Poésie du samedi, 57 (nouvelle série)
Cette lettre « g » là n’est pas une initiale ouvrant la voie à de très spéculatifs horizons sémantiques comme une porte sur l’infini. Encore que… Pour Ghérasim Luca, elle flamboie au cœur d’un prénom, comme un point au centre d’un cercle… Elle surgit d’un élan dont le cheval chevelure est le moteur, vrai désir dont le titre du poème caractérise toute l’immédiateté du commencement. Elle peut sembler un peu paradoxale, cette notion d’initiation spontanée, tant une initiation se prépare et nécessite une certaine durée dans son déroulement et sa réalisation… Mais en même temps, tout ce qu’en perçoit l’impétrant n’est-il pas intuitif et immédiat ?
Cette lettre « g » n’est pas initiale mais « spécifique » et irradiante au cœur d’un des deux « tétragrammes spectraux » que sont les noms des deux amants. Nom fatal, nom ovale… Quant au « nom télémétrique » de Luca, c’est lui qui fournit l’initiale majuscule où se dissout le « g » minuscule d’Olga comme en un Océan… Initial, c’est évident mais « primordial et triangulaire », allez savoir pourquoi ce « L » s’illumine soudain en forme de Delta... Mais il faut bien commencer et sans doute peu importe la lettre pourvu qu’on ait l’esprit !
Initiation spontanée
Le peigne tentaculaire
et
spectral
de mon nom tétragramme
peigne
la belle chevelure
terminologique
poussée
sur le corps
de
Olga
de même que la fameuse position
érotique
dénommée « le cheval »
peigne la chevelure du néant
le peigne hypothétique
de mon signe nominal
peigne
la chevelure spectrale
de Olga
il peigne il saigne
il chevauche
jour et nuit
la belle chevelure télépathique
déchainée sur le nom fatal
sur le nom ovale
de Olga
dans un corps à corps télépathique
télépathique splendide
et complémentaire
on peigne on saigne on chevauche
jour et nuit
le tête-à-tête antithétique
de ces deux tétragrammes spectraux
de même que le fameux chevalier érotique
s’identifie mythologiquement
à son cheval
mon nom télémétrique
Luca
s’identifie physiologiquement à
Olga
il s’identifie à la splendide chevelure
homographe
de Olga
dont le
g
spécifique
se dissout tautologiquement
dans l’océan du vertige de l’éclair du cheval
calligraphique
de mon
L
initial
initial primordial et triangulaire
comme une éruption synthèse
dans la fixité du néant
Ghérasim Luca (Bucarest 1913 – Paris 1994) in Le principe d’incertitude du recueil Héros-limite (1953).
Né dans une famille askhénaze roumaine, Luca parlait le roumain, l’allemand, le yiddish et le français. Proche des surréalistes dès les années trente, il s’installe à Paris à partir de 1952 et développe une œuvre singulière, écrite dès lors en langue française, entre recherches graphiques et performances orales et radiophoniques. Idéalement, il faudrait l’entendre ou le voir lire ses textes dont le poème ci-dessus n’est pas représentatif d’une œuvre dominée par les recherches rythmiques, les jeux de sonorités, les mots-valises, etc… Les éditions Soleil Noir et José Corti (lire la très bonne notice) ont publié l’essentiel de son œuvre.
Ghérasim Luca, dont la mort était un des thèmes récurrents, se suicidera vraiment en 1994 las d’un monde où selon lui « il n’y a plus de place pour les poètes »…
D'une tempe à l'autre
le sang de mon suicide virtuel
s'écoule
noir, vitriolant et silencieux
Comme si je m'étais réellement suicidé
les balles traversent jour et nuit
mon cerveau
In L’inventeur de l’amour