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Habiba Mahany : Kiffer sa race

Par Gangoueus @lareus

Habiba Mahany : Kiffer sa race Habiba Mahany
Il m’a fallu un peu de temps pour rentrer dans ceroman écrit par l'écrivaine française Habiba Mahany. Mais, une fois qu’on se fond dans la tête de la jeune adolescente narratrice et dans son mode d’expression fait de subsides de français, de verlan et d’arabe, alors le kif est possible. Sabrina est son prénom. Quand commence ce roman, elle est sur le toit de sa tour pour scruter l’horizon, s’élever au-dessus d’un quotidien où tout semble se dérober. La famille. Un père maghrébin qui a travaillé durement pour prendre soin de sa maison et faire face à une épouse émancipée financièrement. Une fratrie de trois, avec une sœur aînée adulée qui depuis une expédition au bled, s’enfonce dans un repli sur soi et sur Internet, sur lequel elle végète et refuse toute communication, un petit frère, seul homme et pourri-gâté par ses parents au point de devenir un véritable petit despote à l’endroit de sœur, lui qui n’a quatorze ans. Entre Sabrina et Adam, c’est une haine ouverte, la seule rupture ouverte, car Sabrina est avant tout un personnage attachant et malicieux. Résister aux assauts de son petit frère, c’est un acte de survie.
Il y a aussi ses amies, Nedjma, clin d’œil de la jeune romancière française au grand écrivain algérien. Nedjma, l’amie de toujours qui dérive avec un caïd de la cité. Nedjma. Fatoumata, la fille Koné. Jacqueline la chinoise corvéable à merci, modèle de droiture. Lamine, la grosse brute black de la classe, charmant à force de crétinisme. Et Alphonse Mercier, l’extra-terrestre, qui vient bouleverser le petit monde. Grand, beau, musclé, le jeune homme vient de débarquer dans cette cité d’Argenteuil. Il est exigent, imperméable à la médiocrité qui prévaut dans ce collège et que décrit très bien Sabrina. Une attitude qui lui vaut les quolibets et un rejet massif des autres élèves. Mais pour Sabrina, c’est l’occasion d’une brutale émulation. Car la seule chose stable dans son univers, ce sont ses études. Sabrina est brillante, même avec ses copines, elle chourre des babioles dans l’hypermarché du coin avec ses copines. 
Avec les mots qui appartiennent à la cité, Habiba Mahany, dresse un portrait avec beaucoup précis, sensible, drôle et extrêmement lucide sur ce petit monde si méconnu. On y découvre un univers de communautés hétéroclites extrêmement cloisonnés. Oui, ce regard de l’intérieur qu’offre Sabrina, à l’image de sa famille fragilisée, révèle le racisme entre communautés et une grande méconnaissance de celui qui est mon voisin, même quand on est coreligionnaire. Vivre dans un même espace, ne suffit pas. Les histoires qui conduisent ces différentes populations dans ces zones mal famées de la république sont souvent très diverses et portent parfois les restes d’anciennes violences.
Contrairement au titre, Kiffer sa race, ce roman est un appel à l’ouverture et au dépassement de soi et des hantises du passé trainées consciemment ou pas. Je ne peux pas m’empêcher de penser à cette réflexion de Gaston Kelman, sur l’intégration des jeunes filles de banlieue, je trouve que les textes d’Habiba valide la théorie de l’auteur de Je suis noir et je n’aime pas le manioc. L’ascension sociale par le moyen du système éducatif est une voie qu’on retrouve dans le discours.
Il est difficile de ne pas faire référence au roman de Faïza Guène, Kiffe Kiffe demain, même si le contexte familial est différent. On retrouve une galerie de portraits de la cité, le caractère glauque de l’environnement dans lequel évolue Sabrina, et en même temps l’amour, et l’espoir d’un avenir meilleur dont on épie l’horizon du haut du tour d’Argenteuil qu’on imagine expurger de ce racisme latent. Un roman très intéressant dans une langue maîtrisée, malgré sa forme crue et habitée par le parler des cités. Bonne découverte.
HabibaMahany, Kiffer sa race Editions JC Lattes, 1ère parution en 2009 Voir d'autres avis : Jetset Magazine La livrophile  Source photo : Fondation TF1

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