Le sujet n'est pas facile et il est servi par de très bons comédiens. Je l'écris au masculin parce que même ce soir, en cette "journée" de la femme le masculin l'emporte toujours sur le féminin, du moins grammaticalement parlant. Certes, le duo Michel Aumont - Didier Sandre est parfait mais j'ai particulièrement remarqué Christiane Cohendy dont le rôle est essentiel sur la scène, comme il le fut dans la vie du compositeur Richard Strauss.
La pièce de Ronald Harwood a connu des rebondissements. A peine créée, au Théâtre des Variétés, à la rentrée 2011 Collaboration connait un succès immédiat. Hélas Didier Sandre déclare forfait suite à un accident. Le spectacle est suspendu.
Le revoici à l'affiche du Théâtre de la Madeleine. Avec "toujours" Michel Aumont, qui, ouf, était libre pour reprendre son rôle. Initialement c'était un autre comédien qui avait été pressenti et on ne peut que se réjouir que Richard Strauss soit interprété par Michel Aumont parce qu'il campe un compositeur très humain, à la fois fort et fragile.
On découvre l'homme qui n'a aucun lien de parenté avec Johann (Strauss) bien qu'il ait composé quelques valses. Si son nom est connu du grand public, c'est avant tout pour par le biais du poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra (1896), dont le Prologue, célèbre à travers le monde entier, fut utilisé dans le film 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick.
Les mélomanes apprécient trois de ses opéras, Salomé (drame en un acte d'après la pièce de Oscar Wilde), Elektra et Le Chevalier à la rose, dont le livret a été écrit par Hugo von Hofmannsthal.
Le couple qu'il forme sur scène avec Christiane Cohendy est savoureux. Son rôle est ténu mais elle lui donne malicieusement chair. Cette femme qu'on disait cinglante, mais sincère, fait tout autant preuve d'esprit que de sagesse et sa présence apporte de la respiration.
Avec elle on garde les pieds dans la vraie vie et le bon sens. Ses dialogues sont teintés d'humour sans nuire au sérieux du sujet. On se dit qu'elle a dû faire preuve de bon caractère pour supporter un mari, talentueux certes, mais dépressif, ayant toujours besoin d'encouragement. C'est elle qui a l'idée de contacter Stefan Zweig après la mort de Hugo von Hofmannsthal quand Richard se plaint qu'il va mourir à rester à ne rien faire. On est en 1931. L'Europe est en paix et Richard bouillonne.
Le public rit sans se douter que cette réplique reviendra ultérieurement dans un contexte non moins grave. Pour le moment Stefan a du mal à écrire et négocie un sursis d'un mois.
Un peu plus tard, éclate l'affaire Arnold Zweig, une méprise par rapport à Stefan. Tous deux attendent les excuses de Goebels. Mais bientôt les théâtres d'Allemagne reçoivent l'ordre de ne plus travailler avec aucun juif. Richard a cette parole qui pourrait faire sourire : J'adore infiniment Adof Hitler mais il n'est pas question de me mettre au pas.
L'officier nazi le marché en mains. Je vais être parfaitement franc : nous avons besoin de vous. Vous êtes nommé Président de la Chambre de musique du Reich, mais laissez tomber cette affaire des juifs Zweig !
Richard est effrayé. Il demande encore une fois conseil à Pauline. Pourquoi obéir ? proteste-t-elle. C'est que le cas est particulier ... leur belle-fille est juive et par conséquent ...
Avec Hitler dans la loge d'honneur, c'est impensable : je n'ai franchement pas envie d'aller en Allemagne en ce moment. Richard consent à reconnaitre qu'ils vivent une triste époque, mais ne peut masquer son triomphe : nous les avons battus !
Il pense que leur collaboration va se poursuivre comme par le passé. Stefan tente de le convaincre que le monde a irrémédiablement changé mais son ami est inflexible. Si je n'écris pas de musique je meurs. Certains peuvent prendre leur retraite et être heureux de faire entrer des voiliers dans une bouteille, moi pas. Ne n'enterrez pas dans le sable. Je veux avoir le droit de composer !
Stefan ne parvient pas à lui faire voir la réalité en face. il doit donc se résoudre à continuer, un peu gêné de travailler avec un allemand, même un ami, et même s'il avoue n'avoir jamais été un "très bon "juif.
Richard invoque Shakespeare. Sachons faire face au défi de l'oeuvre. Je n'ai pas d'autre choix que d'être ce que je suis.
La réplique provoque une salve d'applaudissements dans le public.
La générale a lieu le 24 juin 1935. Le führer se décommande pour la première, pour cause d'avion ne pouvant voler à cause de l'annonce d'un orage. Le prétexte est grossier. Richard Strauss remarque vite que le nom du librettiste a disparu de l'affiche comme du programme. Il s'énerve. La représentation aura lieu sans lui.
Pauline trouve son époux admirable mais s'inquiète : je prie pour que nous soyons les seuls que tu aies mis en danger.
Le moins qu'on puisse dire est que le compositeur énerve en hauts lieux. Il est sommé de composer l'hymne olympique des Jeux de Berlin qui auront lieu l'année suivante.
Richard a écrit un texte pour ne pas oublier de dire l'essentiel. Il n'est pas trop inquiet. Il n'a jamais adhéré à aucun parti politique. Il reconnait avoir accueilli Hitler avec de grands espoirs. Il pensait pouvoir se servir d'eux ... et soudain s'effondre en admettant avoir été réduit à composer des airs kitsch.
Alice, leur belle-fille a survécu, comme ses petits enfants. Mes motivations n'étaient pas pures, mais elles était humaines. Je suis toujours compositeur. J'écris encore des lieders pour soprano et orchestre.
Pauline lui souffle les mots pour qu'il attire l'attention sur sa longue et fructueuse collaboration avec son collègue juif, Stefan Zweig. On est au bord des larmes. Il semble devenir fou. Il mourra le 8 septembre 1949 et Pauline le rejoindra quelques mois plus tard.
Peut-il être accusé réellement d'avoir été collaborateur, dans le second sens du terme ? La seule question à laquelle nous devrions tenter de répondre, c'est qu'aurions-nous fait à leur place ?
Son écriture est solide et documentée. Ses dialogues sont très vivants et il a l'art de faire revivre l'Histoire avec humanité et sans parti pris, ce qui n'est pas facile avec un tel sujet. L'auteur du Pianiste sait comment toucher le public et opérer des retournements de situation. Les applaudissements furent triomphants.
A 20 heures 30 du mardi au samediA 17 heures, le samedi et le dimancheMise en scène Georges WerlerAvec Michel Aumont, Didier Sandre, Christiane Cohendy, Stéphanie Pasquet, Patrick Payet, Eric Verdin, Armand Eloi.Décors Agostino Pace. Lumières Jacques Puisais. Costumes Pascale Bordet. Conception sonore Jean-Pierre Prevost.
J'avais vu Michel Aumont, il y a deux ans pour la pièce Aller chercher demain.A signaler aussi que Didier Sandre est au cinéma en ce moment le père d'Agathe Bonitzer dans Au bout du conte, le film d'Agnès Jaoui où il interprète Guillaume Casseul.