Les batteries du 787 sont devenues un cas d’école
Pas ŕ pas, Boeing progresse sur un chemin de croix inédit, sous l’étroite surveillance de la Federal Aviation Administration et du National Transportation Safety Board. Deux 787 sont désormais autorisés ŕ reprendre l’air pour procéder ŕ de nouveaux essais en vol, prélude ŕ la remise en service du nouveau long-courrier américain. Mais cela sans qu’un calendrier précis ait été fixé. On n’en est pas encore lŕ.
Les batteries lithium-ion qui sont au cœur de ce désastre technique, opérationnel et financier, n’ont pas fini de nous étonner. Pas plus que le contexte dans lequel s’inscrit cette affaire, étonnante depuis le premier jour. Le NTSB, en effet, n’a pas encore clairement identifié la source du mal et la FAA, de maničre compréhensible, joue la carte de la prudence. A défaut, précédemment, avoir choisi le principe de précaution.
A ce stade, malgré les apparences, rien n’est vraiment résolu. Aussi l’option qui a été retenue consiste, pour l’essentiel, ŕ mieux protéger les batteries, littéralement, en les enfermant mieux, de maničre hermétique. Ce faisant, toute défaillance serait contenue et ne risquerait pas de s’étendre, de prendre des proportions plus graves. Aussi est-on tenté d’en conclure que c’est lŕ une solution par l’absurde, encore qu’il s’agisse plus exactement d’une position d’attente. Tout comme le renforcement de l’isolation ŕ proprement parler.
L’heure des conclusions n’ayant pas encore sonné, et encore moins celle de l’introspection, aucune des parties concernées ne se risque ŕ une premičre tentative d’autocritique. Mais il n’en est pas moins évident que les autorités de certification américaines ne sortiront pas indemnes de cette affaire malheureuse. Laquelle fragilise Boeing, gęne la FAA et concerne, en réalité, la communauté aéronautique tout entičre : ce n’est pas, ce n’est plus, un dossier purement et strictement américain. Et il met ŕ mal quelques affirmations entendues au cours de ces derniers mois.
Les batteries litigieuses –et peu importe qu’elles soient produites au Japon- ont bel et bien été dűment homologuées. Cela sur base d’une procédure qui n’avait rien de nouveau et qui consiste ŕ répartir, ŕ noyer les responsabilités dans une cascade de maničres de faire largement bureaucratiques, tout en illustrant les mauvaises habitudes consanguines du secteur. Męme si chacun cherche ŕ bien faire, les risques de perte de vigilance sont tout simplement considérables. Et, vue sous cet angle, l’affaire des batteries lithium-ion ne tardera pas ŕ apparaître comme hautement salutaire, un spectaculaire rappel ŕ l’ordre.
Le dossier évoque inévitablement une expression soudainement trčs ŕ la mode, issue du monde financier davantage que technique, le Ťde-riskingť. La langue française ne se pręte malheureusement pas ŕ l’émergence de tels néologismes : un seul mot, qui claque, pour évoquer la notion de suppression du risque, des risques. Les banquiers chassent les produits financiers techniques, les ingénieurs sont sensés en faire autant quand apparaissent des innovations dont le bien-fondé ne serait pas inconditionnellement et totalement avéré. Si le Ťde-riskingť avait été omniprésent au cœur du bureau d’études de Seattle, peut-ętre le choix des batteries aujourd’hui litigieuses eűt-il été rejeté.
La sécurité aérienne est jalonnée de problčmes, graves ou anodins, qui illustrent cette notion, celle du contrôle et de la suppression du risque, c’est-ŕ-dire de la prévention. Chacun garde en mémoire la catastrophe qui, en son temps, avait durement frappé Swissair en envoyant le vol SR111 au fond de l’océan. C’est le systčme de distraction ŕ bord qui, ŕ la suite d’une faiblesse électrique tout ŕ la fois banale et inexcusable, avait amorcé ce que les enquęteurs appellent la séquence catastrophique des événements. Petites causes, effets mortels.
Les experts évoquent volontiers la quęte du risque zéro. Et ils le font depuis des décennies, avec une immense bonne volonté. Aujourd’hui leur arrive, sans prévenir, ce cinglant rappel ŕ l’ordre. Mais, quand sera passé le temps de l’émotion, qu’en restera-t-il ?
Pierre Sparaco-AeroMorning