. Symphony of clouds

Par Flopinours @flopinours

Il est rare qu’un bouquin réussisse à me faire aller voir ailleurs que dans mon domaine de prédilection. Et pourtant, en voyant la bande annonce du prochain film des Wachowski, Cloud Atlas, j’ai su que je devais me procurer le bouquin dont il était l’adaptation. Traduit en français « Cartographie des nuages ». Quel titre enchanteur.

Deux jours plus tard donc, un matin hautement pluvieux de janvier, j’abandonnais ce cours d’écologie totalement inutile pour me lancer dans les rues pavées de bordeaux à la recherche de l’objet tant convoité. Je l’avoue, le peu d’infos que j’avais réunies m’obsédaient en même temps qu’elles me confortaient dans mon idée : Je me devais de connaitre le fin mot de l’histoire. Histoire qui semblait être, au premier abord, tout ce que j’aimais. Autrement dit, ce genre de récits inclassables qui n’ont que comme seul point commun celui d’amener le lecteur à se poser foule de questions grâce à une construction si subtile qu’elle demanderait relectures afin d’en saisir tous les détails. En gros, un bouquin qui en plus d’être captivant serait aussi une épreuve mentale de part sa complexité aussi bien dans les procédés d’écriture que dans les relations entres personnages. 

Si l’on veut bien prendre le risque de se laisser aller, Cartographie des nuages réussis le tour de force d’englober tout ça. Et peut être même plus encore. Ce livre prend le pari de vous sortir de votre zone de confort, de vous amener là où vous ne seriez jamais aller de vous-même. Là où même un professeur de français n’aurait jamais osé vous envoyer. Parce qu’au delà du simple fait de vous balader d’un genre à un autre, il se permet aussi d’adapter le style dialectique en fonction de ce dernier. Alors assurez vous d’être préparés psychologiquement parce que le début est hard. Quoi que le reste aussi.

Mais là où réside le vrai génie de l’auteur c’est qu’il arrive, par l’histoire en elle-même, à justifier tous ces procédés et à les y ancrer si profondément qu’ils ne paraissent plus superflus mais, au contraire, indispensables. Génie, je vous disais.

Abordons néanmoins l’essence de ce livre, son contenu. La quatrième de couverture nous dit ceci :

1850 : Adam Ewing, notaire aventurier, découvre les aborigènes. 1931 : Robert Frobisher, jeune musicien, se met au service d’un compositeur de génie. 1975 : Luisa Rey, journaliste risque-tout, déjoue un complot nucléaire. Plus tard : le clone lettré Sonmi~451 est condamné à mort pour rébellion. Leur point commun : une étrange tache de naissance. Les couloirs de l’Histoire seraient-ils impénétrables ?

Ce que l’on découvre au fil de la lecture c’est qu’il s’agit non pas de quatre récits différents mais de six. Six aventures délimitées par une époque, un style et un niveau de langage qui lui est propre. La construction en miroir, aussi, joue un rôle important. Elle permet de lier le tout et, par un subtil effet de redondance, participe à la morale finale.

On suit donc tour à tour Adam Ewing à travers son carnet de bord, Robert Frobisher par sa correspondance épistolaire, Louisa Rey au coeur d’un complot digne des grands polars, les mémoires de Timothy Cavendish dans sa fuite rocambolesque, l’interrogatoire du clone Sonmi-451 dans un futur dystopique et enfin, le récit au coin du feu des aventures de Zachry dans un futur post-apocalyptique. Voilà pour les grandes lignes.

Ainsi, je le disais, la narration est en miroir. Comme ceci : A-B-C-D-E-F-E-D-C-B-A. Chaque histoire est divisé en deux, mis a part la dernière. La première partie sert principalement à habituer le lecteur, situer l’époque, définir le style et les personnages. Quand à elle, la seconde moitié et là pour faire monter la tension, délivrer la morale et finir l’histoire.
En sus, chaque protagoniste prendra conscience de l’histoire de son prédécesseur. A titre d’exemple, Frobisher tombera sur un vieux manuscrit intitulé Le journal de la traversée du pacifique d’Adam Ewing, Louisa Rey quand à elle trouvera les vieilles lettres de Frobisher, ainsi de suite et etc. Autre fil rouge, l’étrange tache de naissance commune à chacun, plutôt là pour mettre en évidence l’éternel recommencement de l’histoire que l’hypothétique  renaissance d’un personnage.

Chacun est cependant convié à y voir ce qu’il veut, parce que c’est bien de ça qu’il s’agit : d’une morale que chacun doit construire. Ou pas d’ailleurs, puisque vous pouvez vous contenter d’apprécier les récits simplement pour ce qu’ils sont, c’est à dire de bonnes histoires avec un début et une fin cohérente. Ce serait néanmoins la meilleure façon de dénaturer ce qu’il est.
Enfin, à propos des thématiques abordés, on retrouvera de façon récurrente la domination de l’homme par l’homme. Que ce soit par l’amour, l’esclavage, l’expérience, la force brute ou la technologie. Autre thème abordé, celui du caractère mauvais de l’humanité. Les personnages principaux sont d’ailleurs les premiers touchés par des défauts comme la vanité, l’orgueil ou la lâcheté.

On pourra cependant reprocher à Cartographie des nuages de vouloir aborder trop de choses de façon trop complexes en trop peu de pages. On pourra aussi reprocher à Mitchell de n’énoncer sa morale qu’à demi mots, laissant le soin au lecteur de la traquer, de la débusquer, parmi ces quelques 700 pages.
Il me reste néanmoins la certitude que c’est plus une expérience littéraire en elle-même qu’un bouquin que l’on ouvrirai pour échapper au quotidien. Il faut en vouloir, il faut s’accrocher un peu avant d’être happé par l’intrigue, mais le plaisir final est là.

Je me suis vite rendu compte que la fin ne serait pas celle que je m’étais imaginé – à peu près vers le tiers – et pourtant je n’en suis pas déçu. Au contraire, je vous le conseille au même titre que je vous conseillerai un bon film.

D’ailleurs, en parlant de film, l’adaptation sort aujourd’hui dans vos salles de cinéma. Le casting est ouf, et je suis curieux de voir ce qu’ils auront su faire de ces six histoires. Puis, au milieu de tant de personnages, d’époques et de thématiques, quelque chose me dit que je ne l’aurais pas lu pour rien.

Lisez le ou allez le voir. L’un ou l’autre, je m’en fous, mais faites le.