'adresse. Veronica se range du coté de son père et devient une paria au Lycée. Lors d'une soirée, elle se fait administrer une drogue à son insu et elle est violée sans en garder le moindre souvenir.
Un an plus tard, rien en apparence ne révèle la trace de ces épreuves chez la jeune fille. Son espièglerie et son cynisme apparent sont les pièces de
l'armure qu'elle s'est forgée pour se protéger. Comme elle, la série dissimule derrière des répliques hilarantes et un ton branché un propos sombre et désabusé sur un monde corrompu par l'argent
et l'incapacité des adultes à protéger les jeunes de la violence – sexuelle en particulier.
Veronica mène de front ses études, son travail pour son père qu'elle assiste à l'agence, les affaires confiées par d'autres lycéens, et son
enquête personnelle sur le cas de Lilly : une hyper-activité classique pour qui cherche à combler une profonde faille narcissique, illustrée à l'écran par une incroyable maestria
scénaristique . Mais photographier des adultères a renforcé sa défiance envers le reste de l'humanité, en laquelle elle ne parvient plus à avoir confiance. Quand l’histoire commence, cela fait
déjà longtemps que ce ne sont plus les autres qui la rejettent, mais bien le contraire – ce que certains personnages comme Meg, nouvelle petite amie de son ex, sauront lui faire remarquer.
Traumatisée à 16 ans Veronica peut-elle retrouver une sociabilité normale ? C'est la question qui sous-tend toute la série.
D'ailleurs, elle concerne aussi plusieurs autres personnages, amis ou ennemis : nombre des coupables que Veronica démasque au terme de ses enquêtes
sont eux-mêmes d'anciennes victimes. Logan (qui deviendra son petit ami) est battu par un père qui reproduit les sévices qu'il a lui-même subit ; Mac, informaticienne surdouée, découvre qu'elle a
été échangée avec le bébé d'une famille riche, puis que son petit ami est un tueur ; vilain petit canard de sa famille, Cassidy a été la victime d'un pédophile ; Wallace, le meilleur ami de
Veronica, apprend que sa mère lui a caché que son père était en vie ; Parker, la camarade de chambre de Mac à l’université, est victime d’un violeur en série... Dans le monde de Veronica Mars,
l'adolescence est un traumatisme dont on se remet avec plus ou moins de séquelles.
Au fil des deux premières saisons, nous verrons Veronica rencontrer ou renouer avec de nombreux personnages, et reconstituer progressivement
un réseau de connaissances, puis d'amis. Mais au fond, rien n'est réglé et la troisième saison démontre qu’il en faut peu pour réveiller ses démons. Au terme de cette dernière saison,
menée sous la pression constante des interventions de la chaîne, et alors que son créateur espérait vivement la poursuivre sous une forme ou une autre, la série a été annulée sans que les
derniers épisodes aient pu lui apporter une conclusion satisfaisante. La série se termine en laissant les personnages dans des situations contrastées. Mac, Parker ou Dick parviennent à se
reconstruire. Logan semble ne pas pouvoir échapper au cycle de violence et d'auto-destruction qui l'aspire. Veronica continue de brûler les étapes pour (se) prouver qu'elle est brillante, mais -
même si la poursuite de sa relation avec Piz, le plus positif de ses petits amis, apporte une note d'espoir – elle n'a que peu amélioré ses problèmes de confiance et de relation à autrui.
Il faut reconnaître que Rob Thomas ne semblait pas toujours maîtriser parfaitement l'évolution de son héroïne. Au cours de la troisième et dernière
saison, elle parait faire surplace. Serait-ce parce que voir Veronica Mars faire la paix, aussi bien avec elle-même qu'avec le monde, et trouver le bonheur marquerait nécessairement la conclusion
de son parcours ?
Etats-Unis, UPN puis the CW, 2004-2007 (3 saisons, 66 épisodes). Diff. France : 13ème Rue, 2005 ; M6, 2007. Créée par Rob Thomas (producteur
exécutif). Avec : Kristen Bell, Enrico Colantoni, Jason Dohring. Scénaristes: John Enborn, Diane Ruggiero. Réalisateurs : Mark Piznarski (Pilote), John T. Kretchmer. Musique du générique : The
Dandy Warhols. Édition DVD : Intégrale zone 1 (avec ST Français, Warner Home Vidéo)