En ce début d’année, une nouvelle rumeur court… Sur Twitter, sur plusieurs sites d’information, à la radio, j’entends que Coca Cola a décidé de ne plus communiquer sur France Télévisions, suite à un reportage peu flatteur sur l’entreprise. Puis quelques jours plus tard, la rumeur est démentie par la chaîne.
La rumeur
Le reportage en question est diffusé le 8 janvier. Mais il faut attendre 3 semaines pour que l’info sorte sur l’édition du Canard Enchainé du 30 janvier. Repris rapidement sur les sites internet de nombreux médias : 20 minutes, Metrofrance, La Tribune, Europe1, Télérama, etc… D’après le Canard Enchainé, Coca Cola suspendrait son budget pub des antennes de France Télévisions. Un budget qui s’élève à 2 millions d’euros pour l’année 2013. Le web se déchaîne :
Ciblé par un documentaire de France Télé, Coca-Cola lui coupe son budget pub
20minutes.fr
De l’eau dans le gaz entre Coca-Cola et France TV ?
metrofrance.com
Coca-Cola pourrait mettre France Télévisions au régime sans pub
latribune.fr
Coca-Cola : plus de pubs sur France TV ?
Europe1.fr
Les 29, 30 et 31 janvier, une avalanche de tweets concerne le retrait de la communication Coca Cola sur les écrans du service public. Et ils ne sont pas à l’honneur de Coca Cola.
À partir du 31 janvier, la rectification arrive sur Twitter puis sur le reste du net.
France Télévisions dément tout boycott publicitaire par Coca Cola
20mintues.fr, le 1er février 2012.
Mais là, on ne peut pas vraiment parler d’avalanche. Le démenti de France Télévisions est moins spectaculaire, moins « vendeur » que l’annonce du retrait du budget communication sur le service public.
Le mal est fait pour l’image de marque de Coca Cola. Heureusement, le consommateur a la mémoire courte.
Cet incident diplomatique, mort-né en quelques jours, nous en dit long sur le concept de publicitarisation, mis en place et étudié par Valérie Patrin-Leclère, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au Celsa.
Le concept de publicitarisation
Valérie Patrin Leclère met en évidence ce concept dans plusieurs articles, notamment celui-ci : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_2004_num_140_1_3275?_Prescripts_Search_tabs1=standard&
Grâce à ce néologisme, elle décrit l’adaptation du système médiatique (le support) au système publicitaire. Elle démontre très bien comment la presse en particulier et le journalisme en général adapte sa forme et son contenu pour que ses pages publicitaires soient attrayantes pour les annonceurs et ainsi financer la production du journal. Elle montre aussi la connivence entre le milieu journalistique et celui de la communication.
L’exemple de Coca Cola, susceptible de retirer tout son budget pub des écrans de France Télévisions, est révélateur de l’importance et du bien-fondé du concept de publicitarisation.
Que la rumeur soit vrai ou fausse, son existence et l’emballement des acteurs montrent le réel lien qui existe entre contenu rédactionnel et contenu publicitaire. Ici, il ne s’agit pas du support presse, en crise perpétuelle de financement, mais d’un groupe audiovisuel. Le groupe France Télévisions appartient d’une certaine manière à ce groupe de média défini par un problème de financement. Nous savons que ce groupe d’audiovisuel public est en crise. Le financement de l’état ne suffit pas, celui de la publicité non plus, surtout depuis qu’elle a été supprimée après 20h30. Nous comprenons donc aisément que de gros annonceurs tel que Coca Cola, dépensant plusieurs millions d’euros par an en achat d’espace sur les chaînes France Télévisions, est indispensable à sa survie. Est-ce que les prochains reportages d’investigation prendront garde à ne pas froisser les annonceurs ? Pouvons-nous imaginer une enquête du même ordre sur les produits vendus par L’Oréal ?
Cependant, nos angoisses ne sont-elles pas démesurées ? En effet, cette rumeur a bien plus nuit à l’image de Coca Cola qu’à celle de France Télévisions.
Elle a terni l’image de l’annonceur à deux niveaux :
- elle a fait de la pub pour le reportage (présent sur youtube), donc les effets de ce dernier s’en trouve augmenter
- les représailles de Coca Cola sur France Télévisions sont mal vues par le consommateur/téléspectateur.
Un annonceur effectuant des pressions sur les médias dont il occupe l’espace publicitaire perd de sa crédibilité et de son capital sympathie auprès du consommateur/lecteur/téléspectateur. Une mauvaise publicité telle que celle-ci demande toujours beaucoup d’efforts et d’euros afin de redorer son image de marque.
