Les salariés français sont-ils vraiment paresseux et réticents à toute forme d’efforts ?

Publié le 14 mars 2013 par Délis


Le PDG de Titan, entreprise internationale spécialisée dans la fabrication de pneus, a provoqué une vive polémique ces dernières semaines en France en dressant le portrait de salariés français nantis et paresseux. Un temps pressenti pour reprendre l’usine Goodyear d’Amiens-Nord, Maurice Taylor a expliqué les raisons de son retrait de la table des négociations dans une lettre adressée au Ministre du Redressement Productif, Arnaud Montebourg : il y décrit « les soi-disant ouvriers [qui] touchent des salaires élevés mais ne travaillent que trois heures par jour. Ils ont une heure pour leurs pauses et leur déjeuner, discutent pendant trois heures et travaillent pendant trois heures ». Ce portrait du salarié français fainéant a suscité des réactions indignées, dans un contexte national où le chômage ne cesse de grimper et où les salariés en poste se sentent de plus en plus inquiétés. Si l’échange épistolaire entre Arnaud Montebourg et Maurice Taylor n’a pas focalisé les Français, il repose néanmoins avec acuité la question des efforts que sont prêts à faire les salariés français pour atteindre ou rester sur le marché du travail et pour accompagner le redressement économique du pays. Formation, mobilité, concessions en termes d’horaires, de congés ou de salaires, flexibilisation du contrat de travail ou encore auto-entrepreneuriat : comment se positionnent les salariés français sur l’ensemble de ces questions ?

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Des salariés prêts à fournir des efforts pour développer leur employabilité

Dans un sondage Harris Interactive pour l’Humanité Dimanche, les salariés et chômeurs français se disent majoritairement prêts à effectuer un nombre important « d’efforts » pour conserver ou trouver un emploi : 91% mentionnent être prêts dans cette optique à suivre une formation, dont 53% tout à fait prêts. 79% d’entre eux indiquent même être prêts à changer de métier ou de secteur d’activité, dont un tiers tout à fait préparé à accepter cette perspective. Formation ou réorientation sont donc perçues comme des solutions acceptables voire souhaitables aux yeux d’une très grande majorité de salariés pour développer son employabilité. De fait, selon l’Observatoire social des Entreprises, mené par Ipsos Logica pour le CESI, les salariés du privé considèrent que l’atout le plus important pour retrouver un emploi réside dans la capacité et les compétences permettant de changer de poste ou de secteur d’activité (70% le citent parmi les trois principaux atouts). Et dans ce même sondage, 82% des répondants (dont 32% tout à fait) se déclarent prêts en cas de chômage à être formés à un métier totalement différent du leur mais où les besoins de main d’œuvre sont importants et les niveaux de salaires équivalents à ce qu’ils perçoivent aujourd’hui. 55% (dont 18% tout à fait) se disent également prêts à reprendre des études ou entamer une formation afin d’obtenir un diplôme de niveau supérieur. Si ces sondages correspondent bien entendu à des déclarations d’intention et non pas à des comportements avérés, reste que les salariés français, tous âges et secteurs confondus, n’apparaissent pas arc-boutés sur leurs compétences actuelles mais prêts à fournir des efforts pour rester « employables » dans une société et des secteurs d’activité qui évoluent de plus en plus vite.

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Des salariés prêts à faire des concessions sur leurs congés et leurs horaires

Dans le sondage paru dans l’Humanité Dimanche, près de huit salariés et chômeurs français sur dix indiquent qu’ils accepteraient également, pour conserver ou retrouver un emploi, de changer d’horaires de travail (79%, dont 29% tout à fait) et presque autant qu’ils pourraient envisager d’avoir moins de jours de congés (73%, dont 27% tout à fait). Les plus jeunes et les salariés du privé apparaissent comme les plus susceptibles d’accepter une diminution de leurs jours de repos. Même constat dans l’Observatoire social des Entreprises : 64% des salariés du privé accepteraient selon cette enquête de renoncer aux 35 heures et 54% se disent ouverts à des périodes de chômage partiel. Ces concessions sont certes avant tout révélatrices de la peur grandissante du chômage mais dressent le tableau de salariés responsabilisés et non pas crispés sur leurs horaires comme le laissait entendre le PDG de Titan. Et selon un sondage BVA-BFM Avanquest pour Challenges, l’augmentation du temps de travail est la solution la plus acceptable aux yeux des Français pour redresser la compétitivité, devant l’augmentation de la TVA ou de la CSG, sans pour autant faire l’unanimité (49% y étant favorables, 50% opposés).

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Des salariés majoritairement prêts au gel mais pas à la baisse de leur salaire

Alors que les Français se montrent de plus en plus inquiets concernant leur pouvoir d’achat, sont-ils également prêts à accepter que leur salaire soit gelé, voire revu à la baisse ? Face à l’imminence de plusieurs plans sociaux, des salariés français se sont en effet vu proposer des baisses de salaires (Hertz, Hewlett-Packard…) pour maintenir l’ensemble des salariés dans l’emploi. Dans l’Observatoire social des entreprises, 59% des salariés du privé déclarent qu’ils accepteraient un gel de leur salaire pour éviter un plan social de leur entreprise. Mais seul un tiers irait jusqu’à accepter une baisse de leur rémunération. Idem dans l’enquête Harris Interactive pour l’Humanité Dimanche : 36% des salariés et chômeurs indiquent qu’ils seraient prêts à être moins payés que dans leur emploi actuel, dont seulement 8% tout à fait prêts. Toutefois, une fois au chômage, la proportion de ceux qui accepteraient un emploi similaire mais moins bien rémunéré monte à deux-tiers, signe que le degré d’acceptabilité des concessions dépend pour partie de la situation dans laquelle l’on se trouve.

