Vous avez sans doute, ou cela ne saurait tarder, entendu parler du « rapport Ferran », de ses constats sur l'état du cinéma français et des douze propositions qu'il contient, destinées à améliorer la situation, sinon résoudre la crise constatée. Son premier mérite sera toujours de faire réagir comme ici :
Sur Ecrans
Sur le blog Éloge de l'amour là et là
Chez Joachim
Sur le blog de Serge Toubiana
Chez les Cahiers du Cinéma
Sur le blog Château de sable
Il y en a certainement d'autres mais une fois lu tout ceci, vous aurez une bonne vue d'ensemble. Maintenant, qu'est-ce que je peux bien avoir à exprimer là-dessus ? J'ai l'impression d'entendre parler de crise du cinéma français depuis que je m'intéresse sérieusement à la critique, disons depuis le match Belmondo – Demy en 1982. C'est un peu comme pour la croissance ou l'école, je ne me rappelle pas vraiment avoir vécu une période où « ça allait bien ». A force, on s'habitue. Ensuite, Pascale Ferran, moi je l'aime bien. J'ai apprécié ce qu'elle a dit aux Césars, j'avais même repris son texte sur Inisfree. La fascination pour le modèle américain, j'ai connu ça quand j'avais 18 ans et ça m'a passé. Le bilan en terme de cinéastes originaux sortis là-bas pendant les vingt dernières années n'est guère meilleur que le notre et la façon dont le système hollywoodien qui sévit depuis les années 80 a brisé la carrière d'un réalisateur comme Michael Cimino suffit à le disqualifier à mes yeux. Les multiplexes, j'en ai déjà écrit tout le mal que j'en pensais et imaginer que la dérégulation puisse être une solution me fait doucement ricaner. Maintenant cette notion de « films du milieu » n'est pas très heureuse même si elle correspond a une réalité économique. Milieu rime trop avec moyen et médiocre. Pourtant, ce ne sont pas sur des films moyens et médiocres que pèse le plus la menace, je n'ai qu'à regarder le programme des salles de ma ville pour le constater, mais bien sur les films les plus ambitieux. J'aurais donc tendance à poser le problème ainsi : comment donner de véritables chances à des films ambitieux ? C'est plus motivant.
En amont, je crois que l'un des problèmes est que les cinéastes ne font pas assez de films. Deux ans pour un court-métrage, cinq ou plus pour un long, c'est désespérant. Je ne citerais pas de noms pour ne pas m'embarquer sur le faux problème de savoir qui est bon ou pas (c'est pour la critique, ça) mais je trouve absurde que des gens de talent ne puissent évoluer dans un cadre qui leur permette d'enchaîner régulièrement les films. A la grande époque des studios américains ou italiens, un Ford, un Fellini, un Hitchcock, un Corbucci pouvaient faire un, deux voir trois films par an. François Truffaut avait mis au point une méthode lui permettant de tourner un film tout en préparant les deux suivants. L'avantage, c'est qu'à ce rythme, un échec public ou critique (ou les deux) n'est pas trop grave, alors que quand on fait un film tout les cinq ans, il doit forcément être réussi et marcher. Et puis, est-ce que vous auriez confiance en un chirurgien qui ferait une opération tous les deux ans ? C'est en forgeant au pied du mur que l'on voit le plombier, c'est bien connu.
En aval, les films ont besoin de temps. A plus forte raison s'ils sont un peu originaux, novateurs, difficiles comme on dit. Du temps, c'est à dire un nombre raisonnable de copies, un espace décent sur les écrans et des distributeurs qui les soignent. C'est donc un problème d'argent. De qualité aussi mais pas seulement. Je ne suis pas d'accord avec cette idée qu'il faudrait faire des films que « le public » aurait envie de voir. Cela me semble en contradiction avec le désir d'avoir des films ambitieux et originaux. Je me dis aussi que si l'on peut amener des millions de personnes à voir un authentique navet, il doit y avoir moyen d'en déplacer quelques centaines de milliers pour voir quelque chose de bien. Mais ce n'est pas tout à fait le même travail. Je doute fortement que « le public » ait eu une envie irrésistible et immédiate d'aller voir Cris et chuchotements d'Ingmar Bergman. Pourtant, lancé avec soin, le film fut un succès public. L'histoire du cinéma est pleine de ces exemples. « Le public » n'existe pas. Il y a des publics et chaque film doit trouver le sien. Ce n'est pas un problème qu'une grosse comédie ou une superproduction fasse des millions d'entrées. Pas plus que c'est un problème que des films confidentiels ne touchent qu'un public confidentiel. On peut éventuellement trouver amoral que nos authentiques navets cassent la baraque. C'est la vie. Non, ce qui est anormal, c'est quand les grosses machines, pour atteindre leurs objectifs économiques, empêchent les autres productions d'atteindre les leurs, même s'ils sont plus modestes. Et c'est bien ce qui se passe aujourd'hui, et ce pourquoi je déteste les multiplexes. Les grosses sorties se font avec un nombre croissant de copies, occupant un maximum de salles sur une durée courte et écrasant au passage ceux qui ne peuvent rivaliser, bon film ou pas. Cela, c'est la loi de la jungle. Cela, c'est la tendance actuelle, la politique des multiplexes et des grosses chaînes de diffusion.
Exemple pratique. A Nice, il y a un cinéma partiellement art et essai. Il a une grande salle, une moyenne et trois petites. Il fait partie d'un réseau important. Quand il y a une grosse sortie, le film prend la grande salle et relègue les autres dans les salles plus modestes, et cela même si la grosse sortie est un bide et que les gens se pressent pour un film plus modeste. C'est là qu'il y a un problème.
