Un récit très documenté sur les sept mois passés par Conrad en Afrique. Après sa somptueuse trilogie consacrée à Marta Jane Cannary, Christian Perrissin prouve une fois de plus qu’il est à l’aise avec la biographie. L’écrivain anglais d’origine polonaise part en Afrique par nécessité économique mais aussi parce qu’il garde un souvenir émerveillé de sa lecture des œuvres de l’explorateur Henry Morton Stanley (célèbre pour avoir retrouvé Livingston sur les rives du lac Tanganyika en 1872). Le problème c’est que la réalité qu’il découvre est loin de la volonté philanthropique défendue notamment par la presse belge de l’époque. Les sauvages ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Les colons font preuve d’une cruauté abominable. Brutes sans scrupule cherchant à s’en mettre plein les poches, notamment grâce au commerce de l’ivoire, ils fouettent et assassinent avec une certaine délectation les noirs qu’ils recrutent dans les villages disséminés le long du fleuve. Point d’altruisme, juste l’exploitation inhumaine d’une main d’œuvre corvéable à merci. Une vision de cauchemar pour Conrad. On sent au fil des pages l’angoisse l’envahir devant la violence innommable qu’il découvre.
Les planches de Tom Tirabosco sont si évocatrices que l’on a parfois l’impression d’étouffer dans la moiteur de la forêt congolaise. Il lui aura fallu près de trois ans pour réaliser l’ensemble de l’album en utilisant la technique très particulière du monotype. Le résultat est tout simplement bluffant, charbonneux à souhait, totalement raccord avec l’inquiétude qui gagne l’écrivain au fil de son voyage.
Un coup de projecteur sur une époque peu reluisante où, sous couvert d’émancipation, le colonialisme ne faisait qu’entretenir les immondes relents d’une forme de servitude supposée abolie depuis de nombreuses années. Un album d’une grande force qui souligne parfaitement le pessimisme sur la nature humaine qui caractérisera par la suite l’œuvre du romancier Conrad. Impressionnant !
Kongo de Tom Tirabosco et Christian Perrissin. Futuropolis, 2013. 175 pages. 24 euros.