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La Fed 1er créancier des USA, risque politique

Publié le 12 mars 2013 par Copeau @Contrepoints

Avec un portefeuille de bons du trésor évalué à pas moins de 1,76 trillions de dollar au 6 mars 2013, la Federal Reserve détient 14,9% de la dette publique américaine.

Par Georges Kaplan.

La Fed 1er créancier des USA, risque politique

Avec un portefeuille de bons du trésor évalué à pas moins de 1,76 trillions [1] de dollar au 6 mars 2013, la Federal Reserve détient 14,9% de la dette publique américaine hors auto-détention (11,9 trillions de dollars) et s’impose, dès lors, comme le premier créancier des États-Unis d’Amérique.

Cette information ne surprendra probablement personne : c’est la conséquence logique du mode opératoire de la Fed et de sa politique monétaire tout au long de la crise. Dans un premier temps, elle a racheté des obligations d’États sur le marché secondaire pour apporter des liquidités au système bancaire et donc, faire baisser le niveau des taux ; puis, cette première phase n’ayant pas produit les effets escomptés, elle a utilisé ses instruments non-conventionnels – a.k.a. Quantitative Easing, l’opération Twist etc. – pour tenter de peser directement sur le niveau des taux d’intérêt à long terme.

Officiellement et en dépit de ce qu’un certain nombre de commentateurs affirment, tout ceci ne revient pas à monétiser la dette publique puisque la Fed ne finance pas directement les déficits budgétaires de l’oncle Sam mais passe, via ses opérations d’open market, systématiquement par le marché secondaire. Néanmoins, cette constatation de pure forme mérite d’être nuancée par au moins trois effets.

La Fed, faux-monnayeur légal

Le premier, c’est naturellement la baisse des taux : en se positionnant à l’achat et, qui plus est, pour des montants potentiellement illimités, la Federal Reserve exerce une formidable pression à la hausse sur le cours des bons du trésor et donc, une pression équivalente à la baisse sur le taux qui s’impose à l’État fédéral lorsqu’il souhaite contracter de nouveaux emprunts. Du point de vue du Department of the Treasury, les manœuvres de la banque centrale sont donc évidemment les bienvenues – particulièrement alors que l’administration Obama enchaîne les déficits budgétaires records. Pour mémoire, le taux moyen de la dette d’oncle Sam est passé de 5% en août 2007 à moins de 2,8% actuellement.

Le deuxième effet est moins connu. Selon les estimations préliminaires de la Fed pour l’année fiscale 2012, la banque centrale étasunienne a réalisé un résultat net d’environ 91 milliards de dollars dont 80,5 milliards (i.e. 88%) qui proviennent des intérêts perçus sur son portefeuille obligataire. Or, conformément à ses statuts et après s’être acquittée d’un dividende de 1,6 milliards de dollars destiné à ses actionnaires [2], la Fed reversera la somme record de 88,9 milliards de dollars au département du trésor américain – soit l’équivalent de 24,7% des intérêts payés par le gouvernement fédéral en 2012. En d’autres termes, l’année dernière, les opérations de la Fed ont permis au gouvernement fédéral de ne payer pratiquement aucun intérêt sur près de 15% de sa dette nette et ont remboursé un quart du coût de la dette publique américaine.

Enfin, il nous reste à évoquer l’arme fiscale absolue : l’inflation. Comme le lecteur le sait sans doute, ce que l’on nomme inflation n’est pas tant la « hausse généralisée des prix » – qui n’est que le symptôme – mais plutôt l’érosion de la valeur de la monnaie ; laquelle permet d’organiser un transfert de richesse massif depuis ceux qui détiennent ladite monnaie vers ceux qui en doivent – à commencer par l’État. L’inflation est donc un impôt qui, au moins depuis la Rome antique, permet aux princes endettés de réduire le poids réel de leurs dettes sans s’embarrasser de procédures couteuses et impopulaires [3]. Or voilà : jusqu’ici, l’essentiel des injections monétaires de la Fed étant stocké par les banques – notamment les filiales de banques européennes – sous forme de réserves excédentaires, l’inflation reste sous contrôle… Jusqu’ici mais pour combien de temps ?

Valse au bord du précipice

Bien sûr, d’un point de vue strictement technique, la Fed peut annuler ses injections monétaires : il lui suffit pour ce faire de revendre une partie de son portefeuille obligataire ou d’augmenter les ratios de réserves obligatoires qui s’imposent aux banques qui opèrent aux États-Unis ou, bien évidemment, de combiner les deux. La question n’est donc pas technique ; elle est purement politique ; c’est une valse qui, comme toutes les valses, se danse à deux : la banque centrale, qui souhaite en principe préserver la valeur du dollar [4], et le département du trésor – c’est-à-dire le pouvoir politique – qui a toutes les raisons du monde, nous l’avons vu, d’encourager la Fed à poursuivre sur la même voie.

En un mot, la question qui est posée consiste à savoir qui dirige la danse ou – au diable les métaphores ! – celle de l’indépendance de la Fed vis-à-vis du pouvoir politique. De deux choses l’une : soit le Board of Governors – qui est, je le rappelle, nommé par le Président des États-Unis et confirmé par le Congrès – décidera le moment venu de contracter la base monétaire du dollar et donc, de dégrader les conditions d’emprunt du trésor, auquel cas, les États-Unis échapperont peut-être à l’inflation et au bain de sang sur le marché obligataire qui s’en suivra ; soit la pression politique l’emportera, auquel cas, au risque de plaider pro domo, je ne saurais que trop vous conseiller de liquider vos positions obligataires et d’acheter des actions.

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Sur le web.

Notes :

  1. Les puristes voudront bien me pardonner d’utiliser l’échelle courte : un trillion de dollars = 10^12 dollars.
  2. Le fait de considérer les banques privées américaines qui ont souscrit au capital de la Fed comme des actionnaires est pour le moins sujet à caution.
  3. Accessoirement, l’inflation permet également au prince de constater des plus-values fiscalisables quand ses sujets ne font que se protéger de l’érosion monétaire…
  4. Et le moins que l’on puisse dire c’est que, depuis sa création, elle est très loin d’y être parvenue.

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