Est-ce que les gestionnaires d’EspaceJeux stimulent l’offre de jeu illégale?

Publié le 14 mars 2013 par Alain Dubois

Entre le 6 février et le 10 mars 2013, le site de poker en ligne de Loto-Québec (EspaceJeux) a hébergé un Omnium de poker privé réservé, selon un règlement affiché uniquement sur un site externe de PrincePoker, aux étudiants universitaires du Québec. L’Omnium était composé de 10 tournois gratuits et 10 tournois appelés 2ème chance au coût de $3+0,30. Durant chaque tournoi gratuit, la garantie de lots totalisant $600 était affichée dans les onglets TOUS et PRIVÉ du logiciel de poker d’EspaceJeux. Un montant de 100 dollars a été ajouté en commandite aux lots de chaque tournoi 2ème chance. (Voir aussi ce billet à ce sujet)
La dernière journée de l’Omnium, je me suis dit qu’il pourrait être amusant d’organiser un Omnium semblable pour les chercheurs universitaires du Québec. J’écris (14:30) donc à l’adresse support@espacejeux.com afin de savoir comment je dois m’y prendre pour organiser le tournoi des chercheurs en l’hébergeant sur le site d’EspaceJeux. Dès 18:43 (un dimanche), on me répond :

Après trois jours ouvrables complets, je n’ai cependant pas reçu de réponse. Ça doit galérer ... heu, réfléchir ... beaucoup.

Entretemps, je décide de m’informer auprès de la Régie des Alcools, des Courses et des Jeux (RACJ) du Québec afin d’obtenir les autorisations pour organiser une activité privée de jeu. À la RACJ, on m’informe qu’il est absolument impossible d’avoir un permis pour organiser un tournoi privé de poker. Au Canada, seules les Sociétés d’État, spécifiquement mandatées par les gouvernements, peuvent organiser un tournoi de poker.

Ce droit n’existant pas pour les individus ou les organisations privées, la RACJ n’a même pas la possibilité d’émettre un permis pour du poker … pas même pour les casinos-bénéfices organisés par les organisations charitables. Seuls le blackjack et les roues de fortune peuvent être autorisés. Donner la totalité ou une partie des recettes à un organisme de charité ne rend surtout pas un tournoi de poker légal. À la RACJ, on m’incite d’ailleurs à une extrême prudence légale avant de lancer ou organiser ce genre d’opération.

Le message de la RACJ est clair. La dérogation inscrite au Code criminel canadien (article 207 (1)) ne permet aucun tournoi de poker au Québec sauf ceux organisés par Loto-Québec … et exclusivement par Loto-Québec. Être hébergé par Loto-Québec n’est pas une condition suffisante.

Dans le cas de l’Omnium universitaire, EspaceJeux a souligné plusieurs fois par courriel et sur sa page Facebook que Loto-Québec n’a fait qu’héberger l’Omnium.




Dans ce dernier cas, le message d’EspaceJeux a été posté environ 3 heures après que la RACJ ait transmis à Loto-Québec trois requêtes que j’ai faites en ce qui concerne le règlement de l’Omnium. La RACJ demande alors à Loto-Québec de me répondre. À ce sujet, je n’ai toujours pas eu de réponse. Quand EspaceJeux écrit Pour toutes questions sur la règlementation, vous pouvez nous contacter, cela ne veut pas nécessairement dire qu’EspaceJeux va répondre!!!

Bref, j’en comprends que les gestionnaires d’EspaceJeux ont hébergé un tournoi privé ne possédant aucun permis de la RACJ et ne bénéficiant pas d’une dérogation. Évidemment, un tournoi n’est jamais illégal avant qu’un tribunal n’en ait décidé. Mais, ici, qui peut porter plainte? Après l’expérience du recours collectif, je ne crois pas qu’il y ait un joueur assez fou pour le faire, et il n’y a pas un scientifique ou un expert qui va aller se refaire faire le coup de la clause 5. Aucun organisme de protection public n’a le mandat de surveiller les activités de poker, pas même la RACJ. Judiciairement, il y a un no man’s land qui permet bien des dérapages.

Et, si ce tournoi était illégal, les comptes des joueurs chez EspaceJeux auraient servi à faire transiter de l’argent illégal. Toujours dans cette perspective, sans un affichage adéquat des règlements, des joueurs auraient été entraînés par EspaceJeux à participer à une activité illégale sans le savoir (tous les gagnants devraient néanmoins être payés peu importe ce qu’en dit PrincePoker car le contrat de jeu est directement entre le joueur et EspaceJeux). Pourtant, la publicité d’EspaceJeux se veut une garantie de légalité et de sécurité. Actuellement, la situation n’est vraiment pas claire.


Héberger un tournoi potentiellement illégal est un problème majeur pour un site étatique. Le commanditer est encore pire. Selon le journal La Presse, c’est Loto-Québec qui commandite PrincePoker … et c’est la professionnelle attitrée d’EspaceJeux qui en serait la marraine … mais pour le compte de PrincePoker. Je ne sais vraiment pas pourquoi j’ai l’impression que les gestionnaires d’EspaceJeux viennent d’ouvrir un bordel juridique qui va fermer bien des yeux.

Les tournois privés peuvent être une porte ouverte à une multitude d’activités illégales. Par exemple, vous devez un bon montant d’argent à un entrepreneur en construction. Offrez de lui organiser un tournoi face à face privé où vous serez pourri. Non seulement l’entrepreneur n’aura pas à exiger les taxes, en plus il ne paiera pas d’impôt. Il va vous aimer.

Vous désirez financer une activité sans avoir besoin de prête-nom. Un bon tournoi privé va faire l’affaire en autant que votre candidat n’est pas trop andouille au poker.

Vous voulez blanchir de l’argent … oubliez les fonds de bars miteux.

Peut-être … peut-être qu’il y a une certaine sagesse à exiger que les tournois de poker soient exclusivement organisés par une Société d’État sans partenaire privé. C’est carrément l’esprit de la Commission royale d'enquête sur l'administration de la justice en matière criminelle et pénale (1967-1970) qu’avait présidé le juge Yves Prévost et qui a motivé la création de Loto-Québec. Sans doute que cela ne rentre pas dans le répertoire cognitif des silly gigglers.

Entretemps, je vais attendre mes réponses. Il y a quelque chose qui me dit que je vais attendre une éternité. Incidemment, j’attends depuis plus d'un an de savoir qui est Cyber (voir commentaires de ce billet)!
Photo : JD Fletcher