Femmes, sexualité et enjeu d’une bataille

Publié le 12 mars 2013 par Oliviernda

Une Contribution D’Agnès Giard    Titre: dolindacafe 


Pour les tenants de la différence de sexe, l’homme est un prédateur sexuel, déterminé par sa testostérone à conquérir, c’est à dire demander, exiger, obtenir… Quant à la femme, guidée par sa peur atavique de se retrouver toute seule enceinte de neuf mois, elle ne cède qu’en échange d’une protection… Mais le sexe n’est-il qu’une affaire de transaction ?
Jusqu’à l’invention de la pilule, en Occident, il fallait se refuser jusqu’à la nuit de noce. La sexualité était l’enjeu d’une stratégie. Depuis maintenant deux générations, les femmes peuvent se permettre de faire l’amour sans penser à autre chose qu’à leur plaisir.
Mais les mentalités n’évoluent pas aussi vite que les technologies de la contraception, semble-t-il, car de nos jours encore certains sociologues véhiculent un discours marchand sur le sexe en s’appuyant sur ce qu’ils pensent être une vérité absolue : la femme a moins d’appétit sexuel que l’homme, affirment-ils. Pourquoi ? Parce que depuis des millénaires, c’est elle, et elle seule, qui doit affronter les conséquences de ce qui reste pour l’homme une simple partie de jambe en l’air .
D’après un des pionniers de la psychologie évolutionniste , Donald Symons (suivant une théorie datant de 1979 ), l’investissement des mâles humains dans la reproduction se limite au lâcher de sperme. «C’est tout bénéfice», dit-il. Alors que les femelles, elles, doivent beaucoup sacrifier en échange : «Le coût potentiel d’un coït est substantiel : neuf mois de grossesse, la douleur de l’accouchement, le risque de mort et tous les embarras de la maternité…». Voilà pourquoi, depuis l’aube des temps, affirme Symons, les femmes ont toujours négocié le sexe contre un minimum (souvent un maximun)  de sécurité en échange. Evidemment, l’explication est un peu courte, reconnaît-il, car elle ne prend pas en compte l’aspect symbolique de l’union entre homme et femme. La sexualité ne se limite pas à évaluer des risques et des avantages. Elle s’inscrit dans des systèmes mythologiques qui engagent des forces mystérieuses. Nous humains, sommes des êtres régis par la puissance des mots et des symboles, beaucoup plus que par celle des bananes obtenues en échange d’un orgasme… C’est ce que certains sociologues "utilitaristes" ont trop souvent tendance à oublier, comme le chercheur Roy Baumeister, qui dresse le tableau apocalyptique d’une société (la nôtre) entièrement soumise à la loi de l’offre et de la demande sexuelle. S’il faut en croire Roy Baumeister et sa consoeur Kathleen D. Vohs (du département marketing de l'Université de Colombie britannique, c'est tout dire), nous vivons dans un monde où les femmes mettent leur corps aux enchères, guidées par un instinct de survie qui les pousse à «se refuser pour mieux se faire désirer.» Une logique purement économique, disent-ils, puisque l’économie repose sur le désir: plus une chose est rare, plus elle est désirée. Plus elle est désirée, plus elle a de la valeur. Partant du principe que la différence entre les sexes est une différence de désir (l’homme demande, la femme refuse), Roy Baumeister et Kathleen Vohs concluent : «Le sexe n’est pas qu’une affaire privée entre adultes consentants. C’est un élément à part entière du système économique et les choix de partenaire sont régis par des motivations éminemment stratégiques.» 
Première conséquence, disent-il : pour obtenir du sexe plus facilement, les hommes ont tout intérêt à répandre l’idée que le sexe gratuit, libre, facile, joyeux, est quelque chose de bien. Les femmes, au contraire, ont tout intérêt à associer le sexe à un investissement durable, constructif, qui demande des efforts, du cœur et du sérieux (On n’est pas là pour rigoler). «Les mâles auront tendance à exagérer leurs activités sexuelles, dans le sens du trop-plein, alors que les femmes auront tendance à dissimuler ou sous-estimer leurs besoins sexuels». Autre conséquence, continuent les deux chercheurs : les hommes vont favoriser la production d’images pornographiques et s’intéresser à toutes ces femmes de substitution que sont les gadgets sexuels, les photos de nus, les