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Les corps s'emballent : fin d'hypocrisie avec Antoine d'Agata

Publié le 11 mars 2013 par Lifeproof @CcilLifeproof

Il est des expositions qui sont de véritables claques tellement elles sont intenses : c'est le cas d'« Antoine d'Agata - Anticorps » qui a lieu en ce moment au Bal. Ce lieu dédié à l’image-document, j'y avais déjà été avec Christelle-Lifeproof, il y a un an pour un brunch absolument formidable. Cette fois, j'y suis allée pour une exposition qui m'avait interpellée : beaucoup d'articles ont été écrits dessus et je voulais donc me faire ma propre opinion (scepticisme quand tu nous tiens)...

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Vue de l'exposition ANTICORPS © Pascal Martinez

Première salle, au rez-de-chaussée du Bal : des murs blancs, un sol gris. Dessus, sont disposés sur des palettes des groupes de quatre affiches empilées : des corps, des textes chacun nous interpellant. On peut y lire notamment : « n'est valide qu'un art nuisible, subversif, asocial, athéiste, érotique et immoral, antidote à l'infection spectaculaire qui neutralise les esprits et distille la mort » ou encore « les seuls points de repère sont quelques images rescapées », etc. Sur le mur du fond est projetée une vidéo. Là pas d'images, pas de figures, personne n'apparaît, seul les sous-titres des voix que l'on entend dans l'espace. Ces voix de femmes racontent leurs vies. Il y est question de mort, de violence, de sexe, de cette petite mort que l'on recherche dans le sexe, de l'oubli qu'il peut y avoir aussi au moment de la jouissance. Les paroles sont étranges, elles sont parfois poétiques dans leur désabusement : regard froid, implacable, dénué de pitié mais pas d'une certaine tendresse dans l’uneou l’autre phrase. Aux paroles, aux sons, aucune image ne se réfère, à nous de les imag(in)er et d'essayer de les décrypter. Mais comment comprendre des phrases telles que: « pour me rencontrer, tu t'es détruit toi-même », « je veux que ma peau devienne vivante », « les hommes n'ont pas de visage, des corps sur lesquels je m'allonge », « mais ma colère n'a pas de limites », « je m'offre au monde comme une blessure ouverte » ou encore « tu viens à moi encore une fois parce que tu n'as pas le choix » et aussi « les hommes passent à travers moi, je sens leur désir qui va et vient » et « la mort du corps par le corps même » ? Poétiques, ces phrases sont aussi des constats d'un monde oublié, honni, abandonné, mis entre parenthèse par les bien-pensants de nos sociétés capitalistes souffrant d'aveuglement.

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Antoine d'Agata, Tokyo, 2008. © Antoine d'Agata - Magnum Photo. Courtesy Galerie Les Filles du Calvaire, Paris

Dans cette première salle, on est mis face à des sons, des mots, peu d'images, comme un grand vide, une introduction à la suite, des préliminaires qui semblent doux mais qui, néanmoins, préfigurent de la violence à laquelle on va être confrontés au sous-sol du Bal.

Ainsi, descendons à la cave, au plus profond de cette exposition, dans son intimité. Mais pourquoi, devons-nous descendre dès qu'il s'agit de sexe, d'underground, pourquoi enterrons-nous ce qui est cru, brut, ce que l'on souhaite ne pas voir, ne pas discerner ? Dans ce sous-sol : du sol au plafond, les murs de cette pièce monumentale sont recouverts d'images dans lesquelles on se noie. Confrontation dure, brutale, violente, fascinante. Des corps nus, des visages, du sexe, des armes, la guerre, des squelettes, des portraits de gens pleurant, amochés, des paysages, des photos d'architectures et que sais-je encore recouvrent tous les murs en un « all over » hypnotique. On peut y voir un couple entrain de baiser, un autre là, des militaires armés à côté. On y découvre aussi un corps entrain de se décomposer, le squelette apparaît, à côté, le visage d'une femme qui crie (jouit ?) et dont les contours se fondent et deviennent squelette à son tour. Cette exposition d'Antoine d'Agata nous immerge dans un univers où souffrances, plaisirs, violences, brutalités, crudité, tournoient en un maelström d'intenses émotions.

