-Un verre d'eau-Nul besoin de démonstrations compliquées pour se rendre compte qu'actuellement l'eau constitue un enjeux majeur de la politique et la géopolitique dans le monde que nous vivons actuellement.Le premier de nos besoins a vu au cours de ces dernières décennies son panel d'usages (et d'usagers) augmenter considérablement, si bien qu'elle est devenu une préoccupation politique d'importance. Le documentaire que je vous propose (et vous incite) à visionner au titre de la vidéo de la semaine (Water Makes Money) pose cette problématique à plusieurs degrés d'intervention politique : local, national et même international. Il s'agit de savoir si l'eau mérite un statut particulier eu égard à sa distribution et son traitement, ou si elle doit être considérée comme un bien comme un autre sur le marché. Il s'agit ainsi, en s'appuyant sur ce documentaire et mes connaissances et recherches en la matière, de répondre à cette question cruciale pour notre avenir.
Résumé du documentaire
Le documentaire en question, bien que parfois peu précis ou faisant quelques confusions (d'où une objectivité toute relative), décrit quels problèmes et scandales peut parfois rencontrer la gestion « privée » de l'eau en France et dans le monde. En effet, aucun rappel n'est fait concernant le statut juridique de l'eau en France (n'est évoquée, de manière lapidaire, qu'une « libéralisation », peu définie d'ailleurs). Pour un bon résumé sur la question, voir ce lien.Ensuite, le documentaire semble faire une confusion entre Partenariats Public-Privé et Délégation de Service Public (voir définitions à la fin de l'article), ce qui est pourtant d'importance. Les montages contractuels des différentes collectivités visitées sont par ailleurs mal expliqués, donc certainement mal compris par certains spectateurs. En effet, on ne peut confondre l'un et l'autre de ces deux contrats sous prétexte de « libéralisation de l'eau » : les contrats de partenariat ne sont pas des délégations de service public, au sens de l'article L. 1411-1 du Code général descollectivités territoriales, dès lors que la gestion même du service public n'est pas confiée au cocontractant de l'Administration (ce qui ne confère pas un pouvoir aussi important de l'Administrationsur le délégatairede contrôle). Le documentaire a néanmoins le mérite de poser les problématiques liées à la gestion de l'eau, mais aussi de dénoncer les abus et les scandales qui s'y trouvent, et qui font pourtant assez peu la une de la presse. Tout commence à Paris : l'un des enjeux en 2009 dans la capitale Française est la politique de distribution et de traitement de l'eau : y aura t-il maintien de la délégation de service public à des entrepreneurs privés ou reprise en régie (c'est-à-dire gestion intégrale du service par la collectivité) ?L'idée alléguée par certains élus est de repasser en régie afin de baisser les prix de l'eau pour les usagers et de permettre d'avantage d'investissements. Ce genre de problématique s'est également posé dans d'autres grandes agglomérations françaises connaissant des problèmes divers (hausse des prix, mauvais entretien, appropriation des techniques de travail, non-exécution de certaines obligations, techniques de dé-pollution parfois dangereuses pour la santé ou la bio-diversité), telles que Bordeaux, Toulouse, Grenoble. Sont également dénoncés divers scandales politico-financiers dans le domaine de l'eau (corruption, prise illégale d'intérêt, plantouflage, conflits d'intérêts) en France mais aussi en Allemagne, mêlant les milieux de la gestion de l'eau et certains hauts lieux politiques, mais aussi parfois universitaires (création de chaires universitaires par des industriels de l'eau financées par eux). Le reportage se fait également plus large en dénonçant l'extension des monopoles de l'eau dans le monde entier (en Afrique notamment, où le mode de gestion du service public de l'eau qu'est la DSP est il est vrai peu adapté), exprimant une certaine défiance à l'encontre du forum mondial de l'eau (qu'il accuse d'être une antichambre de la privatisation de l'eau, à l'instar de la commission européenne qui estime que l'eau est un bien marchand comme un autre). Il convient de développer le sujet des DSP appliquées au service public de l'eau à travers 2 visions qui se complètent : d'une part il ne s'agit pas forcément, en soi-même, d'une pratique mauvaise qu'il faudrait condamner pour ce qu'elle est, et d'autre part que ses dysfonctionnements sont réels et devraient être mieux contrôlés.La délégation de service public, un montage peu condamnable en lui-même
La délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service.A l'inverse d'un traditionnel marché public (contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, ces contrats entraînent non pas une rémunération payée par la collectivité mais par l'usager du service, et le risque financier pèse non pas sur la collectivité mais davantage (non uniquement cela dit) sur le partenaire privé. Ainsi, le service public n'est pas géré en régie (c'est à dire directement par la collectivité publique qui en a la compétence) mais par une personne privée sur la base d'un contrat.Ces contrats existent depuis très longtemps, sous forme de concession, voir pour exemple : Conseil d'Etat, 10 Janvier 1902, Compagnie Nouvelle de Gaz de Deville les Rouen. Pour autant, le transfert de la gestion du service public n'implique pas que la collectivité échappe à tout contrôle.Tout d'abord, parce que ces contrats contiennent obligatoirementdes clauses qui réservent à la personne publique un pouvoir de contrôle sur son cocontractant en terme de qualité de service, de gestion financière, de garantie du respect des principes inhérents au service public (neutralité, égalité, continuité).Ensuite, par le mécanisme contractuel qui confère à la personne publique un pouvoir de sanction sur le partenaire lorsque ce-dernier ne respecte pas les dispositions contractuelles