strip-teaseuses, etc. Les femmes, elles, vont dénoncer l’industrie de la pornographie qui leur fait une concurrence déloyale et vont militer pour l’abolition de la prostitution . Dernière conséquence, concluent Baumeister et Vohs : afin de se donner plus de prix sur le marché sexuel-matrimonial, les femmes vont se conformer de façon presque hystérique aux canons de beauté, surconsommer de la mode et des cosmétiques, abuser des régimes amaigrissants et se détruire la santé en opérations chirurgicales, afin qu’un maximum d’hommes les désirent. Parallèlement, elles vont se battre pour avoir accès aux diplômes et aux postes de dirigeante, afin de se démarquer des concurrentes plus jeunes et plus fraiches, en offrant aux mâles quelques plus-produits en bonus de leurs atouts physiques : leur culture et leur salaire. Plus on est désirée, plus on peut négocier. Pour finir en beauté, Roy Baumeister dresse le tableau suivant : le tableau des données qui peuvent valoriser ou dévaloriser la femme en tant que marchandise sexuelle. Les facteurs influençant les échanges sexuels Facteurs dévalorisant le prix du sexe : 1/ La femme a dépassé les 20 ans 2/ La femme n’est pas belle 3/ La femme a un appétit sexuel élevé 4/ L’homme a un statut bien plus élevé que celui de la femme 5/ La femme n’a pas d’autre moyen d’accéder aux richesses ou au statut social élevé qu’en épousant un homme riche ou puissant 6/ La femme a la réputation d’avoir eu beaucoup d’amants 7/ L’homme a le choix entre beaucoup de femmes 8/ Les normes sexuelles sont permissives 9/ Les hommes ont un accès facile aux prostituées ou à des partenaires sexuelles gratuites 10/ Les hommes peuvent facilement se procurer de la satisfaction sexuelle Facteurs valorisant le prix du sexe 1/ La femme est belle 2/ La femme est jeune 3/ La femme porte des vêtements de prix 4/ D’autres hommes veulent la femme (compétition) 5/ L’homme qui désire la femme l’aime 6/ L’homme est un obsédé sexuel 7/ La femme est vierge ou a la réputation d’être farouche 8/ Il y a plus d’hommes que de femmes 9/ Les hommes n’ont pas facilement accès à des partenaires sexuelles (gratuites ou payantes) 10/ Les hommes peuvent difficilement se procurer de la satisfaction sexuelle. D’après Roy Baumeister, les rapports hommes-femmes fonctionnent donc suivant ces critères dans les sociétés où les hommes ont (officiellement) plus de libido que les femmes. Il est certain que ce tableau sinistre reflète une part de vérité : beaucoup de gens font de leur sexualité l’enjeu d’une bataille. Qui dominera l’autre?  Au petit jeu de la guerre des sexes, il n’y a malheureusement que des perdants.
«Voir le sexe comme un système de prestation est incommode, critique Youri Volokhine, chercheur en histoire des religions. C'est réducteur. Il y a une symbolique dans la sexualité, laquelle ne se réduit pas au do ut des.» Autrement dit : il serait bien plus intéressant de voir le sexe comme quelque chose qui unit les êtres au lieu de les opposer. Nous sommes tous et toutes unies par des mythes communs et par des langues porteuses de sens qui nous dépassent. D’où vient que certaines personnes réveillent en nous des émotions aussi fortes que des souvenirs d’enfance ? D’où vient qu’en croisant son regard, nous nous sentons soudain soulevé(e)s par une onde brûlante… Nos corps et nos coeurs se soulèvent… Il y a des êtres qui s’imposent comme «l’homme de ma vie» ou «l’âme élue» avec une évidence presque féérique  et que nous «reconnaissons», littéralement comme celui que nous attendions depuis… l’enfance ou parfois bien avant. Les mots et les symboles préexistent à nos vies et ce sont eux qui nous animent, à l'origine de fantasmes si puissants qu'ils balaient les motifs raisonnables des sociologues. On pourrait même dire, par boutade, que les voies du désir sont…

Source: Sexual Economics: Sex as Female Resource for Social Exchange in Heterosexual Interactions, de Roy F. Baumeister (Department of Psychology, Florida State University) et Kathleen D. Vohs (Faculty of Commerce, Marketing Division, University of British Columbia), article publié dans Personality and Social Psychology Review, 2004, Vol. 8, No. 4, 339–363.

Source: sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/