René Frégni : la pensée jaillissante de l’autodidacte (5/8)

Publié le 10 mars 2013 par Sheumas

Derrière les 1200 cellules de la prison des Baumettes où il se rend régulièrement, il y a 1200 romans noirs qui attendent... Une mine pour « la Série Noire » de chez Gallimard. Des crimes et des délits, des condamnés et des histoires humaines parfois plus incroyables que dans la plus invraisemblable des fictions... Par exemple, l’histoire de Paulo, « brute épaisse », grandie dans la violence et la rage, torturé pendant toute son enfance par une mère qui lui a fait porter la responsabilité de la mort de sa petite sœur, tombée par la fenêtre à six ans alors qu’il en avait seulement deux. Enfant martyrisé, griffé, frappé, insulté par l’unique femme à laquelle on accorde une confiance aveugle et sans limite : sa mère. Paulo est devenu un loup derrière les barreaux, un monstre social réputé dangereux pour les autres, un animal en cage, un forcené, aux yeux de qui toutes les femmes sont des fourgons blindés sur lesquels il faut sauter...

René se souvient qu’un jour, Paulo lui a demandé de rejoindre l’atelier d’écriture... Pas pour écrire, mais pour avoir droit au café accordé à ceux qui participent. Alors Paulo a participé : il a participé, c'est-à-dire qu’il a bu le café, et qu’il a écouté les mots des autres détenus. Ceux qui, comme René jadis, commençaient à comprendre qu’on peut tout redécouvrir avec les mots et que le corps grossier, les coups, les injures, les barreaux, ne sont que des verrous à faire sauter... Paulo a écouté les récits, les lectures, les fantasmes, les frissons, les torpeurs... Fenêtre sur cours, huit mètres carrés, « Paulo Fragonard » a joué au voyeur. Il a risqué un œil dans la cellule intime de ses codétenus et il a aperçu un coin de vertige.