L’autobiographie de Benazir Bhutto devait à l’origine être sous-titrée « Demain la liberté ! », le sort en a décidé autremen
Cette volumineuse réédition est très détaillée jusqu’en 1988, date de première édition (avant que l’auteur ne soit premier ministre). Elle propose quelques ajouts : le prologue et le dernier chapitre, qui résument les années 1988-2007, dont on peut regretter qu’elles ne soient par conséquent que peu développées par rapport à ce qui précède.
Il s’avère néanmoins intéressant de découvrir de l’intérieur ce personnage public, à l’existence particulièrement mouvementée. Benazir Bhutto sait se rendre sympathique, par sa fidélité réitérée aux valeurs familiales : sincérité, intégrité, dignité. Née dans une riche dynastie de propriétaires terriens, elle reçoit une éducation très soignée, en particulier de son père, politicien important (il fut premier ministre), dont elle se présente comme l’héritière spirituelle. Ce sont les circonstances – le renversement puis l’exécution de son père par la dictature militaire - qui l’amènent brutalement à la politique alors qu’elle se destinait plutôt à la diplomatie.
Confrontée au régime militaire très sévère du général Zia à partir de 1977, elle vécut les manœuvres d’intimidation, l’emprisonnement dans des conditions très dures, puis l’exil, comme le reste de sa famille et de nombreux sympathisants. Ses longues descriptions des méthodes crapuleuses du régime totalitaire pour écraser toute contestation, tout en s’attirant la bienveillance internationale, sont fort instructives. Elle analyse le rôle joué par l’Occident, et en particulier les Etats-Unis, dans le maintien de ce pouvoir autoritaire, sacrifiant démocratie et droits de l’homme aux exigences géopolitiques du moment - les Etats-Unis avaient besoin du Pakistan pour intervenir contre les Soviétiques en Afghanistan.
Femme émancipée, courageuse et déterminée, Benazir Bhutto fut une fervente partisane de la démocratie comme moyen de développement à long terme. Elle refusa tout à la fois le pouvoir militaire et le terrorisme, persuadée que l’équilibre de son pays devait passer par des institutions légales et légitimes. Une fois premier ministre, elle devient mère pendant son mandat (voir ma note sur le sujet) : féministe convaincue et convaincante, elle exprime son amour pour son pays et ses proches et revendique l’égalité homme-femme dans un monde islamique de plus en plus misogyne.
L’opposition islamiste réussit à la destituer à deux reprises, sans lui laisser le temps de mener sur le long terme sa politique sociale et économique. La fragilité de la constitution pakistanaise et l’indifférence internationale déstabilisèrent le pays, ce qui entraîna de lourdes conséquences à long terme. L’autobiographie de Benazir Bhutto, bien que par nature partiale et partielle, aide à comprendre la situation actuelle de son pays, et en particulier sur quel terreau s'est développé le terrorisme international auquel le Pakistan du général Musharraf sert de base arrière, et dont Benazir Bhutto fut la cible de longue date.
Ses derniers mots prennent une résonance tragique. Benazir Bhutto y exprime son espoir du retour de la démocratie. Elle se sait menacée, mais prend le risque de revenir au Pakistan pour se présenter aux élections par sens du devoir, convaincue que dans un pays démocratique, le terrorisme ne peut se développer, et que son pays a un rôle à jouer pour contrer la mondialisation des réseaux islamistes. C’est ce qui fait dire à l’éditeur, dans une note de conclusion que l’assassinat de Benazir Bhutto « est aussi dangereux pour l’équilibre du monde que les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center ».
(Cet article est à paraître dans Sitartmag prochainement)