Magazine Cinéma
S’il débute en 1945, Lore n’est pas pour autant un film sur la guerre. C’est, en fait, un film qui se concentre sur l’après guerre, côté bourreaux, côté lambeaux du IIIe Reich et défaite des allemands. Morceau de l’Histoire que l’on n’a pas eu l’occasion de voir souvent sur grand écran. Là, aussi, où l’on pouvait s’attendre à une œuvre-procès, empreinte d’un manichéisme de circonstance, l’australienne Cath Shortland (Somersault, 2003)- qui adapte ici La chambre noire, écrit de Rachel Seiffert- frappe fort : c’est du point de vue d’une jeune adolescente de seize ans, et de ses frères et sœurs en fuite, qu’elle embrasse son propos. Forcés de fuir après l’arrestation de leurs parents nazis, les rejetons blonds, élevés dans un climat antisémite qui faisait l’apologie du Führer, se retrouvent alors seuls, avec leur idéologie puante à la bouche, au cœur d’une nature hostile. Isolés et faibles, face à une Allemagne en cendres, dévastée, aux mains des américains, des russes, des britanniques et des français. Comme des animaux traqués, ils sont alors contraints de trouver de quoi survivre. Autant dire que Shortland ne mise pas sur une possible empathie des spectateurs pour ses personnages afin de séduire. D’ailleurs, la force de Lore est de justement ne jamais chercher à plaire. Et ce, malgré une beauté visuelle, indéniable et envoûtante, qui ne cache ni sa fascination pour le macabre, ni son goût pour la poésie de l’horreur- distillant tout du long un malaise tenace et dérangeant, ainsi qu’une violence sourde et un climat d’éveil des sens refoulé qui rappellent les motifs du cinéma d’Andrea Arnold (Fish Tank, Les Hauts de Hurlevent).
Le film, hanté par les mélancoliques accords du compositeur Max Richter, est sans concession, profondément sombre, et s’attache surtout à dépeindre l’innocence d’une jeune fille qui vole en éclat, comme en témoigne la hautement symbolique scène finale, où, rageuse, elle piétinera les porcelaines de sa famille, et par là même les mensonges qu’on lui a fait gober depuis son enfance. Sur le chemin, Lore (intense Saskia Rosendahl), Günter, Jürgen, Liesel et Peter découvriront peu à peu une autre version de l’Histoire : des photos de l’Holocauste, la vérité sur Hitler, les agissements de leurs parents. La réalisatrice s’interroge ainsi sur la façon dont l’éducation façonne les êtres, sur le poids des héritages sur les identités (et tout notamment lorsqu’il s’agit de haine), et offre à contempler des figures et des faits à l’accoutumée invisibles : soit ce qu’il est advenue d’une génération entière d’enfants, à la fois bourreaux et victimes par liens de sang. A l’écran, il n’est pas question d’en faire ni des gentils, ni des méchants- ce que vient souligner le personnage quasi mutique du garçon juif (qui va les aider à trouver nourriture et toits)- mais de les capter dans tout leur pathétisme : ils ne sont, in fine, rien d’autre que des pantins, des gamins, modelés par leurs géniteurs, nourris à d’abjectes croyances. C’est donc une réflexion pour le moins inédite, en plus de troublante, à laquelle se frotte Shortland. Lore, couronné d’une atmosphère et d’une mise en scène aussi somptueuses que poisseuses, et traversé d’une imagerie post apocalyptique et de tableaux de fin du monde, est alors à rapprocher du film d’horreur : brutal et inquiétant, cruel et ténébreux.