Titre : La guerre des Sambre, Werner & Charlotte, T3 : Hiver 1768
Scénariste : Yslaire
Dessinateur : Marc-Antoine Boidin
Parution : Octobre 2012
« Sambre » est une série marquante des trente dernières années. Elle faisait vivre aux lecteurs l’amour impossible et tragique de Bernard et d’envoutante Julie. En plus du drame qui était conté, cette saga se démarquait également par la couleur qui habitait ses planches. Elles étaient illustrées en utilisant uniquement le noir, le blanc et le rouge. Cela faisait naitre une atmosphère unique et originale qui ne laissait personne indifférent. On pouvait soit y succomber soit y être réfractaire. Mais en aucun cas, cette lecture pouvait s’oublier. L’intrigue évoquait une malédiction des Sambre. Cette famille était censée souffrir de génération en génération par des êtres aux yeux rouge. Julie faisait partie de ceux-là. Yslaire, l’auteur, décidait d’expliciter le passé torturé de cette famille en décidant d’écrire des trilogies contant les vies des ascendants de Bernard.
« Werner & Charlotte » traite des arrière-grands-parents de Bernard. Leur rencontre a lieu dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle. Charlotte est une jeune fille noble qui est une amie proche de future Marie-Antoinette. Elle vit donc à la cour d’Autriche et est la porte d’entrée de sa mère vers un retour triomphal à Versailles. Cette dernière, manipulatrice, tire les fils de sa marionnette de fille pour la marier à un parti favorable tout en faisant attention à ce qu’elle reste dans les bons papiers de la future reine de France. Mais son plan est mis en danger quand apparait dans l’univers de la jeune Charlotte Werner. Ce dernier est un jeune homme timide. Orphelin, il est le protégé du frère de l’impératrice d’Autriche. Il se démarque aussi par ses yeux rouge sang…
Les deux premiers tomes avaient présenté la rencontre de des futurs amoureux. Rapidement, ils semblaient voués à être des amants maudits. L’atmosphère du second épisode confirmait cette issue inéluctable tant cette famille semble vouée à ne connaitre que douleur et tragédie. Le troisième et dernier acte de cette saga est donc paru à la fin du mois d’octobre dernier. Il s’intitule « Hiver 1768 » et doit donc clore le destin de Werner et Charlotte. J’étais vraiment curieux de connaitre ce dénouement. J’avais pris énormément de plaisir à découvrir le début de leur idylle à la construction complexe. On sentait une montée en puissance dans l’intensité des sentiments et des drames. Sur ce plan-là, ce dernier album ne déçoit pas. L’auteur ne se fixe pas de limite et la mère de Charlotte dévoile toute sa folie malsaine. Notre lecture est prenante tant on souffre de voir approcher une issue triste et désastreuse pour les protagonistes. Yslaire confirme son talent pour conter des destins maudits. Cette trilogie n’échappe pas à la règle.
Malgré tout, j’émettrais un léger bémol quant à l’intrigue. Je trouve qu’elle multiplie les retournements de situation et les événements. Cela densifie la trame mais parallèlement cela la rend un petit peu brouillonne et indigeste. La tension accompagnant l’avancée irrémédiable vers un dénouement tragique en est ainsi atténuée. Notre concentration est nécessitée pour maitriser tous les tenants et les aboutissants et atténue l’intensité de nos émotions. Je ne reproche donc pas à l’auteur d’avoir bâclé son dernier tome, loin s’en faut. Je regrette que la dimension dramatique du destin du couple soit amoindrie par le contenu narratif.
Mais je ne voudrais pas sous-entendre que cet album est décevant. Ce n’est absolument pas mon point de vue. Yslaire arrive à intégrer sa saga familiale dans une trame historique qui lui sert de second plan. On a réellement le sentiment de nous trouver à la cour autrichienne. Chaque nouvelle génération nous fait découvrir une nouvelle époque par les yeux de cette famille maudite. Le travail de construction de l’histoire est maîtrisé et rend notre lecture dépaysant. On pourra ajouter que le dessin de Marc-Antoine Boidin facilite ce sentiment. Je suis très sensible à son trait que je trouve particulièrement soigné. Les personnages sont très réussis. J’apprécie également le travail sur les détails dans les décors qu’ils soient extérieurs ou intérieurs. Notre immersion dans les lieux est immédiate. Le travail sur les couleurs respecte le principe de base d’Yslaire évoqué précédemment. Boidin s’autorise à utiliser le spectre entre le noir et le rouge. Cela lui permet d’utiliser des tons de marron qui donne une vraie identité à ses planches.
En conclusion, « Hiver 1768 » offre une conclusion très honnête à ce cycle « Werner & Charlotte ». Yslaire fait naitre des spins off de grande qualité. Je me dois de le préciser tant sont nombreuses les séries ratant leur prolongement ou leur digression. Ce talent s’avère respectueux à l’égard des lecteurs et se doit d’être signaler. Il ne me reste donc plus qu’à attendre la suite des aventures accompagnant l’arbre généalogique des Sambre. Mais cela est une autre histoire…
par Eric the Tiger
Note : 13/20