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Les jeux vidéo entrent au musée (2/2) : le MoMa choisit l’angle du design interactif

Publié le 11 mars 2013 par Modandwa @modandwa

Cet article est basé sur le texte de Paola Antonelli, conservatrice au MoMa.

Sur son site, le MoMa balaie d’un cinglant revers de manche ce stérile débat (qu’on a abordé dans notre précédent article) : 

 les jeux vidéos sont-ils de l’art? Ils le sont à coup sûr, mais ils sont aussi du design, et c’est cette approche que nous avons choisi pour notre nouvelle incursion dans cet univers.

Comment ménager la chèvre et le chou en une phrase!

Interaction & design

Design oui mais « d’intéraction », une approche qui elle, n’est pas nouvelle pour le MoMa. Il est vrai que certains artistes contemporains utilisent directement cette interactivité dans leurs oeuvres d’art : on peut penser aux Pixels liquides de Miguel Chevalier vues à l’exposition Turbulences.

La collection prendra place au sein des collections consacrées à l’architecture et au « design » (comme ça tombe bien!), dans la partie du musée, consacrée au « design appliqué ». Il est intéressant de voir le parallèle (parfois un peu bancal… mauvaise langue) que fait le MoMa entre la sélection d’objets pour la section design et les jeux vidéo :

« Comme pour tous les autres objets designs de la collection du MoMa, des affiches aux chaises [...] les conservateurs cherchent une combinaison de pertinence historique et culturel, d’expression esthétique, une justesse fonctionnel et structurel, des approches innovantes de la technologie et des comportements, et une synthèse réussie des matériaux et techniques pour atteindre le but fixé en amont. C’est vrai pour un tabouret ou un hélicoptère comme pour une interface ou une jeu vidéo, dans lequel le langage de programmation prend la place du bois ou du plastique, et la qualité de l’interaction traduit dans le monde digital ce que la synthèse de la forme et de la fonction de l’objet produit dans le monde réel ».

Et bien si mon jeu vidéo doit me faire penser à un tabouret, il n’est pas prêt d’entrer au MoMa…

Trêve de plaisanterie, l’approche n’est pas aussi limitative que ça. En terme plus simple, elle prend en compte le critère esthétique (of course, comme le design pour un tabouret) mais aussi la nature du codage (pour un tabouret ce serait par exemple la technique de fabrication, le mélange de matériaux, la difficulté à le réaliser, est-ce une fabrication artisanale ou pas…), les technologies à l’époque de la production (pareil pour mon tabouret) ou encore le game play et l’interactivité (on parlera d’ergonomie pour un tabouret).

Bon, il est vrai que le terme de design  est bien moins restrictif en anglais qu’en français (la faute aux Beaux-Arts?). to design renvoie ainsi à l’action de dessiner, de concevoir en fonction d’un plan, d’une intention, d’un dessein. Aussi un graphiste peut être traduit en anglais par un graphic designer, un infographiste par computer graphic designer. L’un des panneaux de l’exposition rend bien compte : « durant les vingt dernières années, le design s’est étendu dans de nouvelles directions, en galvanisant de nouveaux pratiquants, mettant en branle de nouveaux modèles d’entreprise, attirant l’attention de monde entier. Un designer aujourd’hui peut choisir de se concentrer sur l’interaction, des interfaces, des espaces immersifs, le biodesign, les jeux vidéo (…) et, en effet, également les produits et les meubles. »

Les critères de sélection

Le MoMa met en avant plusieurs critères de sélection.

Le comportement, behavior dans le texte

La narration, les règles, les stimuli, encouragent ou révèlent un type de comportement des joueurs. Un jeu peut ainsi entraîner (pour un championnat du monde au bras de fer chinois par exemple!) ou éduquer, provoquer des émotions, permettre de réaliser de nouvelles expériences, mais aussi inviter à questionner le monde, à réfléchir… Le terme recouvre également le game play au sens large (traduire un anglicisme par un autre anglicisme, c’est pas très heureux… je le reconnais) : la maniabilité du jeu (ou son niveau de difficulté), la jouabilité (les actions permises par le jeu par exemple ou encore la difficulté.

L’esthétique 

Ce critère est d’autant plus important que les jeux vidéo seront tout de moins exposés dans musée d’art moderne. Il est néanmoins pondéré par le niveau d’évolution technologique. Comparer stricto sensu un Tetris et un Assasin’s Creed serait une aberration. Il n’en reste pas moins que certains designers de jeux (puisque c’est comme ça qu’il faut les appeler ici !) ont su faire des limitations technologiques une force et ont su donner une identité graphique forte au jeu (un petit tour sur notre article sur le Pixel Art si vous en doutez). Certains choisissent même volontairement de se limiter technologiquement, ou plutôt d’adopter un parti pris graphique : essayez donc de comparer graphiquement Final Fantasy XII et Passage.

