Après la peinture latino-américaine, la peinture japonaise, la peinture française, la peinture américaine et la peinture allemande, voici donc venu le tour de la peinture chinoise du XXe siècle à nos jours ! Et c’est un gros morceau, un très gros morceau…
C’est que la peinture chinoise est en plein boum dans les salles de vente. En 2011 s’est même produit une petite révolution : Picasso, qui caracolait depuis des années en tête des ventes a été détrôné. Selon le classement Artprice (leader mondial de l’information sur le marché de l’art), deux peintres chinois lui sont passés devant : Zhang Daqian et Qi Baichi, avec tous les deux plus de 500 millions de $ de chiffre d’affaire réalisé en une année dans les ventes aux enchères (contre seulement 300 millions pour Picasso et Warhol !). Cette même année 2011, on trouve pas moins de 6 peintres chinois parmi les 10 artistes les plus vendus de l’année (avec Xu Beihong, Wu Guanzhong, Fu Baoshi et Li Keran) en compagnie de Picasso, Warhol, Richter et Bacon, excusez du peu ! D’ailleurs, dès 2010, Thierry Ehrmann, fondateur et président d’Artprice, écrivait « c’est un électrochoc dans l’histoire du marché de l’art mondial : la Chine est désormais numéro 1 des ventes aux enchères de Fine Art ». Il ne lui aura fallu que trois années pour passer d’une troisième marche d’un podium, ravie à la France en 2007, à une première place devant le Royaume-Uni et les Etats-Unis, grands maîtres du marché depuis les années 50.
Il était donc temps que je m’intéresse à la peinture et aux peintres venus de l’Empire du milieu… Et ce ne fut pas une mince affaire car je partais de zéro (ou presque : je connaissais Zao Wou-ki !) et avais tout à découvrir. Cela m’a donc pris plusieurs mois, mais voilà enfin le résultat, en 176 tableaux.
Mais avant, un peu d’histoire…
Les débuts
Durant la première moitié du siècle, la Chine est le théâtre de querelles politiques internes et la cible d’invasions étrangères, notamment Japonaise. C’est dans ce contexte troublé que la peinture moderne chinoise commence réellement, avec le New Culture Movement (ou « May Fourth ») né dans les années 1916/1920, après l’échec de la République de Chine, fondée en 1912. La désillusion incite certains Chinois a vouloir couper avec la culture traditionnelle chinoise et à créer une nouvelle culture chinoise basée sur les normes de l’Ouest, en particulier la démocratie et la science. Les artistes chinois commencent alors à adopter les techniques occidentales. C’est à cette époque que la peinture à l’huile est introduite en Chine. Certains artistes étant partis étudier en Europe ou au Japon vont rejeter la peinture traditionnelle chinoise (comme Chen Baoyi ou Chang Shuhong qui va passer 8 ans en France, à Lyon puis Paris entre 1928 et 1936), d’autres vont essayer de combiner le meilleur des deux traditions. Parmi ces derniers, les renommés et influents Xu Beihong et Lin Fengmian, ou la magnifique Pan Yuliang, amie de Matisse.
En 1912, Pan Yuliang n’est qu’une humble servante dans une maison de prostitution d’Anhui, petite ville provinciale. Elle y fait la connaissance d’un riche fonctionnaire, dont elle s’éprend. Découvrant son intelligence, sa sensibilité, celui-ci, pris de pitié, la prend pour concubine. Sa nouvelle condition va lui permettre de s’initier à l’art en suivant des cours de peinture. Elle s’y montre très brillante, mais son thème de prédilection, le nu, fait scandale à l’époque, en Chine. Pour réaliser son ouvre, elle se rend en France, alors pôle d’attraction des artistes. Elle y étude les maîtres de l’Ecole Impressionniste et Matisse qui l’inspireront avant que ne se forme son style personnel.
Né en Chine, Lin Fengmian fut l’un des premiers artistes chinois à étudier en France de 1918 à 1925, à Dijon et à Paris. À son retour en Chine, il occupa plusieurs postes importants dans le circuit académique officiel. En tant que président de l’Académie Nationale des Arts de Beijing et directeur de l’Académie des Arts de Hangzhou, il exerça une grande influence sur le développement de l’art contemporain de son pays.
Xu Beihong part à Paris en 1919. Il s’y familiarise aux techniques du dessin et de la peinture à l’huile à l’École nationale supérieure des beaux-arts où il étudie aux cotés de Pan Yuliang. Il assimile ainsi certaines techniques occidentales et tente d’enrichir la tradition picturale chinoise en appliquant certaines d’elles aux lavis chinois. De retour en Chine en 1927, il occupe des postes d’enseignant dans différentes institutions, dont l’Université de Nanjing. En 1933, il organise une exposition de peinture contemporaine chinoise, exposition qui voyagera dans plusieurs pays d’Europe, France, Allemagne, Belgique, Italie et Union soviétique.
