Les portaits photographiques de Robert Charlotte par Agata Frankowska -Thuinet

Publié le 10 mars 2013 par Aicasc @aica_sc

Du 16 mars au 26 avril, l’espace d’art 14°N61°W présente  une exposition de portraits photographiques de Robert Charlotte, Vis à vis. L’AICA Caraïbe du Sud vous propose des Regards Croisés avant et pendant l’exposition.

 Dans les  portraits de la série Vis-à-vis notre attention est immédiatement captée par les regards. Photographiés de face, les hommes que l’on identifie comme des jeunes de cités  fixent l’objectif de manières différentes. C’est peut-être cette relation face à l’appareil qui en dit le plus sur leur personnalité.

Le spectateur regarde les portraiturés dans les yeux, il peut prendre le temps de fixer ceux qui nous observent à travers l’objectif. C’est la  prise de vue de face qui donne accès à leur regard.  On se retrouve « vis-à-vis »  de ces jeunes  dont on croise peu le regard dans la réalité. Car regarder dans les yeux, c’est transgresser l’intimité, ou même appeler à la confrontation.

Robert Charlotte

Tous les portraiturés sont assez jeunes, la différence d’âge entre l’adolescent  en bonnet noir et  l’homme tenant un joint d’herbe dans sa main ne doit probablement pas dépasser dix ans. Mais dans leurs poses et surtout leurs regards, on devine un changement qui s’opère en quelques années dans leur rapport à soi et à l’Autre. Photographiés sur un fond neutre,  probablement dans un studio, ils construisent leur image, leur identité,  qu’ils  veulent nous donner par les accessoires,  la position du corps, l’attitude. Le spectateur se trouve dans la difficulté – ce vis-à-vis peut permettre de saisir l’identité des portraiturés, ou bien évoquer une série de lieux communs.

 Le plus jeune semble se tenir debout,  il est cadré serré.  Il pourrait s’agir d’une photographie d’identité si l’adolescent n’était pas vêtu d’un bonnet noir. Un accessoire qui semble tenir chaud,  décalé et  inconfortable sous le soleil antillais. On le devine choisi par le jeune homme pour se donner plus de contenance, comme la boucle d’oreille à peine  visible sous l’ourlet noir. Le visage à première vue ne laisse  apparaître aucune  émotion particulière. Le garçon semble être en attente, soumis au photographe, un peu impressionné et tendu. Il se tient très droit, en essayant peut-être d’avoir une attitude neutre, sans laisser paraître sa timidité. Dans ses yeux on ne voit pas de défi, ce sont des yeux d’enfant. Les traits encore très juvéniles marqués par deux  petites cicatrices.  Le pansement blanc sur le cou est d’un effet presque comique – il surgit de l’ombre du creux du cou et prend une proportion exagérée, comme s’il s’agissait d’un élément clé. Il fait penser aux « petits bobos » enfantins, mais pourrait être le signe annonciateur des blessures à venir. 

  

Robert Charlotte

Deux jeunes hommes, un peu plus âgés, sont cadrés de plus loin. Toujours sur un fond neutre, ils sont intéressants à regarder ensemble pour mieux percevoir les différences de leur attitude face au photographe. Le premier avec les bras croisés  sur le torse et un joint dans la bouche semble un peu sur la défensive, malgré les muscles bien dessinés de ses biceps. L’autre se présente comme un coq de combat – le torse nu orné de chaînes en or ainsi que les mains posées sur les hanches  démontrent que l’homme est sûr de lui. « Je suis là, regardez-moi, admirez-moi ».  

Le regard du premier est un peu décalé par rapport l’objectif, qu’il semble presque éviter, son visage ne traduit pas d’expression particulière.  Le deuxième cache son regard sous des lunettes noires.  Son port de tête volontairement  nonchalant affirme son assurance.

Robert Charlotte

Les deux hommes portent des colliers clinquants, on devine la forme de la Guadeloupe sur l’un des pendentifs  du jeune homme aux bras croisés. Les bijoux font partie de leur dress code  qui traduit à la fois l’appartenance sociale et identitaire.

 Le portrait qui semble clôturer cette série représente un homme confortablement assis dans un grand fauteuil en cuir. Si son âge est difficile à évaluer, son attitude décontractée donne l’impression qu’il s’agit d’un homme  sûr de lui. Contrairement aux autres il ne  semble pas impressionné par le photographe à qui il n’a pas besoin de donner le change. Une importante cicatrice qui marque sa joue et le dossier du fauteuil nous livrent plus d’indications sur la personnalité de l’homme que les accessoires des autres portraiturés. Il porte des bijoux beaucoup moins visibles, comme s’il n’avait plus besoin de capter l’attention et le respect. 

Robert Charlotte

Tandis que les autres hommes posent  débout, lui n’a besoin d’aucun effort musculaire pour affirmer sa position – il est prêt à savourer un joint d’herbe. Mais son regard  un peu méfiant semble montrer qu’il reste le maître de la situation.

  Tous ces portraits anonymes déclenchent chez le spectateur une série d’images mentales propres à  la représentation  que l’on peut avoir d’un certain groupe social. Celui de jeunes de cités, un peu désabusés, que l’on peut imaginer investis dans le trafic de drogue,  et à qui la violence ne serait pas étrangère.

Si le portrait ne peut traduire la vérité et l’identité immuable de la personne, il présente son identité éphémère, celle  que le photographié  souhaite se donner face à l’objectif. L’image du portraituré que le spectateur  construit à partir ces  indices , oscille entre la connaissance et la tromperie, le jeu. L’identité de ces hommes ne sera pour lui qu’une vérité phénoménale – un compromis entre l’identité et la ressemblance. Dans le cas de la série Vis-à-Vis, il s’agirait de l’esquisse de l’identité de chacun des jeunes hommes, mais aussi du portrait d’un groupe social.

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Agata Frankowska-Thuinet