L’espace

Il s’agit de l’espace où prend place le jeu. Ces espaces sont d’une certaine façon l’architecture du jeu ; ils sont imaginés, designés et codés avec soin, si bien que se développe de plus en plus la profession de level designer pour des jeux.

L’espace et ses limites, son appréhension et sa gestion par le joueur, font directement partie de l’expérience de jeu: ils défient parfois la logique et la gravité, ils peuvent laisser une grande liberté ou au contraire être très limitatifs, proposer des expériences inédites (la télé-transportation par exemple ou le don d’ubiquité bien pratique)…

Je m’en vais de ce pas faire un mail au MoMa ; au regard de ce critère, il manque Fez dans la sélection, notre coup de coeur de l’expo Joue le jeu à la Gaîté Lyrique.

Le temps

Le temps influe sur le design du jeu ou son game play.

Combien de temps dure le jeu? Dans le cas de Passage (allez le  télécharger si ce n’est pas déjà fait -vous trouverez le lien sur notre article sur le Pixel Art ), 5 minutes de jeu pour une vie toute entière pour le héros, alors que pour Dwarf Fortress, des années entières de jeu pour en saisir toute la complexité? Le temps dans le jeu jeu est-il lié à la réalité ?

Le temps du jeu est-il linéaire ou fait de retour en arrière, de voyages dans le temps ?

Le temps est-il une donnée importante pour le joueur? Par exemple, le joueur doit-il se battre contre un chrono?

Là aussi, le temps influe sur l’univers virtuel créé par le jeu, sur le gameplay ou encore sur l’expérience du joueur.

Acquisition des jeux, préservation et présentation au public

Conserver les jeux vidéos

On l’a vu avec la critique de Roger Ebert dans notre précédent article, le jeu vidéo d’une part est fini, c’est une expérience quasiment unique, un bien de consommation, mais en plus la conservation en est mal aisé. Ce défi, le MoMa le relève parfaitement en établissant un protocole de préservation complexe.

Dans un premier temps, il s’agit pour les conservateurs de chercher le jeu (sur son support d’origine) et la console attenante. Mais il essaient également, afin de protéger et de préserver les jeux, d’en obtenir le code source. Ceci permettra ainsi de transférer les jeux sur d’autres machines si le jeu ou la console venaient à se dégrader.

Cette initiative ne va pas de soi, de nombreuses entreprises n’avaient jusqu’à récemment que très peu d’archives de ces codes sources, si bien qu’une fois la technologie obsolète, il était impossible de restaurer ou de transférer sur une plateforme plus moderne.

A la manière des travaux de conservation des manuscrits de grands écrivains, ou des dessins préparatoires et esquisses pour les peintres, le MoMa cherche à récupérer les documents techniques de travail, dessins et croquis préparatoires, mais aussi les notes des développeurs et programmeurs. Il s’en justifie en ces termes « écrire un code est un processus créatif et personnel ».

Présenter les jeux au public

L'élégance du code de Pac-Man, Distellamap (2006) : par le développeur original du jeu

L’élégance du code de Pac-Man, Distellamap (2006) : par le développeur original du jeu

Bon, il est vrai qu’à première vue, tout le monde n’est pas en mesure d’apprécier « l’élégance d’un code ». Le MoMa a par exemple fait appel au développeur original de Pac-Man afin de donner une représentation graphique à son code (la data visualization, une discipline graphique très en vogue ces derniers temps).

Il est néanmoins nécessaire pour apprécier le jeu dans sa globalité, et notamment son interactivité, d’y jouer.

Chaque fois que ce sera possible, le MoMa le fera. Pour les consoles trop vieilles qui risquent de se dégrader, le transfert sur une nouvelle plateforme a été prévu.

Malgré tout, tous les jeux ne peuvent être tous être jouables en entier (au risque de change la galerie Philip Johnson en salle d’arcade?). Le MoMa a ainsi prévu de collaborer avec des développeurs et designers afin de réaliser des vidéos mais aussi des « démos jouables », des versions courtes du jeu proposant ainsi de synthétiser l’expérience de jeu. Cette approche est originale : l’exposition Game Story nous lâchait un peu en toute liberté face à une pleïade de jeu, quite à ne pouvoir tester que le niveau 1 et se trouver un peu frustré.

