Louis Riel
Chester Brown en a l’habitude. Ses bouquins exacerbent les passions. Qu’ils soient lus ou non ; d’ailleurs. Son dernier Opus, « 23 prostituées » que viennent de publier les Éditions Cornélius pourrait être, de par le sujet, une évidente provocation. Il n’en est rien, du moins à mon sens. L’histoire d’un homme qui, à la suite d’une déception amoureuse, ne veut plus entendre parler d’amour mais non de sexe est un sujet tout aussi louable qu’un roman à l’eau de rose. Le fait qu’il soit autobiographique n’arrange bien évidemment pas le repos des culs-bénis. Mais de ceux là, on s’en fout.
Quoiqu’il en soit, ce n’est pas de ce bouquin dont je voulais parler –mais si cela vous intéresse, vous pouvez consulter cet article du journal Le Monde - mais d’un de ses précédents romans graphiques, « Louis Riel » que rééditent[1] les Éditions de la Pastèque. Tout simplement parce que l'actualité offre un prolongement à cette biographie. Et qu’après lecture, je peux affirmer qu’il méritait bien de figurer dans ma PAL.
Là aussi, polémique. Chester Brown, bien que né à Châteaugay (près de Montréal) au Québec est d’origine anglo-saxonne. Le choix de retracer la biographie d’un héros de la lutte des métis francophones au Canada – et plus particulièrement au Manitoba - peut également être perçu comme une provocation. En fait, il s’agit ni plus ni moins de retracer à travers la biographie de Louis Riel comment s’est effectuée l’annexion des territoires du Nord-Ouest par la confédération canadienne. Dans le sang et par l’exécution pour trahison de Louis Riel, chef des métis et père de la Confédération.
L’ouvrage de Chester Brown est on ne peut plus clair sur le simulacre du procès et la politique expansionniste des anglo-saxons, qu'accentuent les vignettes volontairement dépouillées et le trait faussement naïf que Brown utilise. On ne peut toutefois plus parler de parti pris de la part de l’auteur puisqu’il vient d'être conforté dans sa vision avec le jugement rendu hier (8 mars 2013) par la cour suprême du Canada qui a déclaré que le gouvernement fédéral n'avait pas mis en œuvre de façon honorable les concessions de terres promises aux Métis manitobains, il y a plus d'un siècle, pour taire la rébellion menée par Louis Riel. Une réhabilitation, certes tardive, mais qui lui rend justice et qui risque fort de déboucher sur d’autres soucis pour le gouvernement fédéral. Financier dans un premier temps, on parle de milliards de dollars en dédommagement, mais aussi sociaux-culturels en redonnant une fierté à un peuple largement oublié qui ne se contentera plus des subsides de l’état pour rappeler qu’il est l’un des composants majeurs de la société des états du Saskatchewan et du Manitoba. Les négociations à venir risquent fort de perdurer.
Chester Brown
Chester Brown a gagné lui aussi un combat. Il n’est d’ailleurs peut-être pas étranger à cette prise de position de la cour suprême du Canada. Son ouvrage « Louis Riel, l’insurgé » a été publié initialement il y a presque 10 ans et a remporté un certain succès de l’autre côté de l’océan. Et en dressant un portrait mi-figue mi-raisin de son héros – en ne cachant pas notamment ses dérives mystiques – il a porté le débat sur un aspect plus politique et donc plus critique sur des faits historiques majeurs de la constitution par spoliation du Canada d’aujourd’hui. Une histoire qui a sans doute fait prendre conscience que les autochtones amérindiens ne furent pas les seules victimes de l’impérialisme de sa Gracieuse Majesté.
[1] Publié initialement par les Éditions Casterman, dans la collection "Écritures" en 2004