Après, on peut poser le problème de la qualité des films, reconnaître que la majorité ont une esthétique de téléfilm (normal, ils sont prévus pour remplir des cases à la télévision qui finance), et qu'ils ne sont pas très excitants. On peut aussi se poser le problème du volume de la production et se demander pourquoi sortent dans la plus grande indifférence des comédies interchangeables avec des gens souvent venus de la télévision ou de vagues drames parisiens (pardon maman) éminemment soporifiques. Mais je me demande aussi pourquoi les films d'Emmanuel Mouret, plutôt drôles et réussis, n'ont pas plus de public. Oups, j'ai donné un nom !
Passons à la critique. Elle se sent en crise parce qu'elle se demande à quoi elle sert. Parce qu'elle s'en veut, plus ou moins consciemment, de ne pouvoir, savoir, agir pour aider à résoudre cette crise du cinéma. Pour des professionnels, cela doit être perturbant, mais tout cinéphile connaît ça. Quand je tartine sur Blindman en criant au chef d'oeuvre, si l'on m'écrit « Je l'ai vu, qu'est-ce que c'est que cette daube ? », je me sens misérable et inutile. Si l'on m'écrit en revanche : « Je l'ai vu, c'est une merveille, que votre nom soit béni jusqu'à la dixième génération », je plane pendant une semaine.
Un critique, ça sert à donner envie. J'ai commencé par lire Première, au début des années 80, mais ils ne m'ont jamais donné l'envie de voir quoi que ce soit. Heureusement, en 1983 est arrivé Starfix. Eux m'ont donné plein d'envies, des envies qui durent encore aujourd'hui. Il y a eu aussi Patrick Brion et Claude Jean Philippe à la télévision et puis l'émission Cinéma, cinémas. Et quelques autres comme Truffaut pour Hitchcock. Je suppose que c'est ce qui s'est passé à la grande époque des Cahiers du Cinéma dans les années 50. Ils donnaient envie. Aujourd'hui, la critique professionelle vit dans cette nostalgie. Moi, les Cahiers années 80, je n'y comprenais rien. Aujourd'hui, Internet a changé beaucoup de choses. Pris sous cet angle, les meilleurs critiques pour moi maintenant, ce sont Breccio du forum western movies qui m'a fait acheter des DVD jusqu'en Allemagne ou Pierrot, le Dr Orlof, auquel je dois l'exploration en règle du cinéma de Luc Moullet. Hervé Joubert Laurencin, qui intervient dans la table ronde dont on rend compte sur Château de sable, je l'avais rencontré pour une table ronde autour de Pasolini. Mais ce n'est pas lui qui m'a donné l'envie de découvrir les films du maître, c'est la séquence de Caro Diaro de Nanni Moretti. Donner envie, ce n'est pas simple. Ce que je retiens de cette table ronde, c'est la réflexion d'Antoine de Baeque « Le problème, c'est que c'est la même chose qui s'écrit partout ». Partout pour la critique professionnelle faudrait-il préciser. Parce qu'elle est tenue par l'actualité et que l'actualité va de plus en plus vite. Critrique, c'est un métier mon bon. Avec Breccio, nous pouvons décider que notre actualité sera Il pistolero dell'Ave Maria. Avec Pierrot que ce sera Moullet ou Edwide Fenech ou Johnny Guitar. D'accord, ce n'est as notre métier, mais professionnels et amateurs ont toujours coexisté. Simplement avant, il y a bien longtemps, les amateurs écrivaient dans des fanzines qui tiraient à quelques centaines d'exemplaires au mieux. Certains passaient à des revues, relativement confidentielles mais qui, sur la distance, ont eu leur influence et je pense par exemple à Midi-Minuit Fantastique. Aujourd'hui, les amateurs écrivent sur des blogs et des sites et des forums et tous naissent libres et égaux. Pour le moment. Mais si l'on regarde le classement de Wikio, on voit que des amateurs éclairés comme Joachim ou Pierrot sont autant voir plus lus que des blogs professionnels comme Écran ou Contrechamp. Quand je dialogue avec Serge Toubiana, c'est de blog à blog et non plus de lecteur à rédacteur en chef. C'est intéressant. D'autre part l'utilisation des photographies et de la vidéo permet d'enrichir les contenus. Des documentaires et des micro émissions naissent sur la toile. De tout ce bouillonnement, que sortira-t'il ? Et quelle influence sur les films ? Le suspense est insoutenable.
Un critique, ça sert aussi à prolonger le plaisir. Quand je vois un film de Howard Hawks, je reprends toujours après son livre d'entretiens avec Joseph McBride. Sur ce plan, je trouve que la critique se porte plutôt bien. Il sort beaucoup de livres et les dossiers, ceux de Positif comme parfois ceux des Cahiers et des autres sont souvent riches. Bien d'ailleurs le dossier rock' 'n roll et cinéma dans le dernier Positif. Ce travail d'accompagnement se fait aussi de plus en plus sur les DVD, avec plus ou moins de bonheur, mais c'est un travail d'universitaire souvent, d'historien. Et l'on sent bien que le problème de la critique, celui qui la taraude et qui lui fait brandir ce doux mot de « crise », ne saurait être résolu en se tournant vers le passé mais en participant à l'avenir.
Je n'ai pas de conclusion, même provisoire. Ce ne sont que quelques réflexions, si vous avez eu la patience de les lire jusqu'au bout. Juste une chose, toute cette effervescence, toutes ces discussions croisées, c'est bien, c'est un peu l'esprit de mai, si vous voyez ce que je veux dire. On peut toujours ressortir un slogan comme « L'imagination au pouvoir », cela ne fera de mal à personne.