Une fresque et une démo non jouable pour Sim City
Une fresque et une démo non jouable pour Sim City

Pour d’autres jeux (notamment les jeux en ligne au comme Dwarf Fortress et EVE online au gameplay complexe, nécessitant des années pour l’appréhender en entier), le MoMa organisera des « visites guidées » (dans le texte en anglais !) avec le soutien des designers et de joueurs.

La scénographie

Scénographie les jeux vidéo au MoMa

Une scénographie pauvre

Si on avait pu apprécier lors de l’exposition Game Story les couleurs acidulées (rappellant les bonbons de notre enfance) et la lumière dont bénéficiait la scénographie au Grand Palais, on pourrait être un peu déçu par celle du MoMa.

Quelques fresques et créations graphiques sont exposés dans un environnement très sombre… et très classiques. Seuls les fils des manettes trahissent la présence des écrans (et des consoles) camouflés dans les murs ; a contrario, lors de l’exposition Game Story, manettes  écrans, consoles et bornes d’arcade, supports pour les jeux (cartouches et disquettes, CD-Rom) étaient fièrement exhibés et accompagnés de pièces (romans, BD ou affiches de films) replaçant dans le contexte culturel de l’époque la sortie du jeu.

On déambule ainsi dans un espace assez exigu et très (trop) épuré… seule concession, la visite se fait aux sons des musiques 8-bits qui ont rythmé nos parties anthologiques.

La sélection du MoMa : élitiste?

Pour le moment, seuls 14 titres ont été retenus dont Pac-Man (1980), Tetris (1984), Another World (1991), Myst (1993), SimCity 2000 (1994), vib-ribbon (1999), The Sims (2000), Katamari Damacy (2004), EVE Online (2003), Dwarf Fortress (2006), Portal (2007), flOw (2006), Passage (2008), Canabalt (2009)

  • Another World. 1991. Éric Chahi
  • Cannabalt. 2009. Adam Saltsman
  • Dwarf Fortress. 2006.Tarn Adams and Zach Adams of Bay 12 Games
  • EVE online. 2003. CCP Games
  • flOw. 2006. Jenova Chen and Nick Clark of thatgamecompany
  • Katamari Damacy. 2004. Keita Takahashi of NAMCO LIMITED, now NAMCO BANDAI Games Inc.
  • Myst. 1993. Rand Miller and Robyn Miller of Cyan Worlds
  • Passage. 2008. Jason Rohrer
  • Portal. 2007. Valve
  • Pac-Man 1980. Tōru Iwatani of NAMCO LIMITED, now NAMCO BANDAI Games Inc
  • vib-ribbon. 1999. NanaOn-Sha Company Limited and Sony Computer Entertainment
  • The Sims. 2000. Will Wright for Maxis, now part of Electronic Arts, Inc
  • SimCity 2000. 1994. Will Wright for Maxis, now part of Electronic Arts, Inc
  • Tetris. 1984. Alexey Pajitnov

Bon, il est vrai que la sélection est pour l’heure très restreinte… Qu’on se rassure, 40 autres jeux sont en voie d’acquisition dont pacewar! (1962), un assortiment de jeu sur console Magnavox Odyssey (1972), Pong (1972), Snake (la version originale de 1970), Space Invaders (1978), Asteroids (1979), Zork (1979), Tempest (1981),Donkey Kong (1981), Yars’ Revenge (1982), M.U.L.E. (1983), Core War (1984), Marble Madness (1984), Super Mario Bros. (1985), The Legend of Zelda (1986), NetHack (1987), Street Fighter II (1991), Chrono Trigger(1995), Super Mario 64 (1996), Grim Fandango (1998), Animal Crossing (2001), and Minecraft (2011)…

Si Mario rejoint cette deuxième sélection, pas de Sonic, ni de Lara Croft au programme pour l’heure ; un panthéon de la culture vidéoludique lacunaire pour l’heure.

Le MoMa se justifie en ces termes « en raison du filtre de sélection très serré que nous appliquons à tous les objets susceptibles d’entrer dans les collections du MoMA, notre sélection n’inclut pas certains jeux pourtant immensément populaires, tout simplement parce qu’ils semblaient ne nécessiter aucun effort intellectuel aux yeux d’historiens du jeu vidéo.»

Le MoMa se prémunit déjà contre les critiques, ayant choisi de prendre le parti des jeux d’auteur, plus sensibles, aux jeux à grand succès populaires. On peut ainsi regretter l’absence de certains titres grand public dont l’ambition artistique est certes moindre, mais qui ont considérablement révolutionné le jeu vidéo, en détruisant les barrières techniques ou créant un genre à part entière.

Et vous qu’en pensez vous? Y’a-t-il de grands absents dans cette sélection ?

Crédits Photo : Nono

Remerciements : Nono et Boubou


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