La République populaire de Chine
Dans les premières années de la République populaire de Chine (proclamée le 1er octobre 1949, à la suite de la victoire militaire du Parti communiste chinois sur le Kuomintang), les artistes sont encouragés à produire en masse des peintures inspirées du réalisme socialiste de l’Union soviétique. Les artistes produisent alors des œuvres glorifiant l’entrée dans une ère nouvelle, le renouveau du pays et l’avenir du peuple. Ce régime est considérablement assoupli en 1953 et, après la campagne des Cent Fleurs de 1957 (lancée par Mao pour rétablir son autorité sur le Parti), la peinture traditionnelle chinoise connait un renouveau important. Parallèlement, il y a une prolifération de l’art paysan illustrant la vie quotidienne dans les zones rurales à travers des peintures murales ou des expositions de peinture en plein air.
Pendant ce temps, vaincu par Mao, le Kuomintang de Tchang Kaï-chek s’est replié sur l’île de Taïwan (avec deux millions de Chinois, en majorité des troupes), dirigeant un régime qui constitue la continuation de la première République de Chine, officiellement reconnue par l’ONU jusqu’en 1971. De nombreux artistes suivent le même chemin, comme Pu Ru ou Chao Chung Hsiang. D’autres sont déjà partis durant les 3 années de guerre civile, comme Zao Wou-ki qui s’installe en France dès 1947.
Mao et la Révolution culturelle
De 1966 à 1976, la Révolution culturelle lancée par Mao vise à l’élimination des « Four olds » (« les vieilles idées, la vieille culture, les vieilles coutumes et les vieilles habitudes ») des classes exploiteuses. En conséquence, les écoles d’art sont fermées, la publication de revues d’art et les expositions cessent, et, sous la conduite de zélés Gardes Rouges, des destructions majeures ont lieu : des temples sont saccagés ; des travaux classiques de littérature sont brûlés ; des peintures sont déchirés ; des antiquités sont brisées. Les intellectuels sont particulièrement visés en tant que personnification des Four Olds, raillés, harcelés, emprisonnés, torturés ou tués. Les seules peintures autorisées sont celles qui glorifient Le Grand Timonier et sa propagande, comme celles de Jin Shangyi, Liu Chunhua ou Chen Yanning.
Un souffle nouveau
Après la mort de Mao, un souffle de liberté, que l’on peut qualifier d’art post-révolution culturelle, donne à certains artistes le courage de mettre en question le dogme maoïste selon lequel le contenu (politique) détermine la forme. Wu Guanzhong, formé à l’école française, provoque un débat en 1979 dans la revue Meishu (« Art ») sur la possibilité de voir la beauté dans les formes et les matières naturelles. De fait le contenu (politique) se trouvait minimisé par rapport à la forme, jugée selon lui essentielle.
Le groupe « Scar Art » (« Groupe cicatrice ») trouve son inspiration dans une histoire en images, Maple, de Chen Yiming, Liu Yulian et Li Bin, publiée aussi en 1979, et qui revenait sur les souffrances endurées pendant la révolution culturelle. Ils développent une forme nouvelle que l’on peut qualifier de réalisme critique, une peinture chargée d’émotion.
Le groupe « Native Soil Art » (« Groupe Terre Natale »), utilise la peinture réaliste à l’huile très proche de l’hyperréalisme occidental. Véritables prouesses techniques, ils représentent des scènes d’intérieur ou des portraits en gros plan, souvent de minorités chinoises, comme la série tibétaine de Chen Danqing.
Les années 1980 sont marquées par une forte mobilisation politique des artistes chinois d’avant-garde. Mais en 1983-1984, la campagne de lutte contre la « pollution spirituelle » importée du monde « bourgeois », lancée par le département de la propagande du PC, provoque un arrêt des débats sur la forme et un arrêt des expositions d’art occidental. Mais, s’il bloque temporairement le mouvement engagé, il contribue aussi à le radicaliser. C’est en effet au milieu des années 1980 que toutes les informations sur les mouvements occidentaux « décadents » et interdits jusqu’alors arrivent en Chine, soit sous forme de reproductions dans les revues, soit sous forme d’expositions. Des centaines de textes théoriques sont traduits. Tout ce qui s’était passé en un siècle en occident déferle d’un coup. Rauschenberg a même l’éminent privilège d’être le premier artiste contemporain occidental à avoir une exposition monographique en Chine.