qu'il s'est engagé à respecter, en des termes très divers : entretien, performance, continuité, délais d'intervention, … . Ainsi, il peut exister des dysfonctionnements (comme par exemple le reportage en question en dépeint), mais s'ils sont le fruit d'une mauvaise conscience de la part du partenaire privé, ils peuvent aussi être la conséquence d'un mauvais contrôle (ou d'une mauvaise contractualisation) de la part de la collectivité. La délégation de service public, en ce qu'elle est conclue suite à des négociations (ce qui est impossible ou du moins restreint en marchés publics), permet de plus de calquer au mieux le contrat de prestation aux besoins de la collectivité.Il faut que la collectivité maitrise la procédure ainsi que le contrat qu'elle entend conclure, sans oublier les dispositions nécessaires à la bonne gestion du service public. Cela étant, la personne publique peut imposer dans une certaine mesure les processus qu'elle entend mettre en œuvre, le niveau d'entretien qu'elle désire, par le biais contractuel si elle le veut. Il faut également souligner que dans des services relativement techniques à mettre en œuvre (et la construction, l'entretien et l'exploitation d'un réseau de distribution et d'assainissement d'eau en est un bon exemple), la délégation de service public est un outil juridique intéressant pour une personne publique qui ne dispose pas des compétences suffisantes dans ce domaine, lui permettant de faire appel à une personne spécialisée en la matière, ce qui peut aller dans l'intérêt de l'usager en terme de qualité de service.Des abus et des dysfonctionnements à dénoncer
Il convient cependant, et ce documentaire le fait plutôt bien, de reconnaître que les DSP, en tant qu'elles privatisent quelque peu un mode d'action publique, connaissent certains défauts.Par exemple, le documentaire montre que dans certains pays (en Afrique notamment), la gestion de l'eau par DSP est coûteuse et inefficace en terme d'investissements dans les réseaux et les infrastructures. Cette critique bien réelle est le résultat d'une concurrence bien insuffisante dans de tels pays (d'où des hausses de tarifs démesurées), ce à quoi il faut ajouter une insuffisance en terme d'infrastructures et de moyens financiers qui ne permet pas les investissements qui seraient nécessaires pour une gestion normale. Autre exemple, le reportage montre des cas de mauvaise exécution du service (usage de procédés techniques douteux, mauvais entretien, application en retard du contrat, …) : même si la collectivité est responsable pour sa part de l'exécution du contrat qu'elle a conclu, il faut bien reconnaître que cette technique contractuelle relativement complexe doit-être maîtrisée par la collectivité, à la fois dans la procédure, la négociation, mais aussi l'exécution, qui plus est dans des domaines si techniques.Ainsi, tant que faire se peut, la régie de service public reste un atout pour la collectivité du fait que la collectivité a la mainmise sur la mission de service public.Autre source d'inquiétude pour l'usager, le prix de l'eau : dans le reportage, les exemples cités dénoncent des hausses abusives du prix de l'eau. Il apparaît logique (mais non systématique) que le recours à une entreprise privée pour la gestion d'un tel service public entraînera un surcoût pour le consommateur comparé à l'hypothèse d'une gestion en régie.Ce surcoût, s'il est parfois justifié par une qualité de service supérieure, ne l'est pas forcément, comme nous le montre ce documentaire, lorsque le service n'est pas à la hauteur de l'augmentation du prix. Ainsi, ces divers exemples peuvent atténuer certains avantages de la délégation de service public. Il faut également rappeler que les scandales financiers et politiques qui sont dépeints dans ce reportage (corruption, pantouflage, conflits d'intérêts, …), existent dans le cadre d'une délégation de service public (et plus particulièrement du fait de la collusion entre secteurs public et privé) mais ne sont pas directement le fait de ce mécanisme juridique, mais bien davantage de celui des personnes en étant les coupables.Pour conclure
Il n'existe pas de modèle juridique parfait d'un point de vue purement théorique pour la gestion de tel ou tel service public : le plus souvent, convient le mécanisme qui sera le plus à même de répondre aux besoins des usagers dans la réalité pratique et constatée par les décideurs politiques. Outre les généralités que j'ai énoncé précédemment et qui ont probablement une certaine valeur, rien ne remplace l'analyse concrète de chaque cas pour leur appliquer la solution (individuellement) la plus convenable.Il existe bien d'autres moyens de gérer des services publics locaux (par le biais d'associations, d'autres collectivités publiques, de contrats de partenariat, de marchés publics, …), ce qui laisse un large choix aux élus dans la manière dont il vont conduire leur politique locale.
Définitions
-Contrat administratif : contrat dont l'une des deux parties est une personne publique et dont la connaissance appartient à la juridiction administrative soit en vertu d'une attribution légale de compétence, soit parce qu'il porte sur l'exécution d'une mission de service public, ou comporte une clause exorbitante du droit commun. -Contrat de Partenariat Public-Privé (PPP) : type de contrat administratif en vue de développer l'association de l'entreprise privée aux investissements et à l'exploitation d'équipements ou de services publics, de manière à assister les autorités administratives dans l'exercice de leurs missions, contrat dont l'objet peut-être la conception, la réalisation, la transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics et/ou la gestion et le financement de services, conclu pour un terme relativement long.Sources
-Légifrance-marche-public.fr-conseil-etat.fr-« Vocabulaire Juridique » – Gérard Cornu, Presses Universitaires de France.-Water Makes Money. Rémi Decombe.