Un léger désir de rouge - Hélène Lépine

Par Venise19 @VeniseLandry
Toulouse n’est pas une ville, dans ce roman, c’est une trapéziste de vingt-huit ans. Malheur : atteinte d’un cancer du sein invasif, elle doit passer sous le bistouri. Horreur : son amoureux et compagnon d’acrobaties l’abandonne après l’ablation. Trois pertes à assimiler : la carrière de trapéziste, la vie de couple, et un corps complet.
Où se réfugier ? Où retourne-t-on quand la vie est trop dure ? Dans la maison de son enfance ? Mais on n’y trouve pas toujours du réconfort, ça dépend de ce qu’a été notre enfance. Toulouse l’écrira avec des mots qui sentent la rancœur à plein nez, son enfance n’a pas été souriante. Elle en veut à ses parents de leur avoir offert, à ses frères et sœurs, l’absence, qu’elle a reçue en plein cœur « vous n’êtes pas assez importants pour que l’on arrête de voyager à travers le monde ».
Écrire un journal est un geste de repli sur soi, presque une nécessité en période intense de deuils. Ces confidences, Toulouse les adressera à Mamboula, un nom qu’elle a inventé, un être qui habiterait Casamance au Sénégal. La jeune femme en traitements de chimiothérapie doit enterrer sa vie de jadis. La grosse question qui sous-tend toutes les autres : a-t-elle encore le désir de vivre ? Pour désirer renaitre, il faut choisir de nouveau la vie. Elle doit se refaire, pas une beauté, une vie, autant physique que psychologique.
Ce journal nous fait suivre un pèlerinage ardu, douloureux, initiatique. Avoir besoin de s’inventer d’autres yeux pour voir la réalité d’une autre manière. Elle renoue avec ses souvenirs, par sa sœur et son frère qui résident encore la maison. Ce dernier est atteint de problèmes psychologiques sévères, et sa sœur et elle, sont en conflit. Rien qui puisse encourager le rebond d’une personne qui se bat pour la vie. Elle fuira les souvenirs qui affluent, partira camper dans le bois, reviendra, toujours aussi mal dans sa peau. Elle aborde la question de sa famille désunie, peu de solidarité, surtout du silence. Bien pire, un frère violent semble lui en vouloir d’habiter la maison des parents. Toulouse écrit ses émotions pour tenter de transcender sa douleur, voir plus clair, elle ira vers la sérénité d’une compagne de traitement, celle-ci pourtant plus amochée qu’elle.
Hélène Lépine aborde une réalité dure, sombre, contraignante, avec un style aux fortes empreintes poétiques qui appellerait normalement la sérénité si les circonstances n’étaient pas si étouffantes et le destin si lourd. J’ai fini par vouloir m’en échapper. Une si jeune femme, vivant trois deuils de cette ampleur qui doit se débrouiller sans compassion, sans appui, et même, tout au contraire, de l'hostilité. La lectrice que je suis avec ses humeurs du moment a éprouvé un vif désir de rouge. Un désir de vie, de lumière. J’étouffais, prête à me rendre les mains liées, détachez-moi, j’en ai assez lu. Un détail, mais qui ne m’a aidée, je me suis lassé de l’interpellation, « Mamboula » revenant inlassablement dans le texte, comme un mantra. À mes oreilles, cette interpellation a fini par frapper comme une plainte sur le mur des lamentations.
J’ai donc vécu une situation inconfortable : admirer cette prose poétique extra lucide, en même temps qu’opposer une résistance au côté affligeant du propos.
Je ne voudrais cependant pas laisser supposer que l’histoire stagne dans la mare du malheur, Toulouse évolue à travers ses cris et ses écrits, mais j’ai eu de la difficulté à m’en sortir, plus que le personnage, semblerait-il.
Danielle Laurin - Le Devoir fait un recensement admirable de ce titre qu'elle a apprécié.