Le Jardin des Plumes

Par Gourmets&co

Le Jardin des Plumes

Giverny (Eure) par Patrick Faus

: cuisine banale

: cuisine d’un bon niveau

: cuisine intéressante et gourmande

: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux

: cuisine exceptionnelle

… Un grand chef d’aujourd’hui et un homme passionnant à suivre…

Gamin puis ado, Eric Guérin jouait dans les rues de Giverny. Il pêchait dans la petite rivière, chassait dans les bois dont il « connaît tous les arbres un par un » dit-il. C’était son village, son univers… Aujourd’hui, il y revient, ému, enchanté, envahi par les souvenirs et le présent qui va les faire revivre. Un jour, en venant saluer ses parents, il est tombé amoureux… d’une vieille maison construite en 1912 en pierres de Vernon, le village d’à coté. Un certain Picard l’avait fait construire, ingénieur et architecte dans l’équipe de Gustave Eiffel. Puis ce fut un restaurant, et un deuxième qui périclita. Puis, Eric est arrivé sans se presser mais bien déterminer à faire revivre cette merveille et son jardin, son étang, son hêtre pleureur centenaire et son ginkgo biloba, « arbre de vie » comme l’appelle les Chinois.

Eric Guérin et son monde de nature paisible, d’environnement doux, de La Mare aux Oiseaux au Jardin des Plumes, de la Brière au Vexin : changement de décor mais non d’ambiance. Il oscillera entre les deux mais laissera sa nouvelle équipe de choc gérer le petit dernier. Joachim Salliot, jeune chef de 26 ans, super doué et ravi de retrouver Eric Guérin. Cyril Carré, sommelier parfait, qui travaille dans l’évidence des accords, dans l’intelligence de la découverte, et non dans l’esbroufe. Même punition pour la magnifique Nadia Socheleau que tout le monde a connu chez Alain Passard comme directrice de salle et qui a tout abandonné pour se lancer dans ce nouveau projet avec Eric. « J’ai grandi avec Eric, il m’a fait comprendre un plat, fait découvrir l’art… j’ai dit oui tout de suite quand il m’a appelé. » « Je n’aurais pas fait ce projet sans elle, c’est un génie de la salle. » Les deux font la paire et c’est parti pour une nouvelle aventure.

C’est vrai que la maison est belle autant de l’extérieur que de l’intérieur. Meubles chinés, éclairages subtils, luminosité naturelle, chambres modernes et confortables, bar et salon, chaque coin a son style, son ambiance et l’on s’y sent bien. La salle du restaurant est une pure merveille : claire, éclatante même, vaste avec ses grandes fenêtres sur le jardin, sa cheminée au « vrai » feu pour les soirs de froidure, sa clarté du décor, ses tables magnifiquement dressées à la vaisselle recherchée… la perfection.

Eric Guérin. Contemplatif et créatif. Voyageur et sédentaire dans ses racines, homme de cuisine avant tout. C’est sa vie, son écriture, son talent, grand, évident. Formation de grandes maisons parisiennes (Tour d’Argent, Taillevent, etc.), puis la rupture en 1995, le départ vers des cieux plus limpides, les oiseaux et la vie, la Brière. Une étoile au Michelin en 2000 l’aide à continuer et le voilà en Normandie, à même pas une heure de Paris en voiture ou en train. Un cadeau pour les gourmets et compagnie…

La carte est du Guérin pur jus. Originale, appétissante, variée, du coin et du monde, comme il aime et comme on l’aime. Dans l’assiette, la complémentarité du tandem Guérin/Salliot fonctionne à merveille et va même jusqu’à l’impressionnant. Déjà la mise en bouche est une mise en œuvre qui définit la suite : alliance étonnante mais évidente, équilibre subtil et délicat mais force des saveurs dans une Burrata crémeuse, thé Lapsang Souchong et canard fumé. Tout s’enchaîne ensuite sur ce thème et ce style : Tarte fine de houmous aux encornets grillés, chorizo, sot l’y laisse, vinaigrette chorizo-passion, simplement magnifique dans sa touche moyen orientale. Noix de Saint-Jacques, mousseline de panais, lard de colonnata, crème de Saint-jacques au lard fumé, simplement grandiose dans la subtilité et une des meilleures mousseline de panais qui soit. Turbot, semoule végétale au poivre timut, ris d’agneau, jus d’agneau au cédrat corse, cuisson, dosage des ingrédients, perfection de l’ensemble, simplement un chef d’œuvre. Notre poulet Vallée d’Auge, loin de la recette familiale du fond de la Normandie mais un peu trop loin tout de même, un plat trop « allusif », conceptualisé à l’extrême et qui manque donc de chaleur, avec une légère sous cuisson du poulet qui le rend élastique.
Desserts feu d’artifice : ananas rôti à tomber de la chaise et un Chocolat Hibiscus magnifique, discret en chocolat, cependant puissant.
Une cuisine très recherchée, pensée, dessinée même puisque Eric Guérin dessine ses recettes avant de les réaliser…Des plats très étudiés mais un chef qui laisse parler son imagination suivie d’une réalisation impeccable. Une cuisine de goût, de saveurs prononcées et d’une subtilité remarquable. Un grand chef d’aujourd’hui et un homme passionnant à suivre.

