Au début de cette année, on avait pu lire ici une petite nouvelle que j’avais intitulée « A fond de cale ». Un lecteur attentif m’avait fait remarqué que cette expression, qui au départ désignait bien la punition d’un marin (lequel restait au secret, enfermé dans la cale), pouvait également signifier pour une voiture le fait d’aller très vite : « Il roulait à fond de cale » Il ne voyait pas bien et moi non plus, à vrai dire, comment on avait bien pu passer d’un sens à l’autre. Depuis, j’ai entrepris quelques recherches et j’ai trouvé ce qui suit.
« Fond » est issu du latin classique « fundus-i » (le fond d’un objet), qui a donné « fundus-oris » en latin populaire, puis « funz » (1080) et « fonz » ou « fons ». Ensuite, on a accolé à ce mot un « d » étymologique, histoire de rappeler d’où venait le mot (et peut-être aussi, me dis-je, pour le distinguer de « fons », fontaine).
Désignant le fond d’un objet, notre substantif signifiait donc aussi la limite, le point extrême de cet objet, d’où des expressions comme « le fond de la misère », « le fond des choses »
Le « fond » est donc l’élément véritable d‘un objet, celui qui est caché à la vue mais qui en constitue la réalité essentielle (voir « le fond des choses », révéler « le fond de sa pensée »).
De cet emploi, viendraient les expressions « au fond » (en réalité) et « dans le fond »
« A fond » reprendrait quant à lui l’idée d’extrémité, mais on serait passé de l’idée de profondeur maximale à celle de grande intensité. D’où « à fond de train » (à toute vitesse).
D’où l’expression récente « à fond la caisse » pour parler d’une voiture (une « caisse ») qui roule non seulement à vive allure, mais même au maximum de sa vitesse.
Notez qu’il ne faut pas confondre « fond » et « fonds ». Ce dernier terme correspond à un emploi particulier de « fond », à savoir la terre cultivée ou sur laquelle on bâtit. De Là, il a désigné les immeubles ou les meubles incorporels (« fonds de commerce ») et par extension le capital dont on dispose (« être en fonds », « à fonds perdus », « fonds publics », etc.)
Mais revenons à notre « fond ». Si on comprend l’expression « à fond la caisse », on comprend moins d’où peut venir « à fond de cale ».
Penchons-nous un peu sur ce mot.
Il faut savoir tout d’abord qu’au même mot « cale » en français, correspondent des étymons différents :
Un étymon germanique
- « Cale » viendrait du germanique « keil ». L’idée serait de germer, de pousser et donc de fendre (comme la graine qui fend la terre). Le mot désigne un morceau de bois (préalablement fendu) qu’on place sous un objet pour le mettre d’aplomb.
- Par extension, on a l’idée d’être installé confortablement (« se caler les joues», « avoir l’estomac bien calé »)
- L’idée de rendre fixe est réalisée dans le domaine technique avec un objet désignant une pièce ou une machine. (« caler le moteur »)
- Quand on parle d’une personne, le sens renvoie plutôt à une défaillance (« elle a calé sur ses maths »).
Un étymon grec
- Le verbe « caler » viendrait du grec khalan (détendre, se relâcher et plus spécifiquement abaisser le mât d’un navire), via l’ancien provençal « calar » (tendre les filets de pêche). Appliqué à la langue nautique, il désignait bien le fait d’abaisser la voile d’une embarcation.
- Le verbe a désigné aussi en moyen français le fait pour un bateau de couler (mais ce sens a été perdu)
- Dès le XIII° siècle, on trouve le mot « cale », formé sur « caler » (descendre, abaisser). Il désigne l’endroit où les marchandises sont descendues. Le syntagme « à fond de cale » renvoie donc à la partie la plus basse de la partie immergée d’un navire.
- Le supplice de la cale consistait à suspendre un marin à bout de vergue et de le plonger (caler, descendre) plusieurs fois dans l’eau, où il se retrouvait immergé.
- Le mot « cale » a désigné aussi la partie en pente d’un quai (qui permettait de descendre le navire dans la mer). D’où l’expression figée « en cale sèche».
- Le « calage », quant à lui, a d’abord désigné le fait de baisser les voiles d’un navire, puis, assez logiquement, le fait pour ce navire de rester immobile. On retrouve ce sens dans « caler le moteur d’une voiture », mais dans ce cas il y a confusion avec le premier étymon de cale (enfoncer, ficher une cale comme un coin).
Le participe passé « calé » qui avait le sens de « dans une bonne position » a fini par prendre lesens de doué (« il est calé en histoire »). « Recalé », par contre, désigne le fait d’avoir échoué à un examen.
Bref, tout cela, c’est très bien, mais nous ne savons toujours pas d’où vient l’expression « à fond de cale » pour désigner la vitesse excessive d’une voiture.
« A fond », on l’a compris, désigne l’intensité, en l’occurrence ici la vitesse maximale que peut atteindre la voiture (de l’endroit le plus profond, on est passé à l’idée d’intensité). Mais pourquoi « cale » ? Je me demande si l’idée ne serait pas que le moteur serait « calé » à fond, au maximum de son régime, le pied restant en permanence sur l’accélérateur enfoncé au maximum. A moins qu’il ne faille passer par les cale-pieds des vélos de course, le pied étant solidement rivé (et pour ainsi dire attaché) sur les pédales afin que toute la force du cycliste puisse être utilisée pour donner de la vitesse au vélo.
Si quelqu’un a une autre idée, elle est la bienvenue.