Très éloigné des préoccupations politiciennes de la vie parisienne, le bouillonnant Dany n’est pas fait pour la
Ve République et cette obsession présidentielle qu’il considère comme une maladie mentale. Il quitte la vie politique avec un peu d’amertume pour jouir en famille du temps qui lui
reste dans l’existence.
À près de 68 ans, le député européen écologiste Daniel Cohn-Bendit a vieilli mais il a
l’esprit encore jeune et vif, et c’est très rafraîchissant. Il est même encore un grand naïf. Il a mis peut-être longtemps à comprendre qu’il n’avait été, au sein de sa mouvance française, qu’un
simple accélérateur de carrières pour carriéristes.
Dégoûté par le cynisme des copains
Le 7 décembre 2012, il a claqué la porte de son mouvement politique, Europe Écologie (EELV) qu’il avait pourtant contribué de manière décisive à fonder en 2009 : l’idée avait été de rassembler au-delà du groupuscule très restreint des Verts
toutes les personnes d’origines politiques diverses pour qui l’écologie était essentielle dans leur engagement politique. Cela a permis à ses amis d’attirer Eva Joly (attirée initialement par le MoDem) mais aussi des personnalités altermondialistes comme José Bové, et
même quelques références médiatiques comme Nicolas Hulot ou Stéphane Hessel.
Sur de nombreux sujets, et en particulier sur la construction européenne, Daniel Cohn-Bendit est en opposition avec EELV, mais surtout, en opposition avec
l’attitude des caciques de ce parti écologiste qui ont cherché avant tout, Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé au premier rang, à grappiller des places et il y a même de la fascination à avoir réussi à
obtenir deux groupes parlementaires, au Sénat et à l’Assemblée Nationale, ainsi que deux ministères alors qu’ils ne pèsent que 2,3% des voix (les socialistes, sans qui EELV ne serait rien,
seraient-ils aussi de grands naïfs ?).
Et cela a déconcerté Daniel Cohn-Bendit quand, malgré tous les désaccords, on est venu encore le chercher il
y a quelques semaines pour lui demander de mener la campagne de EELV aux européennes de juin 2014. Ce qui n’était pas du tout dans ses intentions et il a donc refusé. Il a compris à ce moment-là
que les écologistes français se moquaient totalement de leur cohérence politique et que leur seul but était de gagner le plus de sièges possible.
Le 7 juin 2009, Daniel Cohn-Bendit avait en effet mené avec succès la liste en Île-de-France et avait gagné
20,9%, largement au-dessus des pitoyables 13,6% de la liste menée par Harlem Désir. C’était donc une très
bonne locomotive. Le 13 juin 1999, il avait obtenu 9,7%, ce qui était déjà un excellent score pour les écologistes.
Franchise très rare
C’est sûr qu’une liste menée par lui serait plus efficace électoralement que par d’autres leaders moins
charismatiques que lui qui ne sont pas capables de faire plus de 2,3%. Et cela lui permet même de montrer du doigt une contradiction fondamentale de ses amis écologistes qui vont manifester pour
réclamer le retour à la retraite à 60 ans alors que dans les antichambres, ils supplient un homme qui
aura 69 ans en juin 2014 de rempiler pour cinq ans encore !
Daniel Cohn-Bendit était l’invité de l’émission "Déshabillons-les" présentée par Hélène Risser et diffusée le
6 mars 2013 sur Public-Sénat et au-delà de l’introspection parfois un peu stérile de l’émission (dont c’est le principe conducteur), cela a permis de comprendre un peu mieux cette personnalité
politique très à part.
Et la première des bizarreries, c’est son franc parler. Très rare dans la classe politique française. Il
n’hésite pas à parler de son cancer de l’an dernier (guéri) pour expliquer son désir de prendre du champ pour privilégier sa vie privée : son épouse va aussi prendre sa retraite, il aura
près de 70 ans et il se voit avec des projets personnels pour vivre une dizaine d’années encore en bon état.
L’échelon européen
Terminant son quatrième mandat au Parlement européen (s’occupant des ressources humaines et management au
sein de son groupe qu’il copréside depuis le 8 janvier 2002), il faut dire qu’il est avant tout allemand, élu deux fois sur quatre en Allemagne (les 12 juin 1994 et 13 juin 2004) et fut surtout
implanté localement à Francfort (dont il fut un adjoint au maire social-démocrate en 1989 pour un seul mandat). Il ne s’est jamais implanté localement en France, surtout par manque d’envie.
Manque d’envie mais pas manque d’ambition, puisqu’il commente sa "non présidentialisation" plus par manque
d’intérêt pour un pays et par passion pour l’Europe. Pour lui, vouloir être Président de la République française, c’est comme pour un Français vouloir être Président du Luxembourg.