Ainsi, la perspective de gagner moins en travaillant autant voire plus apparaît difficilement acceptable aux yeux des salariés français, et particulièrement au sein des classes populaires, déjà largement touchées par la crise économique.

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Des salariés français assez peu mobiles 

Autre dimension qui entre en ligne de compte lorsqu’on envisage les efforts face à l’emploi, celle de la mobilité : les salariés français sont-ils prêts à bouger pour conserver ou trouver un emploi ? La perspective de déménager à l’intérieur du pays suscite déjà des réactions contrastées : ainsi, dans l’Observatoire social de l’entreprise, 47% des salariés du privé (dont 13% tout à fait) mentionnent qu’ils accepteraient un emploi qui les obligerait à déménager. Même chiffre dans le sondage Humanité Dimanche avec 47% des salariés et chômeurs qui pourraient changer de région pour conserver ou trouver un emploi (dont 20% tout à fait). Quant à la perspective de changer de pays, elle est écartée par une majorité des salariés français : dans la première enquête, seuls 31% des salariés du privé (dont 11% tout à fait) se montrent prêts à partir à l’étranger quand dans le second, l’ensemble des salariés et des chômeurs ne sont également que 31% à pouvoir entrevoir cette possibilité. Certes, sur ce point, on note des différences assez importantes selon le sexe, l’âge ou la CSP, les hommes, les jeunes et les membres des catégories supérieures se déclarant davantage mobiles que les femmes, les personnes âgées et les membres des catégories populaires. Si le pourcentage de salariés qui accepteraient de quitter leur territoire pour un emploi n’est pas négligeable, la mobilité demeure quelque chose de difficile à envisager pour une majorité de salariés attachés à leur lieu de vie et, parfois, contraints par des crédits engagés dans le cadre de l’achat de leur maison.

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Des salariés français qui s’opposent à la flexibilisation du marché du travail

On le voit, les salariés français se montrent prêts à consentir nombre d’efforts mais ils ne semblent pas pour autant prêts à « tout » accepter pour continuer à exercer un emploi. Ainsi, 67% indiquent qu’ils ne seraient pas prêts et même 28% pas du tout prêts à accepter un contrat plus précaire. Les salariés et chômeurs semblent donc prêts à se former, à évoluer professionnellement pour maintenir leur « employabilité » mais refusent ce qui pourrait apparaître comme une remise en cause du modèle français de salariat fondé sur le CDI et comme une fragilisation excessive des salariés. Selon une enquête récente BVA pour BFM-Avanquest et Challenges, 73% des Français se montrent d’ailleurs opposés à l’assouplissement du Contrat à Durée Indéterminée. L’idée de flexibiliser davantage le marché du travail pour favoriser les « entrées » – mais aussi les « sorties » – ne convainc donc pas les salariés français.

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Des salariés pas vraiment prêts à se lancer dans l’aventure de l’auto-entreprenariat

L’auto-entreprenariat apparaît-il dès lors comme une réponse crédible à la faiblesse du marché du travail français aujourd’hui ? Les Français sont-ils prêts à créer leur propre travail quand les entreprises peinent à leur en offrir ? Il semblerait que cela ne soit pas le cas pour les salariés français. En effet, seuls 36% indiquent qu’ils pourraient créer leur propre entreprise, dont 9% tout à fait, pour mettre fin à une période de chômage. Dans un contexte de crise qui perdure, la création de sa propre entreprise semble apparaitre davantage comme une idée aventureuse que comme une solution désirable. Et celle-ci ne semble pas s’inscrire en cohérence avec les représentations nationales de l’idéal de l’activité professionnelle.

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En résumé, loin de la description caricaturale dressée par Maurice Taylor, les sondages réalisés auprès des salariés tendent à démontrer que ces derniers apparaissent prêts à consentir à de nombreux efforts pour conserver leur travail ou trouver un nouvel emploi. Les Français, on le sait, sont attachés à leur modèle social. Dans le contexte de perspectives sur le front de l’emploi moroses, les salariés indiquent qu’ils sont prêts à effectuer des concessions. Mais pas n’importe lesquelles. En effet, s’ils sont prêts à développer leur « employabilité » ou à travailler plus, ils ne se montrent pas très mobiles et refusent majoritairement tout ce qui pourrait apparaitre comme une remise en cause du modèle français du CDI. Quant au reste, en dehors des stricts éléments relevés dans les enquêtes, la question de la confiance à l’égard des interlocuteurs est centrale. Les Français, les salariés, sont d’autant plus prêts aux compromis qu’ils envisagent avec confiance l’avenir. Ou qu’ils considèrent que les chefs d’entreprise, responsables politiques et syndicaux comme étant crédibles et dignes de confiance. Or, les niveaux de confiance envers l’ensemble de ces acteurs demeurent faibles. Les récentes manifestations contre l’accord sur l’emploi signé le 11 janvier dernier entre le MEDEF et des syndicats minoritaires montrent que la défense des droits des salariés reste un enjeu mobilisateur. Et que les marges de manœuvre du gouvernement de Gauche, affaibli par la faible confiance accordée à François Hollande et Jean-Marc Ayrault, sont minces entre sécurisation et flexibilisation de l’emploi.