Rudy Reichstadt est l'animateur du site Conspiracy watch, l'observatoire du conspirationnisme et des théories du complot sur Internet. Le Réseau Voltaire et son fondateur Thierry Meyssan, sont en très bonne place sur le site. Parler avec Rudy Reichstadt du Réseau Voltaire, c'est se plonger dans une nébuleuse conspirationniste aux multiples personnages et aux frontières idéologiques floues. Entretien.
Que peut-on lire sur le site du Réseau Voltaire ?
En 2002, Meyssan sort son livre sur les attentats du 11-Septembre – "L'Effroyable Imposture" – dans lequel il défend la théorie du complot sans même avoir essayé de se rendre aux Etats-Unis, sur place, pour enquêter. Le Réseau Voltaire prend alors une tournure assez différente de ce qu'il était auparavant. Dès l’année 2002, Meyssan noue des liens avec le Hezbollah libanais et avec l’Iran et prend une orientation très "anti-impérialiste", anti-sioniste, anti-américaine, anti-occidentale en général. En gros et en forçant à peine le trait, on peut dire que, depuis cette époque-là, la moindre crise politique, le moindre conflit, le moindre attentat terroriste dans le monde est mis au compte des manipulations souterraines de l’OTAN, de la CIA et/ou du Mossad.
En 2005 il y a une scission au sein du Réseau Voltaire. Le Conseil d’administration est profondément remanié. Issa el-Ayoubi devient vice-président du Réseau Voltaire. Ayoubi est un responsable du Parti social nationaliste syrien, le PSNS. C’est un parti libanais qui défend le projet d’une "Grande Syrie", qui estime que le Liban n’est qu’une province de la Syrie. Allié du Hezbollah, le PSNS a été fondé dans les années 1930. C’est alors un parti pro-nazi. Il a gardé cet héritage fasciste. Son emblème, présent sur le drapeau du parti, est d’ailleurs très éloquent puisqu’il s’agit d’une croix gammée à peine stylisée.
« un mercenaire de la désinformation »
A la même époque, Meyssan organise en Belgique une grande conférence "anti-impérialiste" en partenariat avec des médias officiels comme Russia Today – la chaîne de télévision du Kremlin –, TeleSur - chaine vénézuelienne, Al-Jazeera ou encore le journal d’extrême droite American Free Press.
En 2008, Thierry Meyssan part s'exiler volontairement au Liban, à Beyrouth, prétendant qu'il ne peut plus travailler en France où dans un quelconque pays de la "zone OTAN", car il s’y sent physiquement menacé. Il travaille alors avec Al-Manar, qui est la chaîne de télévision du Hezbollah. Et ça devient, à mon sens, un mercenaire de la désinformation au service des intérêts de Téhéran mais aussi de Moscou et de Damas. En 2011 par exemple, lors de l'intervention de l'OTAN en Libye, il va sur place pour soutenir le régime de Kadhafi et annonce dans une interview qu'il a "pris des responsabilités au sein des institutions de la 'Jamahiriya' arabe libyenne".
Donc, que peut-on lire sur le Réseau Voltaire ?
Les liens avec des personnalités proches du FN, dénoncées hier, sont d’ailleurs clairement assumés par Meyssan qui explique que la situation internationale est d’une telle gravité qu’elle justifie qu’on fasse alliance avec des gens de l’autre bord, fussent-ils d’extrême droite. Aux élections européennes de 2009, Thierry Meyssan n'est pas sur la "Liste antisioniste " de Dieudonné puisqu’il avait déjà quitté la France à cette époque, mais la liste en question se réclame ouvertement de son soutien. Meyssan s’est par ailleurs rendu au Liban et en Syrie, en 2006, avec des personnalités comme Frédéric Châtillon – un ancien du GUD, un groupe d’extrême droite – ou encore Alain Soral – qui est alors dans l’équipe de campagne de Jean-Marie Le Pen.
L’année dernière encore, Meyssan a organisé en collaboration avec le régime de Bachar el-Assad, un voyage en Syrie pour des bloggeurs de sensibilité "anti-impérialiste" ou des journalistes de la presse "non-alignée", comme Marc George ou Webster Tarpley, afin de faire entendre l'autre son de cloche, celui des autorités syriennes.
Il y a un dossier complet sur Conspiracy Watch sur le Réseau Voltaire, en quoi est-il complotiste ?
Idem pour la Libye l’année dernière où, là encore, Meyssan a soutenu la thèse d’un complot occidental et s’ingéniant à défendre bec et ongles le régime de Kadhafi, qui était, d’après ce qu’il en disait à l’époque, "une démocratie participative qui se rapproche du modèle suisse" et en tous cas "beaucoup plus démocratique que le régime qui prévaut actuellement en France !"
Concernant l’Iran, rappelez-vous l'affaire Sakineh – cette Iranienne qui a été condamnée à la peine capitale par lapidation. Meyssan va jusqu'à nier l’existence de la lapidation dans le droit pénal iranien. Or, toutes les ONG de défense des droits de l’homme s’accordent pour dire que la lapidation est une peine qui est prévue par le droit iranien et que les exécutions de ce type existent, qu’il s’agit d’un fait répertorié, établi. Et bien non, Thierry Meyssan est capable de dire que ça n'existe tout simplement pas ! Et que toute la mobilisation pour Sakineh n’était qu’une vaste mystification – un complot encore une fois – fomentée par les ennemis de l’Iran.