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Antoine d'Agata, Nuevo Laredo, 2005. © Antoine d'Agata - Magnum Photo. Courtesy Galerie Les Filles du Calvaire, Paris

Antoine d'Agata, est un photographe né à Marseille en 1961. En 1990, il suit l'enseignement de Larry Clark et Nan Goldin à l'International Center of Photography de New York. Il a remporté le prix Niepce pour son œuvre en 2001 et a publié plusieurs ouvrages tels Vortex, Insomnia, Stigma, etc et tourne aussi des films.

Il parcourt le monde et le photographie au grès de ses errances. Il est sans concessions. Ce qu'il montre est brut, dénué de filtres, de pitié, il n'essaie pas de faire « joli » mais de montrer la société dans toute sa brutalité et sa cruauté. Du sexe, il y en a dans cette exposition, des corps jouissants, souffrants, brutalisés, torturés, triturés dont les contours deviennent flous, perdent de leur matérialité, se multiplient en un rythme obsessionnel et un peu fou mais, on ne peut pas dire que l'on est face à une œuvre érotique ou pornographique. Il s'agit d'une œuvre politique qui plonge dans les tréfonds d'un univers que l'on (pronom indéfini mais qui englobe ici beaucoup de monde) feint d'ignorer mais qui gronde dans son antre, qui souffre, baise mais surtout existe ! Est-il possible de dire que le monde va bien si les disparités sont énormes ? Si notre monde polissé/policé se donne bonne conscience en masquant le commerce des corps et des êtres ? Si l'oubli de la souffrance passe par l'oubli de soi ? Et si l'on vend tout ce que l'on a, ce que l'on est et que l'on s'en accommode ? Antoine d'Agata, au grès de ses rencontres, de ses idées, de ses recherches d'images et de collages hétéroclites (mort / baise/ amour/ prison/ guerre, etc.) qu'il effectue dans cette exposition Anticorps, nous propose une vision du monde où tout se vend quel qu'en soit le prix, quelles qu'en soient les conséquences. Il met en lumière un monde sensé rester dans les sous-bassements où l'humanité dans son honnêteté réside dans l'intimité d'un monde cru, brutal, animal, en souffrance. Ce dernier est loin de celui, aseptisé, hypocrite que l'on essaie de continuer à (faire) vivre : « les zones de non-droit sont des territoires de tous les écarts, refuges de spécimens d'humanité blessée, espace clos et privilégié ou la bestialité sape la bienséance et les règles sociales. » (Antoine d'Agata). Mais, au fond, quel est le monde le plus honnête, quel est le plus aliénant ?

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Antoine d'Agata, Phnom Penh, 2009. © Antoine d'Agata - Magnum Photo. Courtesy Galerie Les Filles du Calvaire, Paris

Cette exposition, je ne m'y attendais pas : c'est comme se prendre un mur, quelque chose qui fait sens, et qui, par son intensité donne à voir un monde que l'on n'aime pas forcément envisager mais qui, par son existence, prouve la fugacité et l'illusion dans lesquelles nous nous complaisons. Claque bien sûr : visuelle par l'ampleur de ce qui est donné à voir mais aussi émotionnelle. Il est surtout question de vie, d’humanité et de se connecter avec ce qu'il y a dans les tréfonds de la société (sexe, violence, drogue, etc.) et, par ce biais, avec nous-mêmes si on accepte de ressentir cette brutalité que peut être l’existence. À voir donc, à vivre surtout, peut-être, sans doute.

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Le Bal / 6, Impasse de la Défense / 75018 – Paris / +33 (0)1 44 70 75 50 / [email protected]

mercredi-vendredi 12H-20H / samedi 11H-20H / dimanche 11H-19H / nocturne le jeudi jusqu’à 22H

Fermé lundi et mardi

http://www.le-bal.fr/

Exposition Antoine d'Agata - Anticorps du 24 janvier au 14 avril 2013.

Cécile


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