D’autre part, cet incident nous montre que le lien, mis en évidence par Valérie Patrin-Leclère dans le concept de publicitarisation, paraît d’autant plus fort que le support est en crise financière. Un média à la recherche de financement paraît à la fois plus soupçonnable de rendre son contenu attrayant pour les annonceurs et aussi plus fragile face à ses mêmes annonceurs. À partir de là, que ce soit effectivement le cas dans la réalité a peu d’importance. Les soupçons et les rumeurs courent, créant un climat de défiance à l’égard du média en question et de l’antipathie vis-à-vis des annonceurs concernés. Dans cette histoire tout le monde est perdant.
Des précédents
Cet exemple est loin d’être le premier mais fait partie d’une longue série. Cependant, ces épisodes sont rarement connus du public, et pour cause.
Notons un précédent du même ordre et datant de la Coupe du monde de Football 2006. Le fameux coup de boule donné par Zidane à Marco Materazzi provoque lui aussi une avalanche de réactions.
Celle qui nous intéresse est celle de L’Équipe. Le rédacteur en chef publie d’abord un édito à charge contre Zidane. Puis le lendemain, il en publie une autocritique. Comble du hasard, nous retrouvons une publicité en page 5 de Danone avec Zidane, ambassadeur des Programmes de l’Enfance de Danone dans le Monde. Zidane est l’égérie de Danone depuis plusieurs années et son image lisse ne saurait être écornée même par un patron de presse. Après l’épisode du coup de boule, Zidane a su gérer sa communication et redorer son blason. Tout le monde prit fait et cause pour lui, des politiques comme Ségolène Royal, des artistes comme Djamel Debbouze. Seul le rédacteur en chef de L’Équipe, le quotidien le plus lu de France, ose abîmer l’image du sportif en ne trouvant aucun excuse à son geste. Le revirement de position du rédacteur en chef ainsi que la présence de la publicité de Danone dans les colonnes du quotidien sportif met la puce à l’oreille de la rédaction du journal. Les journalistes publient, à leur tour un communiqué où ils posent des questions sur la pression éditoriale supposée. Le fond du problème est de savoir si Danone a fait pression sur le rédacteur en chef pour qu’il revienne sur ses propos.
Encore un bel exemple prouvant l’existence de liens entre système journalistique et système publicitaire.
L’affaire est révélée par le Canard Enchaîné le 19 juillet 2006, décidemment au fait des pressions publicitaires subies par ses confrères. Il faut dire que le Canard Enchaîné a le beau rôle : pas de publicité dans ses pages, des journalistes très bien payés et des comptes à flots.
Pour aller plus loin : Un reportage peu flatteur
Il s’agit d’un reportage dans l’émission Infrarouge diffusée le 8 janvier 2013 sur France 2. Il a pour sujet la recette secrète de Coca Cola. Le documentaire est réalisé pour une accro au Coca et donc à priori plutôt favorable à la marque. Cependant, elle réalise ses reportages dans une collection « l’emmerdeuse ». A partir de là, on imagine bien que l’emmerdeuse de France 2, accro au Coca n’est pas forcément là pour faire de la promo pour Coca.
Voici le pitch du reportage diffusé sur le site de France 2 :
« Olivia Mokiejewski est « accro » au Coca-Cola depuis 25 ans. Elle en a bu près de 7 000 litres, 20 000 canettes. Comme les milliards de consommateurs du célèbre soda, elle ignore ce qu’elle boit exactement depuis tant d’années.
La recette du Coca-Cola est un secret industriel, quasi militaire, jalousement gardé. D’après la marque rouge et blanche, deux personnes seulement dans le monde connaitraient la liste des ingrédients. Pourquoi tant de mystère autour d’une simple boisson sucrée ? Que cache-t-il ? Doit-on se méfier de la boisson la plus consommée sur la planète ? Olivia Mokiejewski a décidé de s’attaquer à la face cachée de la marque la plus puissante du monde et de partir à la recherche de cette fameuse formule secrète…quitte parfois à passer pour une emmerdeuse !
Dans la collection « L’Emmerdeuse » incarnée par Olivia Mokiejewski.
Un documentaire d’Olivia Mokiejewski
Réalisé par Romain Icard.
Produit par Nilaya productions.
Avec la participation de France Télévisions. »
Il est clair qu’Olivia Mokiejewski a l’intention de faire un vrai travail d’investigation et de ne pas s’en tenir à sa passion aveugle pour la boisson à bulles.
Pour vous faire une idée sur la teneur du reportage, voici le lien : http://youtu.be/0HTIPobrEzM