Les deux font la paire

Joachim Salliot : « J’ai commencé avec Eric en 2007 pendant 18 mois. J’arrivais d’un étoilé Michelin, La Bretèche, près de Nantes. Je me suis lancé dans la cuisine pour agacer ma grand-mère qui ne voulait pas que je sois celui qui allait reprendre sa crêperie ! Aujourd’hui elle est très contente !
J’ai été complètement paumé au départ par la cuisine d’Eric. Aujourd’hui, on travaille une cuisine en fusion, moi plutôt terroir et Eric raconte des histoires dans sa cuisine. L’ensemble est original, finalement sage mais dans le même esprit. Je suis rentré totalement dans sa cuisine. J’aime son côté créatif et esthétique. »

Eric Guérin : « Avec Joachim, c’est une collaboration basée sur l’humain et la confiance. Je ne veux pas lui imposer, mais je donne un chemin de route avec ma maturité. Il est combatif, et j’aime les gens qui sont capables de se réinventer tout le temps. Il se concentre sur l’essentiel et moi ça m’aide, surtout dans ce nouveau restaurant. »

Quel a été le déclic cuisine chez vous ?
Il s’est passé à Giverny. Mes parents avaient une galerie d’art et ils invitaient beaucoup de monde. J’ai commencé à faire des plateaux de fromages pour les invités. Puis les gâteaux et ça m’a plu. J’ai voulu garder cette ambiance de nature, de faire plaisir aux gens. Cela se répercute dans un désir de gourmandise et dans le plaisir des gens qui travaillent avec moi. Je fais tout ça avec une sensibilité et même de la fragilité.

Comment s’est forgé votre univers ?
La culture, donnée par mes parents. Le voyage, qui a une très forte place dans ma formation, Afrique du Nord et Japon. Dans ma cuisine, je pars d’un produit local, je rajoute du « voyage », mais à la fin on a mangé le produit et pas les épices.

Une ou plusieurs personnes qui vous ont tiré vers le haut ?
Michel Bras qui vivait dans l’Aubrac et qui fermait six mois par an. Si lui le faisait, je pensais pouvoir le faire. Pierrre Gagnaire, très artistique dans la construction de l’assiette. Alain Ducasse, qui vous apprend à faire parler de vous. Ce n’est pas tout de faire bien la cuisine, il faut le faire savoir !

Des petits jeunes ?
Il y a un mouvement très parisianiste dont je me sens exclu : Akrame, Toutain, Christopher, etc. Puis, les types qui sortent de Master Chef et on ne sait pas pourquoi ils sont là.

Des espoirs, des rêves ?
J’espère une étoile ici pour l’équipe et pour pérenniser le lieu. Il n’y en a pas beaucoup dans la région. Je crois que je crée des univers qui résonnent mais j’aimerais être un peu plus serein, un peu plus cuisinier et moins à me bagarrer pour courir après les sous. Je veux seulement prouver qui je suis dans ma cuisine.

Le Jardin des Plumes
1, rue du milieu
27620 Giverny
Tél : 02 32 54 26 35
contact@lejardindesplumes.fr
www.lejardindesplumes.fr
Fermé mardi et mercredi
SNCF Gare de Vernon (5 km) puis taxi, ou bus
Voiture : A13, sortie 14, direction Vernon puis Giverny
8 chambres dont 4 suites de 180 € à 320 €
Menus déjeuner : 29 € (2 plats) – 36 € (3 plats)
Menus dîner : 46 € (4 plats) – 80 € (7 plats)
Carte : 65 € environ