En disant cela, il sait qu’il va provoquer les nationalistes de tous bords, mais pour lui, la bonne dimension est l’Europe car le monde actuel est fait de
puissances (USA, Russie, Chine, Inde, Brésil etc.) et la France seule, ou l’Allemagne seule d’ailleurs, ne sont pas dimensionnées pour lutter aux côtés de ces mastodontes économiques.
L’Union Européenne, si. D’où son inébranlable foi en une Europe fédérale (qui est loin d’être construite,
contrairement à ce que sermonnent les nombreux "nationalistes de tous bords").
Contre l’obsession française
Mais il n’y a pas seulement cette dimension européenne. Il y a aussi cet esprit qui le tend plus à préférer
le régime parlementaire (à l’allemande ou à la britannique) au régime de la Ve République,
monarchie républicaine avec une élection présidentielle autour de laquelle tout s’ajuste. Il préfère la
vraie discussion parlementaire aux oukases élyséens arbitraires ou capricieux devant lesquels se prosternent les députés de la majorité.
C’est pour cette raison que malgré quelques appels du pied, il avait clarifié ses intentions dès le 2
décembre 2009, après sa grande victoire aux européennes, sur France Inter, dans un débat avec Jean-Luc
Mélenchon, en disant qu’il n’était pas question pour lui d’être candidat à l’élection présidentielle française. L’argument de la nationalité n’était pas vraiment valable puisque rien ne
l’aurait empêché de demander et d’obtenir la nationalité française avant le 31 décembre 2011.
Avec de recul, Daniel Cohn-Bendit reconnaît qu’il a un regret, parce qu’il n’avait pas prévu l’importance de
la primaire socialiste. Il aurait dû se présenter à la primaire ouverte, comme l’a fait le président du
PRG, Jean-Michel Baylet, et en interne, il était plus facile d’obtenir dans les 20-25% qu’à l’élection
elle-même, où le vote utile joue beaucoup, ce qui, selon lui, aurait donné un rapport de forces bien favorable aux écologistes au sein de l’actuelle majorité de gauche. Au lieu de cela, le
mouvement qu’il avait hissé à 16,3% au niveau national s’est effondré à 2,3% moins de trois ans plus tard !
Je m’en vais sauf si…
Comme il ne faut jamais dire jamais, Daniel Cohn-Bendit s’est quand même donné une petite fenêtre dans le
champ des possibles pour revenir sur sa décision de ne pas se représenter aux européennes.
Il reviendrait seulement dans le cas, hautement improbable à une année de l’échéance, où lors du scrutin des
élections européennes, il y aurait deux bulletins de vote à glisser dans l’urne : un pour élire les députés européens (comme avant), et un autre pour élire le futur Président de la
Commission Européenne de manière transnationale, au lieu de le laisser désigner de manière fort peu démocratique par les chefs d’État et de gouvernement dans des conclaves peu transparents. Un
scrutin qui serait alors au niveau complètement européen, et dans un tel cas, oui, lui, malgré ses 69 ans, se présenterait à cette Présidence.
Et comme il est assez franc, il a exprimé cela sans aucune illusion, plus comme une pirouette pour dire qu’il
pouvait encore être responsable et participer à l’édification d’une véritable démocratie européenne (ce qui manque le plus dans cet ensemble institutionnel peu lisible pour les citoyens
européens).
Boîte à idées
Homme seul, extraterrestre, électron libre dans le paysage politique, suscitant bien des polémiques soit par
ses provocations (l’une fut d’avoir reproché très durement à Nicolas Sarkozy, les yeux dans les yeux, sa présence à l’ouverture des Jeux
Olympiques de Pékin le 8 août 2008), soit par ses maladresses, collant allègrement les qualificatifs de cyniques et de carriéristes à l’encontre de ses petits camarades écologistes français,
Daniel Cohn-Bendit est avant tout un accoucheur d’idées qui n’a pas honte de ses engagements européens (ce qui a fait son succès de 2009).
Mais celui qui reste chez bien des Français âgés de plus de 50 ans comme le jeune étudiant qui défia les CRS
en mai 1968 a de quoi être déçu et amer de n’avoir été qu’une simple locomotive électorale, jamais écoutée dans ses convictions. En ce sens, quitter ce monde sans scrupule ne pourrait lui être
que profitable.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (11 mars
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Dany le vert.
Vraiment vert ?
EELV aujourd’hui…
Vidéo de Daniel Cohn-Bendit à l’émission sur Public-Sénat du 6 mars 2013.
Union Européenne.
Supprimer l’élection présidentielle ?
(Cette émission sera rediffusée sur Public-Sénat le lundi 11 mars 2013 à12h00, le mercredi 13 mars à 18h15, le mercredi 27 mars à 22h45,
le samedi 30 mars à 22h45, et le dimanche 31 mars à 11h45).