En 1989, l’« Exposition d’art moderne chinois » (« China/Avant-garde ») à la National Art Gallery de Pékin est d’une ampleur sans précédent. Elle rassemble 185 artistes des plus représentatifs de l’art contemporain. L’exposition, débutée le 5 février 1989, doit subir trois fermetures temporaires pour « raisons de sécurité », mais est un extraordinaire « événement ». Pour accueillir les visiteurs on a déployé sur le parvis d’immenses bandes de tapis noirs couverts de « demi-tour interdit » ! On peut y voir des œuvres des peintres Wang Guangyi, Ding Fang, Ye Yongqing, Mao Xuhui, Liu Xiaodong, Fang Lijun ou Geng Jianyi, entre autres artistes, sculpteurs, plasticiens ou performeurs… Un moment de très grande intensité, qui marque pourtant la fin de l’Avant-garde : entre le 15 avril 1989 et le 4 juin 1989, ont lieu les manifestations de la place Tian’anmen.
La globalisation et le virage chinois
A partir de 1994, les expressions « art contemporain » ou « art expérimental » deviennent systématiquement employés et le nouvel art chinois apparaît aux yeux de l’Occident comme une partie de l’art contemporain international. Alors que des milliers d’artistes ont émigré depuis le milieu des années 1980, pour ceux qui sont restés les opportunités d’exposition ou de travail temporaire à l’étranger se multiplient. Le marché occidental de l’art contemporain chinois est lancé. Toutefois, tandis que les autorités déploient, avec la participation de certains artistes, de gros efforts pour « légaliser » l’art contemporain, en prétendant rapprocher l’art contemporain du « public », le « populariser », ils lui retirent tout pouvoir de création expérimentale, creusant un fossé avec les artistes « de l’extérieur ». Ceci justifie des expositions alternatives, programmées pour le monde de l’art expérimental chinois qui commence à se constituer.
La Troisième Biennale de Shanghai, en 2000, en invitant de grands noms étrangers (Bernard Frize, Tatsuo Miyajima, Anish Kapoor ou Anselm Kiefer), montrés pour la première fois en Chine, en acceptant des installations et des vidéos qui n’avaient jamais franchi la porte d’un musée chinois, et en montrant quelques artistes locaux «dérangeants» (Fang Lijun, Liu Xiaodong, Wang Huaiqing ou Cai Guoqiang), marque une rupture, que les années suivantes vont confirmer (même si, à quelques kilomètres du musée, dans un hangar gigantesque en bordure d’un canal, une cinquantaine d’artistes chinois exposent, à l’invitation de Ai Weiwei et Feng Boyi, des œuvres bien plus «radicales», sous le titre Fuck Off). On entre dans l’ère des méga-expositions. L’année 2005 est, par exemple, marquée par au moins sept méga-expositions (biennales ou triennales) : Chengdu, Guiyang, Guangzhou (2 fois), Macao, Shenzhen et Pékin. Toutes ouvertes à la globalisation, aux formes venues de l’Occident (installations et multimédia) ou aux styles occidentaux en peinture comme en sculpture. Alors que le gouvernement de la République populaire de Chine était plus ou moins hostile à l’art contemporain, il organise maintenant l’exportation de l’art contemporain chinois dans le monde. On sait avec quel résultat : la Chine est en tête du marché des enchères d’œuvres d’art depuis 2010, et le peintre chinois Zhang Daqian est devenu numéro un au classement des enchères mondiales en 2011, devant Qi Baishi…
Mais ce qui est remarquable, c’est que les acheteurs chinois (qui croulent sous les liquidités) n’ont pas fait main basse sur les valeurs sûres de l’art occidental, comme les nouveaux riches d’autres pays non-occidentaux avant eux, mais ont plutôt créé leur propre standard, achetant très majoritairement des artistes chinois. L’argent chinois (sans doute encouragé par le gouvernement qui fait la guerre à l’influence occidentale dans la culture chinoise) est d’ailleurs surtout allé conforter la culture chinoise la plus classique, ou alliant classique et modernité, plutôt que d’alimenter la bulle d’un art contemporain qui fait beaucoup parler de lui dans le monde depuis une décennie, atteignant des cotes extravagantes en quelques années.
La galerie du XXe siècle…
Voici donc cette peinture chinoise, de 1901 à 1999, en 132 tableaux et 132 peintres…
… et celle du XXIe
Et depuis 2000, en 40 tableaux…