Est-ce qu'il y a quand même des informations exactes sur le site du Réseau Voltaire ?
Bien sûr ! Mais ce n’est pas le problème. Sur tous les sites conspirationnistes, dans toutes les théories du complot, vous avez des faits exacts. Et c’est bien normal : pour être efficace, une théorie du complot doit s’ancrer dans la réalité, elle doit s’appuyer sur un socle, plus ou moins large, de faits réels et indiscutables. Sur le Réseau Voltaire, c’est pareil et c’est même encore plus sophistiqué que cela : non seulement vous avez des faits exacts, mais vous avez aussi des éléments qui ne sont pas forcément connus du grand public – mais qui le sont en revanche des observateurs et des spécialistes.« la perversité du discours conspirationniste c'est de mélanger le vrai et le faux »
Et donc on a l'impression que le Réseau Voltaire est sérieux, très bien informé, alors qu'il ne fait qu’évoquer des sujets assez familiers des spécialistes des questions géopolitiques par exemple. En revanche, la perversité du discours conspirationniste et d’un site comme le Réseau Voltaire, c'est le mélange du vrai et du faux. C'est de mélanger des informations exactes et établies avec des spéculations gratuites, des rumeurs invérifiables et, surtout, de le faire en écartant soigneusement les éléments qui ne vont pas dans le sens de la conclusion à laquelle on veut arriver. Et s’agissant de Meyssan, c'est très clair : il est dans la défense inconditionnelle du régime iranien, du Hezbollah, de Poutine, de Kadhafi, de Chavez, etc.
Qu'est-ce que le complotisme pour vous ?
C'est un mode de discours, qui peut être au service d'idéologies très différentes et même opposées, qui consiste à délivrer un récit alternatif, un récit concurrent de la version communément admise d'un événement. Et en plaçant au cœur de ce récit une idée de conspiration, de manipulation, de mensonge des autorités.Qui écrit sur le site du Réseau Voltaire ?
Principalement Thierry Meyssan. Il y a quelques signatures qui sont des pseudonymes, qui ne correspondent pas à des gens qui existent vraiment. Dont on peut penser – mais je suis incapable de l'affirmer avec certitude – qu'il s'agit de Meyssan lui-même. Sinon, on y trouve les signatures de Silvia Cattori, Pierre Hillard, Pierre Khalfa, tout un réseau de "correspondants" du Réseau Voltaire, qui constituent en fait le réseau personnel de Meyssan et partagent sa vision du monde. Je sais aussi que s'est créée récemment une nouvelle association, le Réseau Voltaire-France. Elle est présidée par Alain Benajam, un ancien militant communiste, proche de Meyssan depuis plusieurs années.Selon vous quelle est la répercussion du Réseau Voltaire en France ?
Au-delà de la France, c’est dans tout l’espace francophone que le Réseau Voltaire a de l’influence. En tant que site Internet, on ne peut pas dire qu’il soit très "sexy" : il utilise peu la vidéo, il n'y a pas de forum, on ne peut pas laisser de commentaires... Pour autant, c’est un site très visité. D’abord parce qu’il capitalise le rôle qu'il a pu avoir dans le passé – c'était un site assez incontournable il y a une dizaine d’années – mais aussi et surtout parce qu’il vit sur la "renommée" de Thierry Meyssan, dont le livre sur le 11-Septembre a été un véritable best-seller mondial, vendu à des centaines de milliers d'exemplaires et traduit dans une trentaine de langues. Pourquoi ? Parce qu’il affirme que les attentats ont été organisés de l’intérieur, par des Américains, et qu’aucun avion ne s’est jamais écrasé sur le Pentagone. Et parce que, ce faisant, il répond à une demande sociale, il dit à une partie du public ce qu’il veut entendre.Le Réseau Voltaire, si vous voulez, c'est un site prescripteur. Il donne le tempo. Il est ainsi beaucoup repris par la blogosphère conspirationniste, par Égalité & Réconciliation notamment. Toutes les interviews filmées de Meyssan sont relayées sur les plateformes de partage de vidéos en ligne : vous en trouvez des dizaines et des dizaines. Pas mal de ses textes sont également traduits dans d'autres langues. Dans la complosphère, le Réseau Voltaire est considéré comme une source de choix, comme quelque chose d’assez solide, de sérieux. Et le fait est que ça a toutes les apparences du sérieux, avec des notes de bas de page à foison, etc. Mais ce n'est pas parce que ça a l'apparence du sérieux que ça l'est sur le fond. On est plutôt dans la propagande, dans la désinformation professionnelle, dans une sorte de révisionnisme en temps réel. Mais voilà, ça "semble" solide. Depuis cinq ans, j’assure un suivi de plusieurs sites conspirationnistes. Il suffit d’utiliser les outils Google pour se rendre compte que le Réseau Voltaire fait figure de site "pivot" dans la complosphère. Il est devant Égalité & Réconciliation, devant Mecanopolis... Il y a en effet des liens très forts avec Mecanopolis qui relaye à peu près toutes les interventions de Meyssan. C'est un site suisse, fondé par Claude Covassi, un proche de Thierry Meyssan. Covassi est un personnage haut en couleur de la mouvance conspirationniste qui prétend avoir été un agent des renseignements helvétiques et a été poursuivi à un moment dans une affaire de trafic de médicaments.